Karl Barth, «génie de la théologie moderne», s’éteignait il y a 50 ans

Le grand théologien protestant suisse Karl Barth s’éteignait il y a cinquante ans, le 10 décembre 1968, à Bâle. Qui était-il et en quoi son œuvre apportait-elle une réelle nouveauté à la pensée théologique du XXe siècle? Éléments de réponse.

«L’une des personnalités majeures de la théologie chrétienne du XXe siècle», «un monument de la pensée chrétienne», «un des plus influents théologiens contemporains»: les éloges sur Karl Barth et son apport théologique ne manquent pas. S’il ne fait pas l’unanimité au sein des théologiens catholiques – il a fondamentalement remis en cause les préalables anthropologiques et théologiques de certaines écoles – force est de constater qu’il est la source de débats intenses et de polémiques durables au-delà des cercles protestants.

Karl Barth naît à Bâle le 10 mai 1886. Après avoir fait ses écoles à Berne, il étudie la théologie à Berlin, Tübingen et Marbourg. Fraîchement diplômé, il revient en Suisse pour un passage éclair à Genève, comme pasteur pour la communauté suisse alémanique.

Pasteur en Argovie

Entre 1911 et 1921, on le retrouve dans la petite commune argovienne de Safenwill, dont il devient le pasteur. L’approbation de ses maîtres en théologie face à la politique belliqueuse de l’Empire allemand de Guillaume II, de même que les prédictions promptes à soutenir un nationalisme agressif, déçoivent le jeune pasteur. C’est en revenant aux sources bibliques que Barth inaugure sa lutte contre ce «christianisme culturel» qui s’accommode trop facilement des modes politiques moment.

Karl Barth soutient que toutes les tentatives humaines de connaître Dieu sont vaines.

La première étape de ce retour aux sources réside en un long commentaire de l’Épître aux Romains (Der Römerbrief), où il appelle l’Eglise à une vigilance critique contre toutes ses fausses certitudes d’avant-guerre, comme la croyance dans le progrès qui attesterait de la bénédiction de Dieu.

L’instrumentalisation de Dieu

Une première édition de l’ouvrage paraît en 1919. Elle suscite immédiatement un vif débat dans certains milieux protestants. Karl Barth quitte la paroisse de Safenwill à la publication de la seconde édition (1921) pour l’Université allemande de Göttingen où s’inaugure sa carrière académique. Elle le conduira à Münster, à Bonn puis à Bâle, quelques années avant que n’éclate la Deuxième Guerre mondiale – poste qu’il occupera jusqu’en 1962.

A travers le recueil de conférences Parole de Dieu et parole humaine (1924), puis Die Christliche Dogmatik im Entwurf (1927) et la monumentale Dogmatique (publiée à partir de 1932), son nouveau système ne cesse de se préciser, caractérisé notamment par la dénonciation de toute instrumentalisation de Dieu pour sceller la légitimité de quelconque institution – à l’instar des Deutsche Christen pour qui Dieu se révélait également dans le Führer, dans l’histoire et dans la race aryenne.

Mis en congé en 1935 pour avoir refusé de prêter le serment d’allégeance à Hitler exigé de tout fonctionnaire, Karl Barth regagne prcipitamment la Suisse. De Bâle, il soutient la résistance allemande et internationale contre le nazisme.

Durant sa conférence à l’occasion du 650e anniversaire de la Confédération (Im Namen Gottes des Allmächtigen, Au nom de Dieu tout-puissant), il s’élève contre la neutralité d’opinion et la censure et subit une mesure d’interdiction à la demande du conseiller fédéral Eduard von Steiger, en juillet 1941.

L’autonomie de la théologie

Sur le plan de la pensée, il insiste sur «l’autonomie» de la théologie quant à la philosophie, l’anthropologie ou les sciences sociales. Le théologien protestant insiste sur l’initiative absolue de Dieu dans l’évènement de la foi ainsi que sur le rôle central de sa Parole – qui est à même de fonder la connaissance de Dieu «à l’exclusion de toute concurrence».

En opposition avec un courant de pensée catholique classique, Karl Barth soutient que toutes les tentatives humaines de connaître Dieu sont vaines. Dans cette perspective, il envisage de manière critique la notion de religion, une invention de l’homme pour «disposer en sa faveur du Dieu qu’il s’est forgé». A l’opposé des vaines prétentions de la religion, la révélation est, pour Karl Barth, «l’acte par lequel Dieu se donne à connaître lui-même».

Toutefois, selon Karl Barth, la religion – toute religion – peut être le réceptacle de la révélation, sans en être un média indispensable. Et si la révélation désigne l’Eglise comme lieu de la «vraie religion», cela «ne saurait en aucun cas nous autoriser à affirmer que la religion chrétienne est, comme telle, la forme la plus accomplie de toutes les religions, écrit Karl Barth. Et par, conséquent, la plus haute, la seule vraie».

Le Concile Vatican II ira un peu dans le même sens mais il s’exprimera de façon plus réservée en affirmant notamment, dans la déclaration Nostra Aetate, que «l’Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint dans ces religions.»

L’altérité radicale de Dieu

Bien que déjà diminué par la maladie, Karl Barth suivra de près la réflexion conciliaire, rendant hommage au travail critique que l’Eglise catholique a entrepris sur elle-même.

La mort le surprend le 10 décembre 1968, il y a cinquante ans. Sa postérité peut se résumer à cette protestation contre toutes tentatives – humaines politiques, morales, religieuses et même théologiques – d’instrumentaliser Dieu en l’identifiant à une cause ou à une doctrine. Dans un monde en pleine mutation, il est celui qui a rappelé l’altérité radicale de Dieu, libre à l’égard de tout ce que l’on peut en dire ou en faire dans les Églises ou les doctrines. (cath.ch/pp)

Pierre Pistoletti

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