Blanche Streb: Des bébés sur mesure, pour un monde des meilleurs?

Parler aujourd’hui d’homme fabriqué n’a plus rien du roman d’anticipation. Les progrès de la biologie et des techniques médicales dans le domaine de la procréation ouvrent une nouvelle dimension vertigineuse, dont on mesure mal les enjeux, estime Blanche Streb.

La directrice de la formation d’Alliance Vita s’exprimait le 1er décembre 2018, dans le cadre des rencontres Nicolas et Dorothée de Flüe à St-Maurice. Pour elle, lorsque l’homme décide de la vie et se prend pour Dieu, le danger de l’eugénisme est bien réel.

Pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, l’homme a la possibilité de modifier sa nature même. L’actualité du chercheur chinois qui a fait naître deux enfants génétiquement immunisés contre le sida a choqué, à raison, dans le monde entier, note Blanche Streb. Il a franchi la ligne rouge en utilisant cette technique sur des gamètes et des embryons humains. Or les enjeux de telles démarches restent trop souvent peu traités et peu connus.

«Quelle vie vaut-elle la peine d’être vécue?»

Soigner ou modifier?

La médecine n’a plus pour tâche de soigner ou de réparer, mais de modifier. Ce qui est évidemment gravissime sans radar éthique. Loin d’être seulement médicales et technique, les questions sont aussi éthiques, sociales, juridiques, économiques. Avec pour questionnement final: quelle vie vaut-elle la peine d’être vécue?

Pour Blanche Streb, la fabrique d’enfants qui se développe de plus en plus entraîne un eugénisme technocratique qui change les mentalités. Le diagnostic préimplantatoire (DPI) a été conçu d’abord pour éviter que des parents porteurs de maladies génétiques graves ne les transmettent à leurs enfants. De là on s’est laissé embarquer sur un toboggan en passant d’abord aux maladies moins graves et pas incurables, puis aux prédispositions à développer une maladie, et enfin au choix du sexe de l’enfant ou à celui de la couleur de ses yeux.

«Consentir à l’imprévisible est essentiel «

Les parents ne sont pas forcément demandeurs, mais la technique appelle la technique et la possibilité de la conception hors du corps et hors du temps ouvre le fantasme du bébé parfait. «Or nous sommes tous imparfaits et c’est tant mieux, rappelle Blanche Streb. Je revendique le droit de ne pas savoir. Qui voudrait vraiment connaître l’heure de sa mort? Consentir à l’imprévisible est essentiel dans les rapports humains.»

La génétique est comme un iceberg

Développer une médecine plus ajustée constitue un progrès immense, relève Blanche Streb. Mais la génétique est comme un iceberg dont seule la pointe émerge de l’eau. La partie immergée reste très mystérieuse, car l’homme est un mystère.

Elle souligne aussi que ces techniques, si prometteuses soient-elles,  sont le plus souvent ni sûres ni efficaces. En faisant des embryons les ‘cobayes’ des recherches, on joue un coup de poker incroyable sans se soucier des risques, y compris celui de la transmission aux générations suivantes.

Un conservatisme bien dosé

A ceux qui invoquent le progrès et le sens de l’histoire, face à des conservateurs nécessairement rétrogrades, Blanche Streb répond par sa propre expérience de pharmacienne active dans l’industrie cosmétique. Dans un produit cosmétique, l’agent conservateur joue un rôle essentiel pour éviter que le produit ne pourrisse. Bien dosé, il permet de transmettre, de protéger, de conserver la qualité de la préparation.

«La dignité humaine n’est pas un simple attribut de la personne»

Fondamentalement le but doit être de progresser vers plus d’humanité. La dignité humaine n’est pas un simple attribut de la personne. Pour Blanche Streb, la vraie question est la suivante: ‘suis-je digne, si je refuse sa dignité à l’être humain qui se trouve face à moi?» Les perspectives de la génétique humaines bouleversent le regard sur la société entière. Quels changements le tri embryonnaire peut-il apporter dans les rapports humains? S’en remettre complètement à la technique pour obtenir un bébé parfait fait-il sens? «La reproduction est la fonction biologique la plus intime qui se vit à deux et c’est la seule. En fin de compte, il s’agit de recevoir ce que l’on naît et ce que l’on est.»

 


Du monde des meilleurs au meilleur des mondes

Vous avez développé vos thèses dans un livre que vous avez sous-titré le monde des meilleurs. On y voit une allusion directe au roman d’anticipation de l’écrivain britannique Aldous Huxley Le meilleur des mondes publié dans les années 1930.

Blanche Streb: L’époque actuelle présente de plusieurs similitudes avec le monde de Huxley. Il y a d’abord la fascination de la technique envers la procréation médicalement assistée. Vient ensuite l’idée de couper la procréation de l’amour et de la famille, comme un modèle de société bénéfique. Enfin on trouve la toute puissance de l’Etat sur ces questions personnelles et intimes. Au chapitre des différences, nous sommes pour l’heure incapables d’assurer la reproduction totalement hors du corps de la femme.

Mais vouloir faire un monde avec des gens tous ‘normés’ n’est certainement pas une recette de bonheur. Dans le roman d’Huxley, il faut se droguer pour être heureux.

Vous êtes docteur en pharmacie, vous avez travaillé douze ans dans l’industrie cosmétique, pourquoi et comment avez-vous bifurqué vers l’engagement éthique et social ?
Le déclencheur a été un problème d’infertilité, après la naissance de mon premier enfant. Après avoir perdu un deuxième bébé, j’ai vécu une troisième grossesse pathologique avec de gros risques pour moi et le bébé. J’ai redécouvert alors la fragilité de la vie naissante. J’ai été touchée dans mes tripes, dans mon cœur et dans mon intelligence. J’ai voulu alors me former en éthique et j’ai fini par rejoindre Alliance Vita.

Pour certains, l’accès pour toutes les femmes à la PMA, y compris les couples de lesbiennes et les célibataires est à la pointe du féminisme.
Il ne s’agit pas d’un féminisme ‘incarné’. La femme reste totalement soumise aux impératifs du marché, de la société, de la technique, de la chimie. Un vrai féminisme serait se soutenir la femme et de favoriser la maternité au meilleur moment pour elle et pour l’enfant, indépendamment des contraintes sociales et économiques. En outre, je constate que dans ce débat, le père n’existe plus.

Ne menez vous pas un combat perdu d’avance?
Non, il s’agit d’être à la hauteur des enjeux, sur le fond et sur la forme. Ainsi lorsque nous avons interrogé les Français par un sondage, 93% ont considéré que le père a un rôle essentiel pour les enfants.

Blanche Streb: Bébés sur mesure: le monde des meilleurs, Paris, 2018, Editions Artège


Alliance Vita

Alliance VITA est une association pro-vie fondée en France fin 1993. Elle agit selon deux axes: L’aide aux personnes confrontées aux épreuves de la vie; la sensibilisation du public et des décideurs à la protection des débuts et de la fin de la vie humaine.

L’association effectue un travail d’étude et de réflexion sur les questions inédites posées à la société par l’évolution de la science, des techniques et des modes de vie. Elle met en œuvre divers modes d’action: publications, conférences et débats, témoignages, collaboration avec des experts scientifiques, médicaux, juridiques.

L’association occupe une dizaine de salariés dans ses bureaux parisiens, avec des équipes de volontaires dans tout le territoire français. En Suisse Alliance Vita a une antenne à Zurich.


Rencontres Nicolas et Dorothée de Flüe

Nées en 1996, les Rencontres Nicolas et Dorothée de Flüe proposent, le temps d’un week-end, à St-Maurice, un éclairage sur l’agir humain grâce aux interventions de personnes actives au cœur du monde économique, politique, social et culturel. Face aux défis de la société actuelle et aux préoccupations pour la dignité humaine et le bien commun, elles veulent offrir des signes d’espérance et d’engagement au moyen de conférences et de témoignages.

Elles s’adressent non seulement à des personnes animées par leur foi chrétienne, mais aussi à toute personne de bonne volonté.

L’organisation est assumée par l’association culturelle Nicolas et Dorothée de Flüe avec le soutien de l’Abbaye de St-Maurice qui met à dispositions ses infrastructures, et de la communauté Eucharistein d’Epinassey.  (cath.ch/mp)

Maurice Page

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