Gerhard Ulrich: «L'AfD n'est pas compatible avec le message chrétien»

Après les récentes élections en Bavière où le parti populiste d’extrême-droite Alternative pour l’Allemagne (AfD) a obtenu 11% des suffrages, les Eglises s’interrogent sur la montée du populisme et du nationalisme. Gerhard Ulrich, président de l’Église évangélique luthérienne unie d’Allemagne, estime que le programme de l’AfD n’est pas compatible avec le message chrétien.

Voyez-vous l’Alternative für Deutschland (AfD) comme un danger pour l’Allemagne?
Gerhard Ulrich: Cela dépend du point de vue. Le parti en tant que tel n’est pas un danger, mais les idées qu’il représente oui. Elles sont un danger pour notre cohésion démocratique et notre attitude humanitaire, qui restent fortement imprégnées par les valeurs chrétiennes de miséricorde, de dignité de la personne, de liberté, d’accueil de la diversité des cultures. Beaucoup d’éléments du programme de l’AfD ne sont pas compatibles avec le message chrétien.

Selon divers observateurs, le risque est que l’AfD et les idées qu’elle propage deviennent convenables, respectables.
Je partage tout à fait ce point de vue. Nous vivons en Allemagne, mais aussi dans le monde, une tendance à outrepasser les limites de ce qui était considéré comme un consensus pour ne pas retirer leur dignité aux personnes, de ne pas les marginaliser, de ne pas les persécuter parce qu’elles sont différentes de nous, ont une autre langue, une autre couleur de peau ou une autre opinion politique.

Après la terrible expérience des crimes nazis de la 2e Guerre mondiale, les concepteurs de notre loi fondamentale ont considéré que la dignité de la personne humaine était intouchable et pas uniquement la dignité des Allemands. Pour moi, il s’agit du fondement de notre vie commune. Celui qui croit pouvoir se placer au-dessus des autres en raison de sa nationalité, de sa langue ou de sa position politique, met en danger la cohésion sociale.

«Nous devons dire que les populistes ne sont pas la majorité»

De grandes manifestations ont eu lieu à Berlin ou à Munich pour dire non au racisme et à l’exclusion. Est-ce un signal important pour la société?
Cela me remplit d’espoir. Nous devons dire que les populistes ne sont pas la majorité. La démocratie que nous avons bâtie après la guerre, sur les ruines du nazisme, est un bien si élevé que nous devons nous lever pour la défendre contre toute tendance au mépris de la personne, au racisme, ou à l’antisémitisme.

Dès lors peut-on être chrétien, membre d’une Eglise, et en même temps adhérer à l’AfD?
Pour moi, ce n’est pas la question. Dans l’Eglise, les gens peuvent appartenir à divers partis politiques. Ce n’est pas un critère. Ce qui compte est ce que pense la personne, de voir la cohérence entre ce qu’elle dit et ce qu’elle fait, si elle est en accord avec ce qu’elle a reçu lors de son baptême. Je crois que le programme de l’AfD n’est pas compatible avec la foi chrétienne. Mais chaque personne est responsable pour elle-même. Je suis très heureux que nous n’ayons pas un examen des consciences. Mais nous devons nous comporter en chrétiens et dire, de manière plus claire, ce qui est conforme à notre foi ou ne l’est pas.

«En fait, les Verts ont gagné encore plus de voix que l’AfD»

11% des voix pour l’AfD en Bavière, est-ce un signe de l’évolution politique en Allemagne?
L’AfD a gagné du soutien également dans d’autres votes en Allemagne. Nous verrons si cela sera durable. Beaucoup de gens ont voté pour l’AfD en disant vouloir exprimer une protestation contre les partis établis dont ils ont l’impression, notamment en Bavière, qu’ils se sont totalement approprié le pouvoir, se comportant comme si le pays leur appartenait. Nous avons besoin d’un nouveau départ. Mais avec l’AfD, nous ne l’aurons pas. En fait, les Verts ont gagné encore plus de voix que l’AfD. Ce que j’apprécie, car dans ce parti, la plupart des gens sont d’accord avec les fondements de notre constitution et de nos valeurs chrétiennes et se positionnent de manière positive. Si les forces démocratiques, des conservateurs jusqu’à la gauche, se retrouvent, nous pourrons continuer à façonner cette démocratie.

En Allemagne les peurs sont élevées face à la situation économique, au chômage, à l’afflux de réfugiés et de migrants, au risque de perte de leur identité. Que peut faire l’Eglise?
L’Eglise peut faire beaucoup. Nous sommes en route avec d’autres, par exemple pour l’accueil des réfugiés et des migrants. Nous pouvons faire beaucoup à travers nos réseaux dans le monde pour dire aux gens, vous ne devez pas avoir peur des cultures étrangères, vous pouvez apprendre à les connaître. Nous le vivons chaque fois que nous mettons ensemble des personnes. Des réfugiés qui ont dû fuir avec les gens du pays qui craignent de perdre ce qu’ils ont. Ce peut être une importante contribution des Eglises. Pas seulement en Allemagne d’ailleurs.

«Il faut que nous formions une société qui apprend à partager»

Face aux peurs, ce discours et cet engagement sont-ils suffisants?
Face aux populismes, nous pouvons mettre un autre accent. La peur n’est jamais bonne conseillère. Je comprends le sentiment de ceux qui se sentent oubliés du monde politique. Dans ma région d’Allemagne du Nord, nous n’avons pas bénéficié de l’essor économique promis lors de la réunification des deux Allemagnes, mais plus tôt le contraire avec un chômage de longue durée. Que ces gens soient excédés et craignent de perdre le peu qu’ils ont, je peux très bien le comprendre. La politique et les Eglises seraient bien inspirées de s’adresser à ces gens de les accompagner sur la route en prenant leurs peurs au sérieux.

Le travail de l’Eglise envers les migrants est-il menacé notamment par le risque de baisse des revenus de l’impôt ecclésiastique?
Ce n’est pas en premier lieu une question d’impôt, mais d’engagement de très nombreuses personnes. Dans notre Eglise luthérienne d’Allemagne du Nord, qui compte 2,2 millions de fidèles, des milliers de bénévoles se sont engagés sans rien demander pour l’aide aux réfugiés. Ils donnent des cours d’allemand, accompagnent les réfugiés dans leurs démarches administratives, leur font de la place dans leur maison, leur donnent de l’argent, leur consacrent du temps. C’est cela qui est décisif. Que nous formions une société qui apprend à partager.

Notre système social allemand a permis la prise en charge de ces gens qui ont fui leur pays, mais partager c’est encore autre chose. C’est donner une partie de ce que j’ai à disposition pour ma vie. Il ne s’agit pas seulement de pain et d’argent, mais de joie, d’amour, de miséricorde. Avec ce que les économistes jugent sans valeur, nous ne pouvons pas construire une économie, mais nous pouvons bâtir et maintenir une société humaine. Je ne pense pas que si nous avons moins, que si notre Eglise se réduit, notre engagement diminuera, au contraire, il prendra encore plus de force dans la société.

«La croix ne peut pas être réduite à un étendard culturel»

Un des signes de la crispation identitaire vécue en Allemagne a été l’obligation pour les institutions publiques de Bavière de mettre des crucifix dans leurs locaux.
Je crois que ce n’est pas du tout la bonne voie. La croix renvoie à l’amour de Jésus pour les plus faibles, les plus pauvres, elle ne doit pas être politisée. Elle ne peut pas être réduite à un étendard culturel. Elle est beaucoup plus que cela. C’est l’histoire de Jésus-Christ qui a été cloué sur la croix parce qu’il a exprimé la résistance au monde. Si la politique pouvait incarner un peu cette résistance, ce serait un signe beaucoup plus important qu’une petite croix au mur d’un bureau. (cath.ch/fh/mp)


Interview réalisée dans le cadre de la Rencontre de dialogue et prière pour la paix #pontedipace2018 (Sant’Egidio), Bologne, 14 au 16 octobre 2018.

Maurice Page

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