Ukraine: Poutine intervient dans la querelle qui divise les orthodoxes

La création d’une Eglise orthodoxe indépendante en Ukraine  a été vivement dénoncée le 20 décembre 2018 par Vladimir Poutine. Le président russe a qualifié la nouvelle «organisation ecclésiastique», voulue par le président ukrainien Porochenko et le patriarche œcuménique de Constantinople Bartholomée, de schismatique.

Le président russe dénonce ce geste comme une violation «flagrante» des libertés religieuses. Il a estimé que ce schisme a été mis en scène pour des motifs électoraux.

«Ingérence de Washington» dénoncée

Poutine a également affirmé que «l’ingérence de Washington dans la situation entourant l’Eglise ukrainienne [était] inacceptable». Le fait que le secrétaire d’Etat américain ait appelé Kiev à ce sujet, qu’il ait discuté de cette question, est «au-delà de toute raison, c’est absolument inacceptable. Néanmoins, cela s’est produit», a déclaré M. Poutine lors de sa conférence de presse annuelle le 20 décembre à Moscou.

Un «concile de réunification» le 15 décembre 2018 à Kiev a acté la création d’une nouvelle organisation ecclésiastique dénommée «Eglise orthodoxe», résultant de la fusion de deux structures non canoniques, l’Eglise orthodoxe autocéphale ukrainienne, l’Eglise orthodoxe ukrainienne du Patriarcat de Kiev. «C’est arrivé parce que nous croyions que le Seigneur nous enverrait une église indépendante», a déclaré pour sa part le président ukrainien en participant le 18 décembre à une liturgie dans l’église de l’Exaltation de la Sainte Croix à Ternopil.

Risque de conflit sanglant

Le président russe a estimé que cette entreprise avait également pour objectif «une rupture plus grande entre les peuples russe et ukrainien». Il craint que cette décision ne conduise à une redistribution «sanglante» des biens ecclésiastiques entre l’Eglise orthodoxe canonique, liée au Patriarcat de Moscou et qui possède le plus grand nombre de paroisses, et la nouvelle Eglise ukrainienne unifiée.

«Les actes de Constantinople en Ukraine peuvent provoquer un bain de sang», a déclaré pour sa part le métropolite Hilarion d’Amérique de l’Est et de New York, premier hiérarque de l’Eglise russe hors frontières. La décision du Patriarcat de Constantinople, activement soutenue par l’Etat ukrainien, d’accorder l’autocéphalie à une nouvelle structure ecclésiastique est «une manœuvre politique supplémentaire pour diviser les peuples de Russie et d’Ukraine», estime-t-il.

Manœuvre politique

Dans une interview accordée le 17 décembre 2018 à l’agence TASS, le métropolite Hilarion d’Amérique de l’Est et de New York, a estimé que cette proclamation d’autocéphalie «est un acte totalement anti-canonique de la part du patriarche de Constantinople, qui se dénomme aussi œcuménique, un acte allant à l’encontre de toutes les normes ecclésiastiques», a souligné le métropolite Hilarion.

«Nous pouvons constater que c’est une manœuvre politique visant à diviser encore plus l’Ukraine et la Russie, car le président du pays [de l’Ukraine, Petro Porochenko] exerce de fortes pressions sur l’Eglise orthodoxe canonique ukrainienne, présidée par Onuphre, qu’il qualifie de moscovite».

Concélébration impossible

Il ne peut être question d’entrer en contact avec la nouvelle structure en Ukraine, a souligné Mgr Hilarion. «La concélébration est impossible, les fidèles ne doivent pas aller dans ces églises s’ils se considèrent comme orthodoxes (…) L’Eglise canonique est l’Eglise orthodoxe ukrainienne dirigée par le métropolite Onuphre et par son Synode», a-t-il remarqué, rappelant que la communion était actuellement rompue avec le Patriarcat de Constantinople, dont les actes ont entraîné un schisme entre les Eglises. «Nous ne concélébrerons pas tant que cette grave erreur ne sera pas corrigée», a déclaré le métropolite Hilarion d’Amérique de l’Est et de New York.

Pour sa part, le Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe canonique ukrainienne, réuni en session extraordinaire le 17 décembre 2018 à la laure des Grottes de Kiev, a qualifié le «concile de réunification» et la nouvelle structure d'»assemblée de schismatiques».

Les métropolites dissidents déposés

Le Saint-Synode a déchargé de la direction de son diocèse le métropolite Siméon de Vinnitsa et de Bar, ainsi que le métropolite Alexandre de Pereïaslav-Khmelnitski et de Vichnevsk, «qui se sont associés au schisme. Ils sont interdits de célébrer». Il dit regretter que «l’un des responsables des épreuves qui frappent aujourd’hui l’Eglise orthodoxe ukrainienne soit le Patriarcat de Constantinople, qui justifie son droit à interférer dans nos affaires ecclésiastiques par le fait que notre Eglise ait jadis relevé de sa juridiction».

L’Eglise orthodoxe russe «a été forcée de prononcer son autocéphalie parce que le Patriarcat de Constantinople avait trahi la foi orthodoxe et signé l’union avec Rome au concile de Ferrare-Florence, en 1439. Cette trahison spirituelle à la foi orthodoxe a été la cause principale de la séparation entre Constantinople et la métropole de Kiev», déclare le Saint-Synode.

«La métropole de Kiev, affaiblie par la confrontation religieuse avec les uniates, épuisée par les guerres, notamment après l’union de Brest de 1596, a rejoint l’Eglise orthodoxe russe à la fin du XVIIe siècle pour préserver la foi orthodoxe. C’est pourquoi le Patriarcat de Constantinople n’a aujourd’hui aucun droit, ni moral, ni canonique à intervenir dans les affaires internes et dans la vie spirituelle de l’Eglise orthodoxe ukrainienne», affirme, au nom du Saint-Synode de l’Eglise orthodoxe ukrainienne, Onuphre, métropolite de Kiev et de toute l’Ukraine.

Ingérence étatique dans les affaires religieuses

La Verkhovnaya Rada, le parlement de Kiev, s’ingérant dans les affaires religieuses de l’Eglise orthodoxe, a voté le 20 décembre 2018 une loi obligeant l’Eglise orthodoxe canonique ukrainienne, liée au Patriarcat de Moscou, à changer de nom sous quatre mois et spécifier qu’elle relève de Moscou, bien qu’elle soit largement autonome. (cath.ch/com/be)

Jacques Berset

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