Mgr Nicolas Antiba: la Syrie entrevoit la sortie du tunnel

«En Syrie, nous sommes encore dans un tunnel, mais on va vers le mieux, si Dieu le veut, inch’Allah !», lance dans un français parfait Mgr Nicolas Antiba, vicaire patriarcal grec-catholique melkite de Damas.

Le prélat syrien confie cependant à cath.ch que depuis le début de la guerre en Syrie, la majorité des chrétiens (environ 10% de la population) a quitté le pays et ne reviendra vraisemblablement pas.

Le pays «où saint Paul a fait son noviciat et commencé sa mission de chrétien»

L’ancien métropolite de Bosra, Hauran et Jabal-el-Arab, au sud de la Syrie, était de  passage en Suisse à l’invitation de l’Association suisse de Terre sainte (Schweizerischer Heiligland-Verein SHLV). La SHLV tenait, lundi 17 septembre 2018, son assemblée générale à la paroisse catholique d’Aesch (Bâle-Campagne).

Originaire d’Alep, Mgr Nicolas Antiba, après son élection épiscopale par le Synode de l’Eglise grecque melkite catholique et son approbation par le pape François le 2 mai 2013, s’est alors installé en Syrie méridionale, «où saint Paul a fait son noviciat pour commencer sa mission de chrétien».

Les ‘islamistes modérés’, payés par l’Arabie saoudite

Siège de l’évêché melkite, le village de Khabab, ainsi que les autres bourgades grecques-catholiques du Gouvernorat de Deraa – Bassir, Tibneh, Mesmiyeh – n’ont pas été touchés quand a débuté la guerre en 2011, précise Mgr Antiba. «Mais en 2016, 2017, nous avons subi à plusieurs reprises un déluge d’obus, par ceux-là mêmes que les Occidentaux appellent des ‘rebelles modérés’, des ‘islamistes modérés’, payés par l’Arabie saoudite, le Qatar, les Emirats, soutenus par les Américains…»

«Avant la guerre, Khabab comptait 8’000 habitants, des chrétiens. Maintenant, ils ne sont plus que 3’000. Les 5’000 autres sont en Europe, au Canada, aux Etats-Unis, en Australie…  J’ai récemment visité les fidèles syriens à la cathédrale melkite catholique Saint-Sauveur, à Montréal: il y avait plus d’un millier de personnes, presque toutes du diocèse de Bosra, Hauran et Jabal-el-Arab. Ils m’ont dit: vous êtes notre évêque !»

Des «rebelles» venus en nombre de l’étranger

Dès le début de la «guerre civile», qui a commencé avec les manifestations de Deraa en mars 2011, son ancien diocèse avait été infiltré depuis la Jordanie par des «rebelles» venus en nombre de l’étranger.

D’autres «soi-disant rebelles», pénétrant dans le pays depuis la Turquie ou l’Irak, qui sont désormais repliés dans le Gouvernorat d’Idlib, sont des ressortissants de la Péninsule arabique, mais également de la Libye, d’Irak, du Maghreb, d’Afghanistan, de la Tchétchénie, sans compter des Ouïgours de Chine et des Européens désireux de s’installer dans ce qu’ils espéraient être un «califat islamique».

«L’Armée Syrienne Libre a-t-elle un jour vraiment existé ?»

«Ces ‘soi-disant’ rebelles ne sont pas, pour la plupart, des Syriens. Ils sont partis se réfugier à Idlib en prenant avec eux leur famille, des civils qui leur servent de boucliers humains. Beaucoup de leurs chefs ne savent même pas l’arabe et doivent se faire accompagner d’interprètes pour communiquer avec la population locale. Une bonne partie de la population originaire d’Idlib a depuis longtemps abandonné la ville et a été remplacée par ces djihadistes».

Dans son ancien diocèse, dans le Gouvernorat de Deraa, le nombre de rebelles s’est grandement réduit, et comme l’armée gouvernementale est désormais sur place, ils ne se montrent pas. «L’Armée Syrienne Libre, l’ASL, dont on parlait tant en Occident, n’existe plus. A-t-elle d’ailleurs un jour vraiment existé ? Il y avait bien au début des sous-officiers de l’armée, des jeunes qui voulaient prendre le pouvoir, mais quand ils ont reçu de l’argent, beaucoup se sont empressés de partir vers la Turquie, vers la Grèce, l’Europe. Ce que nous avons rapidement vu arriver, c’étaient des islamistes, des djihadistes!»

«La réconciliation va bon train dans les villages»

«La réconciliation va bon train dans les villages, cela fonctionne bien. A chaque fois, le gouverneur de Deraa se rend sur place, avec l’imam et un évêque – j’y suis allé moi-même – car c’est important que musulmans et chrétiens participent ensemble à ce processus de pacification. Cela se déroule même dans des villages qui ont été ravagés, où nos églises ont été détruites, où les chrétiens avaient été forcés de partir, leurs maisons étant pillées et saccagées».

L’évêque ne se fait pourtant pas trop d’illusions: quand des familles ont dû laisser leur maison pendant 5 ou 6 ans, qu’elles se sont installées ailleurs, notamment à Damas, là où leurs enfants vont à l’école, là où elles ont transféré leur business, ce n’est pas sûr qu’elles veuillent revenir.

Une voie de non-retour

Même parmi ceux qui ont trouvé un havre de paix dans le Wadi al-Nasara, la «Vallée des Chrétiens», une région de la Syrie occidentale en bordure de la frontière libanaise, beaucoup continuent de partir. «Dès qu’ils ont un permis pour émigrer, qu’ils sont sur une liste de l’ONU, ils s’en vont vers l’Allemagne, la Suède, l’Australie, le Canada…»

Depuis que l’armée gouvernementale a chassé les rebelles de la Ghouta orientale – des quartiers, des villes et des villages dans les périphéries de Damas –  »c’est désormais calme dans la capitale».

Il faut tout reconstruire

Après l’évacuation des rebelles vers Idlib, Mgr Antiba s’est rendu dans la Ghouta orientale, avec l’évêque orthodoxe de Damas. «Nous avons vu l’ampleur des destructions, c’est terrifiant!  Nous aidons les chrétiens de la Ghouta qui s’étaient réfugiés à Damas – ils sont 3 ou 4’000 – et nous espérons qu’ils pourront retourner dans la Ghouta. Mais il faut tout reconstruire, et cela prendra du temps. Les maisons qui restent debout ont été complètement saccagées. Il fallait voir ce que contenaient les camions et les bus de ces ‘rebelles’ en partance pour Idlib: ils étaient pleins à craquer de biens pillés».

Concernant le sort de la poche d’Idlib, toujours aux mains de divers groupes rebelles et djihadistes, Mgr Nicolas Antiba relève que les pays d’origine de ces combattants islamistes ne souhaitent pas forcément les voir revenir.

L’Europe s’est fourvoyée, elle n’a plus son mot à dire

«Dieu seul sait comment cela va se terminer… à moins que la Russie et l’Amérique finissent par se mettre d’accord. Quant à l’Europe, qui s’est fourvoyée, elle n’a plus son mot à dire dans la région!»

Mais le vicaire patriarcal grec-catholique melkite de Damas veut tout de même terminer l’entretien sur une note positive: «On note un retour d’optimisme. Il faut voir le samedi soir comme les bars et les restaurants sont pleins à Bab Touma (la Porte Saint-Thomas), à Damas, où vivent nombre de chrétiens. Début septembre, 152 pays étaient représentés à la Foire de Damas. Une seule chose: arrêtez d’amener des armes dans ce pays, et pour le reste, on se débrouillera!» JB


Mgr Nicolas Antiba, spécialiste de l’Ecriture Sainte

Mgr Antiba est né à Alep en Syrie, le 25 décembre 1945. Le 23 juin 1964, il présente ses premiers vœux religieux dans l’Ordre Basilien Alépin. En 1967 son Ordre l’envoie à Rome  poursuivre ses études philosophiques et théologiques à l’Université Grégorienne où il obtient sa licence. Il est ordonné prêtre en 1971.

De 1971 à 1978, il continue ses études en langues sémitiques et en Ecriture Sainte à l’Institut Biblique Pontifical où il obtient sa licence et poursuit l’année préparatoire au Doctorat pour obtenir sa maîtrise en Ecriture Sainte. En 1978, son Ordre l’envoie aux Etats-Unis comme vicaire à la paroisse Sainte-Anne à West Paterson, dans le New Jersey.

En 1989, il est élu Supérieur Général de l’Ordre Basilien Alépin. En 1995, la Congrégation des Eglises Orientales le nomme Visiteur Apostolique de la Congrégation des Sœurs Basiliennes Alépines. En 1996, le patriarche Maximos V l’appelle au Grand Séminaire Patriarcal de Sainte-Anne pour en assurer la direction spirituelle et comme responsable de l’année pastorale. En 2000, le patriarche Grégoire III Laham le nomme chancelier du Patriarcat grec-catholique, sis à Raboué, au Liban. En 2002, il est nommé curé de la paroisse Saint-Julien-le-Pauvre à Paris et reçoit  la dignité d’exarque. Il est appelé à siéger dans plusieurs commissions au niveau de l’Eglise universelle, des Eglises catholiques orientales et de sa propre Eglise melkite. Il a enseigné l’Ecriture Sainte au Liban, à l’Université de Saint Esprit, à Kaslik, à l’Université des Pères Antonins et à l’Institut de Philosophie et de Théologie des Pères Paulistes. (cath.ch/be)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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