APIC-Interview
Rencontre avec Soeur Marthe Herma, supérieure de
la Congrégation des Soeurs Notre-Dame de Nazareth
Propos recueillis par Bernard Bavaud, APIC
Fribourg, 19mars(APIC) Au Togo, si l’on rencontre, au détour d’un chemin
de terre, la houe sur l’épaule, une religieuse souriante qui rentre d’une
plantation de café ou d’un champ de maïs communautaire, c’est certainement
l’une des Soeurs Notre-Dame de Nazareth. Cette communauté autochtone, fondée il y a 12 ans, rassemble des jeunes togolaises issues du monde rural,
qui n’étaient souvent jamais allées à l’école et qui vivent désormais la
vie paysanne au plein sens du terme. Portrait.
En collaboration avec l’Action de Carême, les Missionnaires de Bethléem
à Fribourg ont invité ces jours-ci Soeur Marthe Herma, la supérieure de
cette Congrégation religieuse dédiée exclusivement au monde rural. Une
communauté dont l’impact sur le terrain est considérable, parce que les Soeurs Notre-Dame de Nazareth partagent sans réserves et sans artifices les
joies et les peines de leur propre population. Et dans les petits villages
du diocèse d’Atakpamé, au nord de Lomé, les gens ne s’y trompent pas!
Soeur Marthe est une supérieure heureuse, confiante certes envers sa
jeune communauté, mais confiante d’abord envers les communautés paysannes
des petits villages de son pays. Elle explique à l’agence APIC, pourquoi
elle-même et ses soeurs ont fait ce choix exclusif, loin des villes, pour
servir les paysans, travaillant elles-mêmes dans les plantations. En apprenant aussi que le développement humain, très concret, fait déjà partie de
la construction du Royaume de Dieu.
APIC:Pourquoi cet engagement quasi-exclusif au coeur des petites communautés paysannes du Togo?
S.M.:C’est l’option que nous avons faite à l’égard des nombreux paysans de
l’Afrique de l’Ouest. Ils sont environ 80% de la population. Sans négliger
une profonde présence spirituelle – à travers les célébrations dominicales
de la Parole et la distribution de la communion aux catholiques des communautés les plus reculées, par l’organisation de la catéchèse et des mouvements d’action catholique -, nous essayons surtout de vivre « l’animation
rurale » avec la population.
Des « banques de semences » pour faire « la soudure »
Elle consiste à écouter les paysans des villages dans leurs joies et
leurs peines. Mais nous participons aussi à la récolte du café et du cacao,
principales cultures dans le diocèse d’Atakpamé. Nous nous intéressons à
son prix sur le marché pour ne pas nous faire rouler par les intermédiaires. Toujours avec la participation et la réflexion des gens, nous essayons
de créer des « banques de semences » pour faire « la soudure » pour les mois de
mai, juin, juillet, en attendant la pluie, promesse de récoltes nouvelles.
Nous travaillons à des solutions, encore timides, d’organisation paysannes
qui revendiquent leur droit à la dignité, pour qu’ils reçoivent un juste
prix de leurs produits agricoles.
En discutant ainsi calmement avec les paysans, en travaillant aux champs
avec eux, voilà qu’une confiance réciproque s’établit entre nous. Alors
seulement on peut envisager de faire quelque chose ensemble. Trop souvent
autrefois, nous offrions aux gens des choses toutes faites. Par exemple,
nous réfléchissons sur l’approvisionnement en eau. Que faire? Tous ensemble, nous aménageons, par souci de l’hygiène commune, le point d’eau au milieu du village, nous creusons un puits ou réparons le forage défectueux.
Parfois c’est tout un groupe joyeux qui met la main à l’ouvrage, pour travailler un champ communautaire, pour fabriquer du savon, pour améliorer les
cultures vivrières et l’élevage…
Apprendre à être modeste
Certaines soeurs ont aussi la compétence pour animer des cours de couture, de tissage, de tricot et de broderie, voire des cours d’alphabétisation. Nous nous occupons aussi d’hygiène générale et alimentaire, d’économie domestique, ou de cours de prévention des maladies infantiles. Il arrive que nous améliorons une technique. Mais parfois grâce au bon sens d’un
homme ou d’une femme du village qui savent un tas de choses que nous ne
connaissons pas. Nous apprenons ainsi à être modestes. Joie d’apprendre de
ceux que beaucoup regardent comme de « pauvres paysans analphabètes ».
APIC:Soeur Marthe, comme supérieure de votre Congrégation, expliquez-nous
comment vous formez les futures religieuses de votre communauté.
S.M.:Je travaille au noviciat à Onang, un village du Plateau d’Akposso,
mais je vais aussi visiter les soeurs dans les communautés paysannes. Cela
me permet de vérifier si la théorie donnée aux postulantes et aux novices
colle toujours avec la réalité. Accompagner chaque soeur dans son cheminement en union avec le Christ, c’est tenir bon sur la Bible et les sacrements, mais c’est aussi vivre avec les gens de nos villages.
Il faut dire que la Congrégation des soeurs de Notre-Dame de Nazareth a
quelque chose de spécifique, dans ce sens que nous recrutons la majorité de
nos futures religieuses parmi les jeunes filles (de 19 à 30 ans) qui n’ont
pas été à l’école. Il y en a quelques unes qui ont fini l’école secondaire,
mais celles qui n’ont pas été à l’école sont les plus nombreuses. Elles
suivent alors des cours l’alphabétisation. Avant d’entrer au noviciat, elles doivent avoir le niveau de scolarisation primaire, sachant lire et
écrire. Une fois le noviciat terminé et la profession faite, elles vont,
trois à quatre religieuses ensemble, dans les communautés rurales. Actuellement nous avons sept communautés. Elles sont une trentaine de soeurs dans
les communautés. Notre maison de formation compte 4 novices, 6 postulantes
et 15 pré-postulantes.
APIC:Comment ont réagi les communautés paysannes à la venue de ces soeurs?
S.M.:Les relations sont très bonnes, au moins pour le moment! Les gens ont
été très contents et heureux de voir des religieuses qui travaillent aux
champs avec eux. Jusqu’à maintenant les Congrégations religieuses étaient
localisées surtout dans les villes. C’était rare de voir des religieuses en
pleine campagne.
Nous avons des champs, nos propres plantations, car nous avons décidé de
vivre comme les gens. Mais nous allons aussi travailler dans les plantations des autres familles, qui viennent à leur tour nous aider au moment de
la récolte du café par exemple. Nous avons ainsi découvert une nouvelle relation avec eux, faite de proximité, de bon voisinage. Quand on visitait
autrefois seulement les gens dans leurs maisons ou dans les dispensaires,
c’était autre chose que de travailler, avec nos mains, dans l’agriculture.
Une communication précieuse s’établit. Nous nous sentons des leurs et ils
sont aussi contents de voir que nous travaillons comme eux. Ils peuvent venir chez nous. Ils se sentent à l’aise. Ils rentrent, ils parlent, nous
rions ensemble. Une vie toute simple. On échange les nouvelles du village.
Nous savourons ou nous pleurons la bonne ou la mauvaise récolte! On s’emprunte mutuellement les objets ou de la nourriture.
APIC:Comment est née cette nouvelle Congrégation auprès des paysans?
S.M.:J’ai commencé ma vie religieuse auprès des Soeurs de la Providence de
St-André de Peltre, une Congrégation française située en Moselle près de
Metz. Dans un centre ménager rural, que nous avions au Togo, nous avons entendu un jour des jeunes filles, qui n’avaient pas eu la chance d’aller à
l’école, se poser la question de la vocation religieuse. Ce fut le déclic!
Comment répondre à cet appel? Des filles sans instruction, de plus du monde
rural! Elles nous posaient une très bonne question! Pourquoi ne pourraientelles donc pas devenir religieuses? Car nos Congrégations missionnaires ne
recrutaient pratiquement que des jeunes filles qui avaient un niveau scolaire relativement élevé ou avaient reçu un enseignement ménager et professionnel.
Nous avons alors interpellé notre Congrégation. Et c’est ainsi qu’en
1983, elle a autorisé cette expérience d’accepter des filles sans instruction. Nous étions trois soeurs à tenter cette nouvelle approche. Une Française, une Luxembourgoise et moi-même. La Congrégation a retiré les deux
religieuses européennes. Je suis devenue responsable et supérieure de cette
nouvelle Congrégation de droit diocésain. Tout à fait autonome et totalement africaine. Pour participer vraiment de plain pied au monde rural. Avec
un Mère spirituelle, la Vierge Marie vivant la vie frugale, mais belle, de
Nazareth. Vivre, le plus concrètement possible, la simplicité de l’Evangile! (apic/ba)
Encadré
Les Soeurs Notre-Dame de Nazareth sont implantées dans le diocèse d’Atakpamé. L’évêque, Mgr Julien Mawule Kouto, entretient de bonnes relations avec
la jeune Congrégation, souligne Soeur Marthe. Mgr Kouto l’a vivement encouragée à accepter l’invitation des Missionnaires de Bethléem et de l’Action
de Carême. Première Congrégation religieuse dédiée exclusivement au monde
rural au Togo, c’est pour lui un soulagement de savoir qu’il y a des soeurs
qui vivent pour les plus pauvres. Il peut aussi, à travers elles, mieux
connaître les désillusions et les espoirs des paysans togolais dans leur
vie de tous les jours. (apic/ba)
Encadré
Soeur Marthe Herma est née en 1949 à Ayengré, au Togo. Très tôt, elle sent
un appel à la vie religieuse. Elle prononce ses premiers voeux en 1971 au
sein d’une Congrégation française, « Les Soeurs de la Providence de St-André
de Peltre ». Elle enseigne ensuite durant huit ans les arts ménagers avant
de poursuivre sa formation en France. Elle entreprend ensuite, de 1983 à
1985, des études à l’Institut catholique d’Abidjan.
Dès 1985, la vie de Soeur Marthe se confond avec la communauté religieuse des Soeurs Notre-Dame de Nazareth, fondée le 15 octobre 1983. Elle
devient la supérieure de cette jeune communauté dont le charisme est la
présence au monde rural. (apic/ba)
Les paroisses, communautés, groupes, écoles qui désirent accueillir Soeur
Marthe Herma pour entendre son témoignage et dialoguer avec elle, s’adresseront à Mme Nancy Maillard, Missionnaires de Bethléem, Ch. Abbé Freeley
18, 1700 Fribourg. Tél 037/22 31 71. Des photos sont disponibles à la même
adresse.
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