Un Concile à parité hommes-femmes: une pétition est lancée

La Conférence catholique des baptisé-e-s francophone (CCBF) lance un appel au pape François: convoquer un Concile avec une parité homme-femmes. Une pétition a été mise en ligne sur Internet en ce sens. Anne Soupa, présidente de la CCBF, explique la démarche.

«Nous souhaitons répondre à votre appel»: la CCBF s’adresse au pape en lançant une pétition sur Internet. Dans la lettre au peuple de Dieu d’août 2018, dit la CCBF, «vous condamnez le cléricalisme comme une des causes du mal et vous faites appel aux baptisés pour vous aider à résoudre le problème».

La Conférence des baptisé-e-s francophone demande donc au pape de convoquer «un Concile du peuple de Dieu en réunissant à parité des représentants du peuple de Dieu, hommes et femmes, laïcs et clercs». Ce Concile serait perçu, estiment les pétitionnaires, comme «le signe de votre volonté d’un profond renouvellement dans l’Église et permettrait de lui redonner la confiance de ses membres. Ce serait un moment de vérité pour offrir à notre Église les conditions d’une vraie renaissance et définir un nouvel avenir partagé par l’ensemble des croyants», indique la CCBF.

Ce Concile du peuple de Dieu que vous souhaitez, n’est-ce pas déjà ce que Vatican II essayait de mettre en œuvre?
Anne Soupa: Vatican II était un concile d’évêques. D’évêques remarquables, à l’écoute des besoins des temps et aussi du christianisme des origines ce qui a permis à notre Église de se recentrer autour du Christ, et non plus sur une hiérarchie et une liturgie sédimentées par les siècles et particulièrement oublieuses du corpus évangélique. Le concile que nous demandons est paritaire «hommes/femmes et clercs/laïcs». Une première!

Si j’ai bien lu ce qu’en dit Jésus, le seul sacré chrétien, c’est le visage du frère – ou de la sœur

La Conférence des baptisé-e-s pense qu’aujourd’hui il faut de toute urgence réfléchir au sensus fidei, au «sens de la foi» que saint Jean reconnaît à tout disciple de Jésus. Les ecclésiologues, ceux qui travaillent sur la structure de l’Église, ont établi que ce sensus fidei, revisité par le sensus fidelium (le sens de la foi de tous les fidèles) accordé au pape, couplé avec lui, doit éclairer les décisions de l’évêque de Rome.

Mais en pratique, comment cela se passe-t-il? Comment définit-on leur articulation? Leur mise en œuvre? Comment le pape décide-t-il? Les théologiens ne se sont jamais sérieusement penchés sur la question. En général, on sort du grenier le «sens de la foi» quand il vous arrange et on le remise s’il vous contrarie. Dès qu’un évêque entend le mot de «démocratie», il s’exclame d’un revers de main que l’Église n’est pas une démocratie. Mais que fait-il du sens de la foi des fidèles? 

Ne craignez-vous pas que cette pétition ne réveille les forces opposées au renouvellement de l’Eglise et qui sont très actives en France?
Les forces opposées au renouvellement de l’Église ont prospéré parce que tout le monde s’est tu devant elles. Elles apportaient des services, de l’argent, parce que, ayant travesti le christianisme en morale, elles ont eu des soutiens politiques. Et elles ne critiquaient pas la manière dont l’Église était gérée, du moment qu’elles parvenaient à y occuper des fonctions stratégiques. Continuer à se taire revient à faire leur jeu, nourri d’intimidations de plus en plus fortes. Veut-on refaire Munich [N.d.l.r.: conférence tenue en 1938 entre Hitler, Mussolini, Chamberlain et Daladier]? Pour avoir sans cesse reculé, les démocraties occidentales ont eu la honte plus la guerre.

Dans ces conditions, asseoir toutes ses convictions sur la manière dont autrui va les recevoir, vous donne, non seulement de grandes chances de rester silencieux toute votre vie, mais de faire venir à la tête de l’Église ces mêmes forces que vous voudriez dénoncer. C’est une forme très aboutie du chantage que de gronder en menaçant de gronder plus fort si on parle. L’épiscopat français semble d’ailleurs en être la victime. Mais les chrétiens sont les fidèles du Christ Parole, ils ne sont pas des porteurs de muselières. Un chrétien ne doit-il pas avoir davantage peur de son silence que de sa parole?

 Mais lutter contre le cléricalisme comme vous essayez de le faire, n’est-ce pas fragiliser l’image du prêtre, souvent critiqué et dont la majorité souffre du dégât d’image infligé par les affaires de pédophilie?
Cela, il faut d’abord le dire au pape! C’est François qui a parfaitement défini le cléricalisme. Et il sait de quoi il parle; relisez la lettre qu’il a adressée au cardinal Ouellet: «Nul n’est baptisé évêque». «Le baptême précède l’ordination».

Oui, la plupart des prêtres souffrent et nous devons tous absolument éviter d’avoir des propos stigmatisants à leur égard. Mais c’est, bien sûr, la pédophilie qui a fragilisé l’image du prêtre et non la lutte contre le cléricalisme; ne renversons pas l’ordre des facteurs!

Alors comment faire reculer le cléricalisme?
Pour cela, il faut d’abord combattre vigoureusement le retour du sacré, qui vient d’une société civile en mal de transcendance. Les prêtres de la nouvelle génération s’en sont emparés, au point d’exclure les fillettes de l’autel, car, selon eux, elles ne doivent pas avoir part au sacré. Mais c’est une véritable hérésie de soutenir cela! Et personne, en France, n’y trouve à redire… Or, si j’ai bien lu ce qu’en dit Jésus, le seul sacré chrétien, c’est le visage du frère – ou de la sœur.

Ceci dit, il faut ouvrir les yeux et regarder profond: les causes du cléricalisme sont multiples et très disséminées dans le corps de l’Église. Et celui-ci ne pourra disparaître que si l’on accepte de repenser l’ensemble des caractéristiques du ministère ordonné: définition de la vocation, état de vie, statut ecclésial, en particulier.

Je rêve d’un ministère presbytéral vraiment pauvre, totalement déconnecté de l’exercice du gouvernement dans l’Église. Cela, au moins, signifierait le Christ pauvre. C’est une très lourde tâche, mais d’elle dépend l’Église de demain.

Votre objectif est d’atteindre les 10’000 signatures. N’est-ce pas trop modeste eu égard à votre objectif?
Si, mais l’expérience en matière de pétition nous a rendus prudents. Souvent les pétitions à succès sont celles qui répondent à des demandes affectives de l’opinion. Les pétitions rationnelles, moins nées dans l’urgence d’une actualité qui les booste, ont plus de mal à faire des scores de stars!

Comment définiriez-vous la CCBF à l’origine de cette initiative?
La Conférence des baptisé-e-s a pour objectif de sensibiliser l’ensemble des baptisés, laïcs autant que clercs, à la responsabilité que nous avons ensemble d’une Église capable d’annoncer l’Évangile au monde d’aujourd’hui.

Cette Église ne peut être que composée de femmes et d’hommes, tous appelés sans distinction de sexe ni d’état de vie, aux trois fonctions essentielles de l’Église: enseigner, sanctifier et gouverner. Aussi la Conférence a-t-elle déjà entrepris de former des laïcs à la prédication, à la liturgie, à la lecture biblique en petits groupes, grâce à internet. Et elle a bien d’autres projets!

La pétition s’adresse-t-elle uniquement au public francophone?
Non, bien entendu. Elle est internationale, en cinq langues, et elle est relayée par plusieurs organisations: le réseau européen, en-re.eu, une organisation internationale non gouvernementale accréditée au Conseil de l’Europe à Strasbourg; en Espagne le réseau Redes Cristianas; en Italie le réseau «Noi Siamo Chiesa» («Nous sommes l’Eglise») et aux Etats-Unis le réseau Catholic Church Reform Int’l. En plus, elle est une demande de démocratie, dont la parité femmes-hommes, clercs et laïcs, qui ne peut déplaire aux Suisses. Par contre, nous manquons de relais dans le monde germanique.

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/un-concile-a-parite-hommes-femmes-une-petition-est-lancee/