Les dangers spirituels de l’entrepreneur

Le Vatican – plus précisément, le Dicastère pour le développement humain intégral – vient de parrainer la publication d’une version retravaillé du document «Vocation of the Business Leader – A Reflection» [PDF, en anglais]. Il s’agit de l’aboutissement d’un long travail initialement entrepris par un groupe enseignant les matières de management sensible à la dimension théologique, gravitant autour de l’Université St Thomas dans le Minnesota; la première version en avait été rendu publique en 2012.

En 2013, dans Evangelii Gaudium, le pape François écrivait «La vocation d’entrepreneur est un noble travail, il doit se laisser toujours interroger par un sens plus large de la vie; ceci lui permet de servir vraiment le bien commun, par ses efforts de multiplier et rendre plus accessibles à tous les biens de ce monde.» Cette citation a inspiré les organisateurs du dernier Congrès de l’Union mondiale des entrepreneurs chrétiens (UNIAPAC) tenu à Lisbonne à la fin novembre sur le thème Le monde de l’entreprise est une noble vocation.

Un des points centraux du document est la mise en évidence des dangers spirituels qui guettent l’entrepreneur et encore plus le manager contemporain. Il s’agit du danger de la fragmentation – l’éclatement de moral. En effet, le monde contemporain est complexe, articulé en domaines, professions, en «sous-systèmes» fréquenté par les mêmes personnes mais dans des rôles différents: celui du père ou mère de famille, de consommateur, de contribuable ou citoyen, et aussi celui du manager dans un contexte professionnel bien spécifique.

Parfois, survient un choc émotionnel qui réveille les questions centrales que l’on croyait endormies une fois pour toutes.

La tentation est grande de déconnecter – pour la paix de l’esprit – ces divers univers et adapter dans chacun d’entre eux des codes de conduite différents. Il en résulte la fragmentation des consciences et des critères de comportements. Souvent de tels mécanismes surgissent spontanément sans qu’on s’en rende compte, comme des défenses pour contrer des niveaux de stress insoutenables; avec le temps, la fragmentation devient normale et naturelle, presque confortable. Puis, parfois, survient un choc émotionnel qui réveille – parfois à grand bruit – les questions centrales que l’on croyait endormies une fois pour toutes.

Le document met en évidence que l’appel ou la vocation aux métiers de l’entreprise exige le courage de regarder le monde tel qu’il est, sans l’oreiller de paresse du si réconfortant du «je n’ai pas le choix» ou du «système veut que» – démission d’autant plus facile que la fragmentation est profonde. Celle ou celui qui cherche à rendre le monde meilleur par son activité économique doit garder la capacité de regarder, mais aussi de juger avec des critères dérivés de sa foi et de l’enseignement social chrétien, avec notamment le principe de la destination universelle des biens.

C’est uniquement sur une capacité de jugement tranchante, même si elle est dérangeante, que l’homme ou la femme d’entreprise prenant au sérieux sa vocation, peut baser son action dont la finalité ultime n’est pas le profit mais l’amélioration que le bien ou le service apporte. Le profit n’est que la juste récompense de tels choix. C’est à la qualité et la capacité du bien ou service produit à répondre à un vrai besoin que l’on reconnait un homme ou femme d’entreprise pleinement responsables. Le défi est immense, puisque les concurrents s’interdisent souvent de poser la question de l’utilité du produit. Ils se contentent de savoir si le bien ou service se vend. De cette manière ils se défaussent de leur première responsabilité de producteur – celle de ne pas nuire au client. Les exemples abondent à tous les rayons de l’alimentation aux services en ligne ; le comble est que ces produits finissent souvent dans nos paniers à commissions. Aussi vertueux que soit le producteur, il ne pourra pas faire le travail de tri seul; il a besoin d’être rejoint en actes par des consommateurs tout aussi moralement rigoureux. C’est la condition indispensable pour que le bien-être du consommateur, et pas seulement son portemonnaie, redevienne la raison d’être des hommes et de femmes qui voient dans l’entreprise leur vocation.

Paul H. Dembinski | 06.12.2018

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