Les visages de la paix

La Suisse fêtait le 25 septembre Nicolas de Flue avec certes plus de retenue qu’en 2017 à l’occasion du 600e anniversaire de son saint patron. Cet artisan de paix a su fédérer au-delà des clivages politiques et religieux. Aujourd’hui comme hier, la paix reste toujours à cultiver. Suffit-il dès-lors de la préserver dans son jardin bien clôturé?

La procédure de sanction entamée par l’Union européenne à l’encontre de la Hongrie et de la Pologne est à ce titre paradigmatique. On assiste à un glissement entre l’asservissement des institutions au pouvoir et une présumée standardisation supranationale qui malmènerait les particularismes. Où placer la ligne de crête pour promouvoir la paix? Que doit-on faire: donner la priorité à une approche bottom up ou top down?

On le voit: un climat de peur et de défiance, marqué par les résurgences nationalistes et la tentation autoritaire et/ou populiste de certains pays, met à mal les fragiles équilibres patiemment cultivés. Face à cette évolution, la force opératoire des traités internationaux s’essouffle. Cela sonne comme un avertissement pour le continent, qui oublie peu à peu la marque encore ardente de ses guerres et sa vocation avant tout pacificatrice.

«La vraie paix est œuvre de justice et de charité»

Que faire dès lors? L’heure n’est certainement pas à opposer les approches – l’une au détriment de l’autre, mais à chercher ce qui permet de cultiver l’unité, dans le respect d’une saine diversité fondée sur la dignité humaine en vue du bien commun. C’est là que Nicolas de Flue devient inspirant. Homme pacifié par une intense vie de prière, il a su harmonieusement conjugué différents états de vie et services rendus à sa patrie et à son Dieu. De père de famille à ermite, de soldat à juge, il nous rappelle que les composantes d’une paix durable, tant intérieure qu’extérieure, sont multidimensionnelles.

L’enseignement social de l’Eglise insiste là-dessus avec force. Au-delà des simplifications binaires dans lesquelles nous évoluons hélas bien trop souvent, il rappelle que la vraie paix – celle qui est durable et harmonieuse – est œuvre de justice et fruit de la charité. La paix ne peut donc surgir qu’au travers d’une trame aux points d’ancrages multiples, soutenue par les cadres économique et politique, dans le respect de ce qui constitue l’essence de l’enseignement social de l’Eglise: la dignité de la personne.

«Le jeûne de l’ermite du Ranft n’est pas à mésestimer»

Pour qu’une véritable dynamique de paix se mette en marche, il ne faut pas alors compter seulement sur des structures, mais avant tout sur des comportements vertueux capables de changer si besoin ces structures. A cela s’ajoute une authentique culture du dialogue et du respect inter-religieux à favoriser.

Là encore, Nicolas de Flue offre un témoignage saisissant. Dans un monde marqué par la surconsommation, il nous rappelle qu’une véritable promotion de la paix ne saurait faire l’impasse d’une certaine forme d’ascèse. Au milieu du 20e siècle, Paul VI a dit que le développement serait le nouveau nom de la paix. Aujourd’hui, son nouveau visage ne devrait-il pas prendre aussi les contours de la sobriété?

Les résultats massifs des dernières votations à propos des aliments équitables et de la souveraineté alimentaire ne confirment pas cette tendance. Ils la repoussent à un horizon lointain. Il en va de même pour la paix. Plutôt que d’abandonner la paix à son acception négative (la paix comme absence de guerre) et de n’y voir qu’un horizon inaccessible, il serait plus judicieux d’en faire un outil positif, un moyen et non pas un but lointain. Et ce déjà par des actions personnelles concrètes. Le jeûne de l’ermite du Ranft, au-delà de sa radicalité, n’est pas à mésestimer.

Paul H. Dembinski & Pascal Ortelli

26 septembre 2018

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