Père Xavier Arbex: «Le pape a eu une parole très forte»

L’Eglise célébrera le 21 octobre le dimanche de la Mission universelle. Pour sa campagne 2018, Missio Suisse invite à partir à la découverte des chrétiens de l’Amazonie Péruvienne. Le prêtre genevois Xavier Arbex vit au Pérou depuis 45 ans. Il raconte la vie difficile des habitants de l’Amazonie et son action en faveur des enfants.

Lors de sa visite au Pérou, le pape François s’est rendu le 19 janvier dernier dans le foyer «El Principito» fondé par le Père Arbex à Puerto Maldonado .

Quelle a été la genèse du foyer «El Principito» (le petit prince») que le pape a visité à Puerto Maldonado?
Xavier Arbex:
Nous avons commencé à travailler sur la situation des enfants abandonnés, orphelins, en relation avec le problème de l’extraction de l’or dans la région. Il fallait notamment envoyer les enfants dans d’autres villes pour être soignés. Nous avons alors créé en 1996 à Puerto Maldonado l’association Apronia (association de protection de l’enfant et de l’adolescent), le gouvernement ayant décrété une loi municipale sur la défense des enfants et des adolescents. Apronia comprend le foyer «El Principito», une aide sociale et trois entreprises pour donner du travail et financer le foyer.

Ce projet fonctionne. Ce n’est pas facile, il faut être autosuffisant. Apronia emploie 85 personnes. Nous avons un tea-room glacier, un lodge touristique dans la forêt et une papeterie. Nous finançons le foyer et les études supérieures des jeunes. Ce foyer est comme une famille avec quarante enfants, plus les jeunes.

Comment s’est déroulée la visite du pape?
C’est difficile à décrire. C’était émouvant et simple. Il y a eu six mois de préparation pour 30 minutes de visite. Le pape était attentif et content. On voyait que le courant passait. Le personnel d’Apronia s’est senti valorisé. Aujourd’hui, personne ne parle plus de ce qui s’est passé, comme si c’était oublié. Si Ronaldinho (un footballeur brésilien, ndlr) était venu, ça aurait été pareil (rires).

La visite du pape est tout de même restée dans les mémoires, surtout des enfants, mais on n’en parle pas, même dans les journaux à Puerto Maldonado. L’évêque espérait que cette visite apporterait un nouveau souffle pour réorganiser le diocèse mais ce n’est pas le cas. Malgré toute la préparation, les gens savaient-ils vraiment qui est le pape? Ici, les gens pratiquent une religion de dévotion et non d’approfondissement. Ceux qui ont été catéchisés ont certainement une perception du pape qui restera plus longtemps. Le gros de la population a regardé cette visite du point de vue mercantile et pratique, comme les questions de sécurité. C’était une fête, surtout pour les enfants, mais ça passe. Il n’en est pas resté grand-chose apparemment, même parmi le clergé.

Quelles sont les principaux défis de la région? Ont-ils été abordés par le pape?
L’or est le problème de base qui provoque des dégradations, de la décadence, de la pollution. Les problèmes principaux sont les travailleurs qui disparaissent, la prostitution, la malnutrition et la migration. L’or n’a jamais apporté de progrès. Les indigènes sont complètement absorbés et ils doivent lutter pour ne pas perdre leur identité. Il y a aussi le trafic de la coca et la mafia du bois précieux. À part la culture de la noix du Brésil et le tourisme, les activités économiques locales sont négatives. Les lois sont bonnes mais ne sont pas appliquées. Il y a beaucoup de délinquance.

Le pape a eu une parole très forte en faveur des indigènes, des enfants et de l’écologie. Il a dénoncé les abus. Les gens savaient qu’il allait en parler. Ils avaient peur que la répression contre les chercheurs d’or n’augmente. Mais rien n’a bougé car des gens ont des intérêts à Lima [la capitale, ndlr]. Environ 25’000 à 30’000 chercheurs d’or extraient chaque année 44 tonnes d’or. 80% de cet or va d’ailleurs en Suisse.

Vous avez travaillé avec les chercheurs d’or; pensez-vous que ce phénomène puisse être éradiqué?
On ne peut pas éradiquer le phénomène des chercheurs d’or. Ils travaillent dans des milliers de campements de 10 à 12 personnes et pas dans une grande mine. C’est indestructible et ces mines continuent de s’étendre dans les parcs nationaux. Il y a aussi d’autres trafics. Dans le nord, ils cultivaient du très bon café. Les narcos [narcotrafiquants, ndlr] sont arrivés et ont obligé les gens à passer de la culture du café à celle de la coca. Il y a des mafias partout. Il peut y avoir des enlèvements, des règlements de compte.

Le gouvernement ne parvient pas à détruire une chose internationalement et légalement condamnée. Les chercheurs d’or vivent avec leurs propres lois. C’est un Etat dans l’Etat. Il y a des centres qui disposent de tout à des prix élevés. Les chercheurs d’or viennent s’y approvisionner puis ils rejoignent leurs campements. Ils sont mobiles. Depuis 1985, la situation a empiré et cela me déçoit. Les chercheurs d’or me connaissent. Ils disent que le Padre Javier est un révolutionnaire qui veut tout changer et qu’il a raison. Ils viennent à l’Eglise car ils sont dévots et superstitieux. D’autres font un pacte avec le diable.

En conclusion, face à cette situation, la visite du pape n’a pas eu les retombées espérées?
On ne peut pas poser une conclusion utilitaire à des démarches spirituelles et religieuses. Au niveau des changements, la visite du pape n’a servi à rien. Par contre, ses discours et les documents sont passés dans la catéchèse et dans la prédication. J’ai repris dans mes prédications des extraits du discours du pape à Puerto Maldonado. Cette visite a certainement changé la vision de l’Eglise pour les indigènes. Ils avaient la vision d’une Eglise venue les coloniser. Dans notre région, la mission s’est bien passée. Les dominicains ont d’emblée parlé de la protection de leurs droits. Mais les indigènes ne sont pas reconnus. Aucune rue de Puerto Maldonado ne porte un nom indigène. Les indigènes souffrent des chercheurs d’or, mais il y a aussi des indigènes chercheurs d’or. La situation est complexe.

Chez nous, il y a une ruée vers l’or depuis vingt ans. Je l’ai dénoncée pendant quatorze ans. Il a fallu les images satellites des destructions pour que les ONG se réveillent. Personne ne bouge, c’est frustrant. Quand le pape vient et prend fait et cause pour la même chose, ça fait du bien de l’écouter.


Xavier Arbex

 

Xavier Arbex est prêtre Fidei Donum au Pérou depuis 45 ans. Né en 1942, il est ordonné prêtre à Genève en 1968. Il y débute son ministère mais manifeste le souhait de partir en mission «avant l’âge de 30 ans». En 1974, il se rend au Pérou, sur les Hauts plateaux du sud andin. Il y découvre la réalité des chercheurs d’or et du travail des enfants partis travailler en Amazonie. Xavier Arbex revient à Genève en 1980 où il s’occupe d’un foyer pour enfants et adolescents. Il repart en 1985 pour l’Amazonie péruvienne. Il vit huit ans à Mazuko, au milieu des chercheurs d’or, et y crée trois paroisses. Il s’établit enfin dans la ville de Puerto Maldonado au sud de l’Amazonie, où il fonde le foyer pour enfants et jeunes en difficulté «El Principito» (le petit prince). Il était de passage en Suisse en juin dernier. Missio a saisi l’occasion de l’interroger.


Le dimanche de la Mission universelle

Le dimanche de la Mission universelle est l’occasion de fêter l’unité des Eglises locales, par la prière, l’échange et le partage, rappelle Missio Suisse. Il est célébré cette année le 21 octobre. Le pape publie également un message pour cette journée. Les paroisses du monde dédient leurs collectes de ce dimanche au fonds de solidarité de l’Eglise universelle. L’argent ainsi récolté est destiné aux Eglises locales qui ne disposent pas encore de l’autonomie financière nécessaire. Leurs projets pastoraux et sociaux sont ainsi soutenus. (cath.ch/missio/hg/mp)

Maurice Page

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