Mauro Jöhri, ministre général des capucins: «Je veux redevenir un simple frère»

Après douze ans comme ministre général des capucins, le Grison Mauro Jöhri rentre dans le rang. Il reprendra une vie de simple frère au Tessin, même si certains le verraient bien prendre la succession de Mgr Vitus Huonder comme évêque de Coire.

Depuis une semaine, vous n’avez plus la charge de ministre général des capucins pour l’ensemble du monde. Comment vous sentez-vous?
Mauro Jöhri: Je suis soulagé. Après douze ans, je me sens bien de n’avoir plus à porter sur mes épaules la charge de cette responsabilité.

Y-a-t-il quelque chose dont vous vous sentez particulièrement fier en tant que ministre général?
Je suis parvenu à accompagner l’Ordre dans le respect fraternel. Nous avons bien progressé. Nous avons revu nos statuts et nous avons établi une ‘ratio formationis’, un plan d’étude pour tout l’ordre. Nous avons rénové notre maison à Jérusalem en lui conférant une fonction spéciale. La curie générale a aussi été assainie. La croissance au Sud nous rend optimiste. Pendant qu’en Europe et aux Etats Unis, les effectifs recule face à une sécularisation croissante.

Le cléricalisme est-il un thème chez les capucins?
Oui, beaucoup de confrères en Afrique et en Inde veulent absolument devenir prêtres, entre autres parce que le sacerdoce reste lié à un grand prestige social. Mais cela ne correspond pas à notre spiritualité. Nous sommes là pour la simplicité et la proximité avec les pauvres, pas pour le prestige.

«Nous avons introduit une politique très stricte en matières d’abus sexuels»

Qu’avez-vous entrepris contre cette attitude?
J’ai rendu attentif le Vatican sur l’importance de donner aux religieux non-prêtres les mêmes droit qu’aux prêtres. Aujourd’hui, par exemple, un frère laïc ne peut pas devenir provincial (responsable régional NDLR) ni ministre général. J’ai parlé de cette question avec Benoît XVI et le pape François. Les salésiens, les bénédictins et les missionnaires de Steyl sont aussi en faveur de ce changement. Je vais insister la semaine prochaine auprès du pape François, car je n’ai pas encore eu de réponse à ma lettre de l’an dernier sur ce sujet.

En début d’année, une commission d’enquête indépendante a reproché aux capucins suisses d’avoir étouffé l’affaire du capucin pédophile Joël Allaz. Que feriez-vous autrement aujourd’hui dans l’état actuel des connaissances?
Nous n’avions pas de management de crise et nous n’étions pas préparés à des tels cas. En outre, je n’avais que peu de connaissances de tout cet abîme. Une formation à Montréal et un symposium à l’Université grégorienne à Rome m’ont beaucoup aidé à être plus sensible à cette thématique. J’aurais dû amener l’auteur à se dénoncer lui-même ou le cas échéant à le faire nous-mêmes, même contre le désir explicite des victimes.

L’Eglise est secouée par la révélation de ces abus. Qu’avez-vous fait à la tête des capucins pour que de telles choses ne se reproduisent pas?
Nous avons introduit une politique très stricte. Chaque soupçon fait objet d’une enquête détaillée et annoncé à la Congrégation pour la doctrine de la foi. La protection des victimes est la priorité. Les enfants et les jeunes doivent pouvoir grandir dans un environnement protégé.

Vous n’avez pas relevé le fait que ces soupçons devraient toujours être annoncés aux autorités civiles?
Dans beaucoup de pays cela se pratique déjà ainsi. Mais nous devons en discuter et introduire une motion dans ce sens. Il y a des pays dans lesquels l’Eglise est si puissante que les gens ont peur de dénoncer des cas. Cela ne doit plus être possible.

A Pâques 2019, Mgr Vitus Huonder, évêque de Coire devrait se retirer. Vous êtes souvent cité comme un successeur potentiel.
Non. J’ai 71 ans et un évêque doit démissionner à 75 ans. Je ne peux pas m’imaginer qu’un mandat de quatre ans puisse être pertinent.

«On devient capucin pour mener une vie simple pour Dieu»

Mais vous pourriez aussi être administrateur diocésain?
Je n’aspire pas à cette charge. Et en outre les circonstances ne sont pas bonnes. Le pape est actuellement sous pression à cause des abus sexuels. Dans l’ordre des capucins, nous avons aussi eu des cas. Si le pape me nommait administrateur, ses adversaires pourraient l’exploiter.

Et si le pape François vous le demandait quand même?
Je lui demanderais un entretien et je lui expliquerais clairement comment je vois les choses et quelles raisons s’y opposent.

Comment voyez-vous votre avenir?
Les douze ans à Rome ont été très astreignants. J’ai vécu beaucoup de choses, j’ai beaucoup voyagé et j’avais peu de temps pour tout digérer. Je vais me retirer jusqu’à Noël dans un couvent en Styrie, en Autriche. Ensuite, j’aimerais retourner au Tessin pour y vivre comme simple frère. Douze ans à Rome c’est assez. Malgré toutes les beautés de la cité, les infrastructures sont négligées, la ville est sale. Je me réjouis du bon air du Tessin.

Certains de vos prédécesseurs sont devenus évêques. Pourquoi voulez-vous revenir à une vie de simple frère?
On devient capucin pour mener une vie simple pour Dieu et pour l’humanité. Je ne peux pas critiquer le ‘cléricalisme’ de mes frères en Afrique ou en Inde et mener moi-même une vie cléricale. Je crois aussi de mon devoir de montrer que l’on peut avoir pendant douze ans une fonction de direction et ensuite reprendre avec humilité un rôle ordinaire, comme le Père Pascal Rywalski. Ce Valaisan a été de 1970 à 1982 ministre général des capucins à Rome avant de rentrer comme simple frère en Valais. Je le prends comme un modèle. (cath.ch/kath.ch/mp)


Roberto Genuini nouveau ministre général

Le nouveau ministre général des capucins appelé à succéder au Frère Mauro Jöhri est l’Italien Roberto Genuini. Agé de 56 ans, le religieux a occupé diverses fonctions dirigeantes au sein de l’ordre. Né en 1961, Roberto Genuini est entré chez les capucins en 1980. Il a été ordonné prêtre en 1987. Après des études de théologies à Venise et à Rome il  est devenu professeur  de droit canon au Laurentianum, l’Université de l’ordre à Rome.  Il était depuis 2017, gardien du couvent de Rovereto, dans la province de Trente.  Il a été élu 4 septembre 2018 ministre général avec 101 voix sur 188.

L’ordre des capucins

Fondé en 1529, l’odre des capucins (OFMcap) est la plus jeune branche des franciscains. Il compte 10’200 membres répartis dans 1’700 établissements. La province suisse des capucins compte encore 90 membres.

Maurice Page

Portail catholique suisse

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