Guerre ou paix? La Suisse doit choisir son camp

La photo de soldats saoudiens brandissant joyeusement des fusils «Swiss made» a été largement diffusée en Suisse, il y a quelques semaines. Une notoriété dont se seraient bien passées les industries d’armement du pays.

La polémique est particulièrement mal tombée, alors que Conseil fédéral était toujours dans son projet d’assouplissement des règles concernant les exportations d’armes. Le gouvernement avait annoncé en juin 2018 vouloir autoriser la vente de matériel militaire à des pays connaissant des conflits internes. Devant la bronca provoquée au Parlement, l’exécutif a finalement jeté l’éponge fin octobre.

Mais la Suisse continue d’exporter des armes vers des pays engagés dans des conflits externes, comme l’Arabie saoudite ou les Emirats arabes unis. Les fusils suisses, dont les photos ont été diffusées par l’hebdomadaire alémanique Sonntagsblick fin octobre 2018, ont ainsi servi à tirer sur des rebelles houtis, dans la zone frontalière entre l’Arabie saoudite et le Yémen. Des actions qui posent question quand on sait que les troupes du Royaume wahhabite sont assez coutumières de «bavures», notamment dans des frappes aériennes qui ont coûté la vie à des centaines de civils yéménites. Les fusils en question venaient d’une livraison approuvée en bonne et due forme par le Conseil fédéral en 2006.

Des pratiques helvétiques épinglées, avec celles d’une vingtaine d’autres pays, dans un rapport publié en septembre 2017 par la Coalition d’ONG pour le contrôle des armes. Les organisations ont dénoncé le fait que le matériel livré à l’Arabie saoudite par ces pays était utilisé pour cibler des civils au Yémen. Le rapport souligne au passage que la Suisse a vendu, ces dernières années, pour près de 177 millions de francs d’armes à Ryad.

«En tendant une colombe d’une main et une grenade de l’autre, la Suisse ne peut que se discréditer»

L’expérience démontre de plus que la vente à un pays considéré comme «non problématique» ne protège pas contre la dispersion de l’armement dans des mains encore plus douteuses. C’est ainsi que le même Sonntagsblick relevait fin septembre 2018 que des grenades sorties des usines RUAG étaient en possession de groupes djihadistes sévissant en Syrie.

Tout cela démontre qu’il est impossible de vendre des armes en étant sûr qu’elles ne seront pas mal utilisées. Or, la Suisse pratique toujours la politique de l’autruche en la matière.

Au-delà de l’aspect moral, il y a un défaut de cohérence qui confine à la schizophrénie. La Suisse axe sa politique étrangère sur la médiation des conflits et sa tradition humanitaire. En tendant une colombe d’une main et une grenade de l’autre, le pays ne peut que se discréditer sur la scène internationale.

Face aux derniers événements, il serait peut-être temps de se poser réellement la question d’une restriction drastique, voire d’une interdiction totale des exportations de matériel de guerre. Et pourquoi pas de relancer une initiative populaire du type de celle qui avait échoué en 2009? Entre la guerre et la paix, la Suisse doit choisir une fois pour toute son camp.

Raphaël Zbinden

18 novembre 2018

 

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