Se reconstruire, une tâche typiquement moderne

Je sors d’un stage de reconstruction, trois semaines à la campagne, avec exercices physiques, méditation, entretien, mise en forme médicale. L’objectif n’était pas seulement la perte de poids, mais aussi la remise à jour et en forme.

Le problème, c’est le retour chez soi. Ai-je pris les bonnes décisions? Vais-je savoir traduire les expériences du stage en mesures dignes d’un suivi pertinent et efficace? Le Qi Gong va-t-il m’inspirer? Le yoga me fournir les clefs d’une respiration équilibrée? Je ne parviens pas à me souvenir de toutes les pratiques esquissées. Je reste dans mon vieux corps, quelques kilos en moins, quelques déterminations mises en place. Comment avancer? Je n’ai jamais eu l’illusion de devenir d’un seul coup un homme nouveau. Plus modestement, je dois cheminer sur la voie d’une transformation pragmatique, unissant le corps, le cœur, l’esprit. C’est l’occasion de redécouvrir et de raffermir deux convictions anthropologiques fondamentales: la volonté humaine a besoin d’objectifs clairs pour progresser; l’esprit humain s’exprime dans un corps capable de se dépasser. Cette dernière expression, convenons-en, est paradoxale, en particulier selon l’état dans lequel se trouve le corps.

«‘Grand corps malade’ devient parfois corps spirituel»

Un corps malade a plus de peine à se dépasser, il lui arrive même parfois de devoir se contenter de survivre. Quel contraste avec le corps en plein essor du sportif d’élite ou plus simplement avec le corps de l’homme s’entraînant à entretenir une meilleure condition. Mais quand on y réfléchit bien, cet écart n’est pas absolu. Le corps du sportif demeure fragile, plus il augmente sa performance, plus il risque de se rompre. Quant au corps malade, c’est souvent quand il atteint ses limites les plus extrêmes qu’il confine à une sorte de transcendance, se mettant en situation de dépassement. «Grand corps malade» devient parfois corps spirituel, témoignage de vie. Je n’ai pas trouvé, dans mes quelques semaines de stage, toutes les réponses à ces questions ultimes. C’est peut-être parce que je ne suis ni gravement malade, ni prêt à des exploits sportifs. Je vis, comme beaucoup de mes contemporains, dans une condition mitigée, sorte de partage entre la paresse et la lassitude. Il faut que j’accepte de vivre ma vie moyenne, ma vie quelconque, en améliorant ce qui peut l’être. Le progrès me viendra de la vigilance, de l’attention au détail, de la fidélité au quotidien.

«Nous voudrions que rien ne nous échappe»

Vivre est à ce prix, pour chacun de nous: cultiver le jour qui vient, donner sa chance au demain qui pointe, faire confiance – à soi, aux autres, au monde. Cette attitude de base, à la fois simple et complexe, implique une foi très forte, même quand elle paraît banale et ardue. Nous sommes tentés par un idéalisme de l’absolu. Nous voudrions que tout nous soit donné, que tout nous arrive, que rien ne nous échappe. Mais dans la réalité du corps et de l’esprit, dans cet entre-deux du concret et de l’idéal, nous sommes appelés à quêter humblement le vrai, la vérité discrète et modeste de notre devenir humain. Nous existons comme des sujets de sang et d’esprit, comme des conquérants d’incarnation. Par les plus petits de nos gestes, par nos engagements patients, et même par nos entêtements à vivre, nous traçons le chemin d’une vérité accessible.

Denis Müller

23 août 2018

 

 

 

 

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