Orthodoxie: le ton monte encore entre Moscou et Constantinople

Le patriarche Bartholomée a, pendant longtemps, assuré que le Patriarcat de Constantinople reconnaissait dans le métropolite Onuphre de Kiev «l’unique chef canonique de l’orthodoxie en Ukraine». Désormais, Constantinople semble avoir choisi l’option d’une Eglise nationale ukrainienne «autocéphale», au grand dam de Moscou, mais avec le soutien du président ukrainien Petro Porochenko et du Département d’Etat américain. 

Désormais, le ton n’est plus aux politesses. Le Patriarcat œcuménique a décidé d’envoyer en Ukraine deux de ses représentants, des exarques d’origine ukrainienne. Leur mission: négocier avec les représentants des différentes Eglises ukrainiennes – canoniques et non canoniques – la possibilité de leur accorder l’autocéphalie. Ainsi, l’Eglise orthodoxe ukrainienne recevrait une indépendance totale et serait détachée du Patriarcat de Moscou. L’ancien exarque du Patriarcat de Moscou Philarète de Kiev, désormais «patriarche» schismatique de Kiev, exclut toute éventualité de ne pas être désigné lui-même comme patriarche de la nouvelle Eglise ukrainienne unifiée.

Soutien américain

L’ancien vice-président américain Joe Biden, a rencontré le 17 septembre 2018 aux Etats-Unis le «patriarche» schismatique de Kiev Philarète. Il a exprimé à cette occasion son soutien à la création d’une Eglise autocéphale en Ukraine. Selon le communiqué de presse du «Patriarcat de Kiev», Joe Biden a souligné l’importance d’une Eglise ukrainienne autocéphale unie «pour affermir la souveraineté ukrainienne». Il a en outre exprimé à Philarète sa gratitude pour son œuvre de «propagation de la spiritualité dans la société ukrainienne, pour son aide à l’armée ukrainienne et son combat contre la corruption…» Philarète a également été reçu à cette occasion au Département d’Etat américain.

Constantinople accusé de vouloir «légaliser le schisme»

La «guerre» entre Moscou et Constantinople, accusé de vouloir «légaliser le schisme», semble dès lors déclarée. Si le Patriarcat œcuménique de Constantinople prend des mesures pour mettre en place une juridiction parallèle en Ukraine, le Patriarcat de Moscou la considérera comme schismatique, affirme le métropolite Antoine de Borispol et Brovary, chancelier de l’Eglise orthodoxe ukrainienne relevant du Patriarcat de Moscou. Le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe russe a d’ores et déjà décidé de riposter et de prendre une mesure exceptionnelle: il suspend provisoirement la commémoration liturgique du patriarche de Constantinople.

Le métropolite Hilarion de Volokolamsk, président du Département des relations ecclésiastiques extérieures du Patriarcat de Moscou, explique que l’Eglise orthodoxe se compose de 15 Eglises locales. Le lien de prière entre les Eglises orthodoxes s’effectue par la commémoration liturgique des primats de chaque Eglise par les autres primats, en commençant par le patriarche de Constantinople, qui dispose d’une primauté d’honneur.

En interrompant cette pratique Moscou rompt pour ainsi dire les relations diplomatique avec Constantinople, a commenté Hilarion.

Une action «anti-canonique»

De son côté, le métropolite Onuphre de Kiev a refusé de recevoir les envoyés de Constantinople, tous deux d’origine ukrainienne, l’un venant des Etats-Unis et l’autre du Canada. «A notre avis, ils sont présents et agissent de manière anti-canonique. Par conséquent, lorsqu’ils ont demandé à être reçus par le primat de notre Eglise, le métropolite Onuphre a catégoriquement refusé de le faire», souligne le métropolite Antoine.

La venue des légats de Constantinople aurait dû être négociée et ils auraient dû recevoir l’autorisation de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, estime-t-il. «Ils viennent non pas en pèlerins, mais avec la mission claire de poursuivre des projets qui leur sont propres. Compte tenu de tout cela, nous devons reconnaître l’absence de tout dialogue direct avec le Phanar», à savoir avec Constantinople.

Un scénario destructeur

«Ce scénario est destructeur, car il enterrerait l’idée même d’une Eglise orthodoxe unifiée en Ukraine. C’est sûr qu’il n’y aura pas d’Eglise unifiée en Ukraine non seulement dans les décennies, mais aussi dans les siècles à venir», déplore le métropolite Antoine.

Le chancelier a assuré, dans une interview à l’agence de presse ukrainienne RBC que les fidèles de l’Eglise orthodoxe d’Ukraine défendront leurs églises, alors que le ministère ukrainien de la Culture aurait déjà reçu une directive pour préparer tous les documents en vue de l’enregistrement de la nouvelle structure de l’Eglise autocéphale.

Il a affirmé en outre que certains groupes nationalistes ont reçu des instructions pour entreprendre des provocations le 14 octobre prochain dans les laures (monastères) de Kiev et de Potchaïev.

Désobéissance civile

«Nos fidèles défendront leurs églises. S’il n’y a pas d’espoir pour une protection légale, il ne reste pas d’autre possibilité que de se défendre soi-même». Il a cité un document interne selon lequel, dans des situations complexes, l’Eglise «peut s’adresser à ses enfants par un appel à la désobéissance civile pacifique».

Selon l’Union des journalistes orthodoxes d’Ukraine, le «patriarche» Philarète a rencontré le directeur du domaine national de la laure des Grottes de Kiev, Alexandre Roudnik, et a exigé que le 19ème bâtiment conventuel de la laure soit rapidement transféré au «Patriarcat de Kiev». Cette demande de retirer la laure à l’Eglise orthodoxe d’Ukraine est déjà parue sous forme de pétition sur le site du cabinet du ministre ukrainien de la Culture.(cath.ch/orthodoxie.com/interfax/be)

 

 

Jacques Berset

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