Homélie du 7 octobre 2018 (Mc 10, 2-16)

Chanoine Michel-Ambroise Rey – Ecole des Missions, Le Bouveret, VS

Les touristes qui arriveront à Lima durant ce mois d’octobre 2018 auront une impression extraordinaire de la capitale du Pérou lorsqu’ils verront défiler des milliers de personnes derrière l’image du Seigneur des Miracles, spécialement les 18 et 28 octobre. Ils seront d’autant plus frappés que parmi tous ces dévots ils apercevront une quantité de fidèles revêtant des habits aux couleurs des grands ordres religieux tels que les dominicains, les franciscains, les mercédaires et ils se rendront compte de la vivacité de la foi dans ce pays, fruit de plus de cinq cents ans de présence missionnaire. Impossible d’éviter ces processions car elles sont présentes dans tous les quartiers de la métropole !

Les visiteurs s’écrieront devant la piété populaire et les processions de plus d’un million de fidèles : ici en tout cas, il n’y a ni crise de la foi ni crise des vocations !

Une piété populaire nourriture de l’âme

Tous ces participants à ces grandes démonstrations d’amour du Christ sont tout simplement des fans de saint Dominique, de sainte Thérèse d’Avila ou de Lisieux, de saint Martin de Porras, ou du Christ crucifié et ils portent ostensiblement la tenue de leur saint de prédilection. Leur piété populaire est la nourriture quotidienne de leur âme !

Ils souhaitent, comme le disait l’oraison d’ouverture de cette eucharistie, annoncer le Seigneur Jésus à tous les hommes et toutes les femmes de leur pays. Ils sont missionnaires !

J’aime ce pays où j’ai vécu une quinzaine d’années et j’ai  remarqué que tous les Européens qui le visitaient allaient de surprise en surprise en découvrant l’architecture des églises, la beauté du paysage, la splendeur des tissus, le goût des aliments préparés à la mode des Incas.

L’humour de Dieu

J’ai remarqué aussi que mes amis se réjouissaient de visiter des communautés chrétiennes  des quartiers populaires où ils rencontraient  des femmes avec une petite croix sur leur poitrine, entourées  de très nombreux enfants ou de mamans, faisant la cuisine ou donnant des leçons de catéchisme. Ce sont elles qui, comme « Marie, renversent les puissants de leurs trônes, élèvent les humbles, renvoient les riches les mains vides et comblent de biens les affamés (cf. Lc1,46-56) ». Ce sont ces milliers de religieuses qui jour après jour donnent leur vie en enseignant que la Loi du  Seigneur est parfaite et qu’elle redonne vie (cf. psaume 18b) et qu’il est « heureux celui qui craint le Seigneur et marche en ses voies (ps. 127».

Sans le savoir elles étaient les fondatrices de la théologie de la libération, car l’humour du Dieu des surprises est de choisir les faibles pour confondre les puissants. L’humour du Dieu des surprises est si admirable qu’il nous réserve le meilleur pour la fin, comme il le fit pour la création de la femme, dont nous parlait la première lecture (cf. Gen.2,18-24).

La théologie de la libération

Toutes proportions gardées, l’humour du Dieu des surprises ne pouvait-il pas se manifester encore d’une manière toute différente après avoir engendré un si beau pays? Toutes ces merveilles de la nature ne pouvaient-elles pas laisser présager l’engendrement d’une merveille encore plus grandiose et plus inattendue dans le monde religieux ?

Je me permets donc de prolonger mon enthousiasme  pour le Pérou par cette comparaison audacieuse : lorsque j’ai vu  le volcan Sabanqaya, le 7e volcan du monde par son altitude à 5967 mètres, se prolongeant par une éruption toujours active de fumées de 2 kilomètres de hauteur sur 500 mètres de large, j’ose dire que ce phénomène naturel exceptionnel d’une rare beauté était le présage de l’engendrement d’un homme qui allait provoquer une éruption et irruption bien plus grande que celle du volcan Sabanqaya en offrant au monde la théologie de la libération.

Né au Pérou le 8 juin 1928, âgé de 90 ans aujourd’hui, le père Gustavo Gutierrez a provoqué une irruption extraordinaire dans l’Eglise péruvienne, dans l’Eglise latino-américaine et qui poursuit encore son irruption en Europe et dans le monde. Gustavo Gutierrez, le père de la théologie de la libération, qui,  après avoir vaincu une très grave maladie dans sa jeunesse, fit des études de médecine, bifurqua ensuite vers le séminaire, devint prêtre, étudia les textes du Concile Vatican II, et plus particulièrement le pacte des catacombes, signé par 39 évêques latino-américains le 9 novembre 1965.

Ce prêtre d’origine très modeste, grâce à son cœur de pasteur, à une intelligence prodigieuse, à une érudition incroyable dans tous les domaines, potassant la Bible, a mis en route un groupe de religieuses ainsi que des gens tout simples de sa paroisse et des jeunes étudiants en les invitant à « manger la Parole de Dieu » et à la proclamer toujours et partout, si bien que le pauvre a fait irruption au cœur de la liturgie. Les communautés ecclésiales de base surgirent et provoquèrent une incroyable éruption dans le landerneau ecclésial : le pauvre prend la parole dans l’Eglise et revendique sa dignité d’enfant de Dieu, illuminé par l’Esprit Saint.

La hiérarchie et le Vatican sont paralysés par la peur. Cette théologie profondément biblique et mariale (cf. l’évangile du jour) essaima dans tout le Pérou, dans toute l’Amérique Latine, divisant les uns contre les autres bien des évêques et des prêtres soucieux de conserver leurs prérogatives et leurs privilèges.

Amour préférentiel pour les pauvres

A l’occasion de son anniversaire le 8 juin le Pape François écrivait ceci au Père Gustavo : La Croix met en valeur les lieux ou les sujets où se joue la dignité des hommes et des femmes de ce temps.

« Je m’associe à ton action de grâces à Dieu et je te remercie aussi pour ta contribution envers l’Église et l’humanité à travers ton service théologique et ton amour préférentiel pour les pauvres et les exclus de la société ».

 « Merci pour tous tes efforts et pour ta façon d’interroger la conscience de chacun, afin que personne ne reste indifférent au drame de la pauvreté et de l’exclusion. Je t’encourage à persévérer dans la prière et ton service aux autres en offrant un témoignage de la joie de l’Évangile ».

Aujourd’hui, dans notre diocèse de Sion, à Leysin  et aux Diablerets, la théologie de la libération est bien vivante et rafraichissante dans nos eucharisties. Lorsque par exemple un  handicapé  au quotient  intellectuel très faible servant depuis 12 ans la messe tous les dimanches prend difficilement la parole en enjoignant  ses frères et sœurs à se donner la paix avant la communion ; en l’entendant, tout le monde ressent une impressionnante émotion. La théologie de la libération est aussi présente lorsque la Parole circule librement pendant la prière universelle  quand de nombreux fidèles de toute langue, de toute race et de toute couleur  expriment leurs demandes ou leurs actions  de grâce en ayant en main un micro baladeur.

Lorsque la théologie de la libération resplendira dans toutes les églises du monde et dans toutes les communautés religieuses permettant de libérer la liturgie de son carcan ancestral et intellectuel pour nous offrir la nouveauté et la fraîcheur de l’Evangile, alors les pauvres du monde nous évangéliseront comme Marie en laissant la Parole du Christ opérer son éruption et son irruption dans nos vies, « faisant de tout son peuple un peuple de prophètes (cf.Nombres 11,29) »!

Pour ma part, ma reconnaissance à l’égard de Gustavo Gutierrez, que j’ai eu l’honneur de très bien connaître, et de l’Eglise du Pérou est incommensurable et source d’une joie inépuisable.

Qu’il en soit ainsi pour vous toutes et tous. Amen. Alléluia !


27e dimanche du temps ordinaire , année B

Lectures bibliques : Genèse 2, 18-24; Psaume 127, 1-2, 3, 4-6; Hébreux 2, 9-11; Marc 10, 2-16 (ou 10, 2-12)


 

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