Affaire Vigano: l'Eglise américaine au bord du schisme?

Mgr Carlo Maria Vigano, qui accuse le pape François d’avoir couvert des abus sexuels, a été soutenu par plusieurs évêques des Etats-Unis. Le symptôme d’un «schisme à l’état latent» au sein de l’Eglise américaine, estime Massimo Faggioli, professeur d’Etudes religieuses à l’Université de Villanova (Etats-Unis).

Les fidèles du diocèse de Tyler, au Texas, ont pu entendre les thèses de Mgr Vigano de la bouche même des prêtres, lors des messes, le 26 août 2018. L’ancien nonce apostolique avait, la veille, produit un texte de 11 pages, publié par plusieurs médias catholiques conservateurs aux Etats-Unis, dans lequel il accuse principalement le pape François d’avoir passé sous silence les agissements pédophiles de Mgr Theodore McCarrick, ancien archevêque de Washington. L’évêque de Tyler, Mgr Joseph Strickland, a demandé que le pamphlet soit lu lors des célébrations dominicales. Il a auparavant affirmé que les affirmations de Mgr Vigano étaient «crédibles».

Attaque sans précédent contre le pape

D’autres évêques du pays se sont fendus de telles déclarations, rejoignant ainsi clairement le camp du soutien à l’accusateur du pape François. Un phénomène «sans précédent» selon Massimo Faggioli, joint par téléphone aux Etats-Unis. «Des évêques prenant ouvertement parti contre le pape. Je pense qu’il y a encore cinq ans en arrière, une telle chose aurait été inimaginable.»

Pour le professeur, la querelle larvée entre conservateurs et progressistes au sein de l’Eglise n’a rien de nouveau. Elle s’est exercée depuis toujours de manière feutrée, sur un plan surtout culturel. Mais, pour Massimo Faggioli, ces dissensions ont pris ces dernières années un visage plus féroce. «La frange conservatrice s’est vraiment radicalisée avec l’arrivée du pape François. Certains éléments de cette tendance n’ont à présent pas peur de traiter le pape d»hérétique’.»

Communion attaquée

L’affaire Vigano est, pour Massimo Faggioli, à considérer dans le sillage de ce conflit latent. «Le contexte de crise, avec les révélations d’abus sexuels, a amené les conservateurs à agir de façon décisive. Mgr Vigano est utilisé comme une arme pour faire vaciller le pape François déjà fragilisé par les scandales», affirme le professeur qui vit en Pennsylvanie. «Ici, c’est la communion visible de l’Eglise qui est atteinte. Il s’agit pourtant d’un principe de base du clergé, l’ABC du catholique». Le fait que ce principe de communion soit remis en cause est pour Massimo Faggioli, un «important symptôme d’une situation pré-schismatique». «C’est comme dans un mariage, il y a toujours des disputes et c’est normal. Mais quand la confiance de base est brisée, il y a un réel problème».

Une «mentalité Trump» en action?

Le professeur d’études religieuses souligne pourtant que ce clan «anti-François» ne constitue qu’une petite minorité au sein de l’Eglise américaine. «Mais c’est une minorité très active et très influente. Ces personnes sont bien présentes au niveau médiatique et ont des soutiens politiques». Cette frange ultra-conservatrice est surtout représentée par des laïcs. Ils mènent, selon Massimo Faggioli, un combat plus politique qu’ecclésial ou théologique. «La violence de ces actions est facilitée par le contexte sociopolitique. Depuis l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, une mentalité vindicative anti-establishment s’est installée aux Etats-Unis. La remise en cause de l’autorité est plus largement acceptée».

Les catholiques sous pression

Une mentalité qui affecte aussi les relations entre l’Eglise et la société américaine. Massimo Faggioli décrit une ambiance très pesante en ce moment, dans le pays. «Les catholiques sont choqués et ils se sentent sous pression». Il connaît des prêtres qui n’osent plus sortir en public avec leur habit clérical. Des violences verbales ou même physiques ont été relatées dans certains lieux du pays. Il arrive assez régulièrement que des prêtres se fassent invectiver en pleine messe. Le spécialiste en religion ne pense cependant pas que cette violence va s’étendre et persister. Elle n’est pour lui que provisoire, en lien avec l’emballement médiatique à propos des abus sexuels.

Une Eglise puissante mais vulnérable

Il est toutefois certain que ces événements vont nuire durablement à l’image de l’Eglise, qu’elle va au cours de ces prochaines années perdre de son influence dans la société.

Massimo Faggioli remarque sur ce point que la position de l’Eglise catholique aux Etats-Unis est différente de celle qu’elle peut avoir en Europe. «Les Américains ont des attentes particulières en ce qui concerne les institutions. Du moment qu’ils paient, ils veulent recevoir des services adéquats en retour. Ils attendent des institutions qu’elles soient efficaces, transparentes et qu’elles puissent rendre des comptes. C’est la raison pour laquelle l’Eglise catholique, au demeurant puissante et riche, est particulièrement vulnérable aux crises».

L’épiscopat en crise

«Actuellement, les plus touchés sont les évêques, souligne encore Massimo Faggioli. Ils sont isolés et sans soutien. Ils vont devoir tenter des initiatives pour recréer un semblant d’unité». Cela pourrait notamment passer par une assemblée extraordinaire ou une visite apostolique du pape dans le pays.

Pour l’expert en religions, cette dernière crise va avoir un impact plus large sur la politique aux Etats-Unis, car l’Eglise catholique est malgré tout une voix écoutée. Elle se manifeste notamment fréquemment pour critiquer les décisions du gouvernement Trump. «Si son autorité morale est affaiblie, les forces d’opposition au pouvoir en place le seront de même», relève Massimo Faggioli. (cath.ch/rz)

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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