Cameroun: L'Eglise catholique prise en tenaille entre les militaires et les rebelles

Dans le conflit sécessionniste du Cameroun, l’Eglise catholique du pays est prise en tenaille entre l’armée nationale et les rebelles séparatistes des régions anglophones. Menaces et assassinats visant ses prêtres, destruction de ses biens: elle paie un lourde tribut à cette crise, qui éclaté en octobre 2016.

Mgr Michael Bibi, évêque auxiliaire de Bamenda, nord-ouest, chef-lieu de l’une des deux régions anglophones dont l’indépendance est réclamée par des séparatistes, a été arrêté deux fois par des rebelles au mois de décembre 2018. Les militants indépendantistes des régions anglophones du Cameroun appellent leur zone «République d’Ambazonie», et leurs combattants se dénomment les «Ambas Boys».

Arrêté par les «Ambas Boys»

L’évêque auxiliaire de Bamenda a été arrêté par les rebelles une première fois le 5 décembre, alors qu’il se rendait à Kumba, une localité située au sud-ouest du diocèse, pour célébrer une messe. Sa voiture a été arrêtée par les «Amba Boys», l’une des nombreuses factions séparatistes qui combattent les forces de sécurité camerounaises dans le nord-ouest et le sud-ouest du pays.

«Ils ont vu que j’étais un évêque catholique romain, mais ils n’étaient pas prêts à m’écouter. Ils ont exigé mon téléphone et ceux de mon chauffeur et de son frère», a-t-il dit. «Ils brandissaient des fusils de chasse et des armes rudimentaires. Ils ont menacé de nous tuer.  Quand nous avons été présentés à leur chef, il leur a ordonné de nous rendre les téléphones et de nous laisser continuer notre voyage».

Après avoir célébré l’office, l’évêque s’est remis en route une autre localité, située sur la route Buéa, l’autre capitale régionale sécessionniste, afin  de prononcer, le 7 décembre un office religieux. Au bout de quelques kilomètres, des «Amba Boys», armes au point, l’ont encore intercepté, au motif qu’il ne devait pas voyager ce jour-là. Car, la rébellion avait décrété une campagne de «ville fantôme», qui interdisait tout déplacement dans la province. Il a été libéré après 4 heures de détention dans la forêt, du fait qu’il faisait «un travail missionnaire». «C’était vraiment effrayant, mais enfin, par la grâce de Dieu, ils nous ont libérés», a-t-il déclaré au correspondant de Radio France Internationale (RFI).

Sur le même trajet, un groupe de religieuses qui devaient aussi participer à la même messe de Mgr Bibi a été arrêté par les combattants, avant d’être libérées.

Prêtres assassinés

Avant ces incidents, l’Eglise a perdu deux prêtres et un séminariste entre le début de juillet et  la fin novembre 2018. Il s’agit du Père Alexandre Sob Nougi, du diocèse de Buea, tué dans sa voiture, en juillet, à Muyuka, d’Akiata Gérard Anjiianggwe, un jeune séminariste, tué à bout portant, le 4 octobre, par un militaire à Bamessin, au nord-ouest, et du Père Cosmas Omboto Ondari, un missionnaire kényan, vicaire de la paroisse de Kembong, assassiné, le 24 novembre.

A ces différents meurtres, s’ajoute la destruction de biens de l’Eglise catholique, à Bamessing, où des assaillants ont incendié une école primaire, détruit une grotte, qui contenait des statues religieuses, brisé une statue de la Vierge Marie, emporté une seconde, avant de mettre le feu à un véhicule de la paroisse. Pour Mgr Bibi, c’est parce que l’Eglise n’a pas suivi les mots d’ordre instaurant une «ville fantôme», impliquant la fermeture des écoles, que les rebelles s’en sont pris à ses biens.

Neutralité de l’Eglise

L’Eglise catholique a refusé de prendre parti dans le conflit, appelant plutôt le pouvoir à retirer l’armée des régions anglophones, afin de contribuer à instaurer la paix. «Quoi que nous fassions, quoi que nous disions, c’est mal interprété par chacun des deux camps. Soit, c’est le gouvernement qui accuse l’Eglise de soutenir les ‘boys’ (les rebelles), soit ce sont ces deniers qui accusent l’Eglise de soutenir le gouvernement», constate-t-il.

Dans un rapport publié en avril dernier, l’ONG (Organisation non gouvernementale), International Crisis Groupe (ICG), a estimé que seule l’Eglise catholique pourrait jouer un rôle de médiateur entre les deux parties en conflit dans les régions anglophones du Cameroun.  Elle est non seulement présente dans les dix régions du pays, mais aussi, elle est l’une des institutions «les plus fortes» du Cameroun où près d’un tiers de population est de confession catholique. Elle gère un réseau dense d’écoles et d’hôpitaux. Sa voix et très écoutée, a rappelé l’ICG.

Depuis octobre 2016, les régions anglophones du Cameroun, qui comptent 20% de la population du pays, estimée à plus de 22 millions d’habitants, réclament leur indépendance du reste du pays. Ce conflit sécessionniste est parti d’une simple revendication sociale. L’Eglise catholique du Cameroun s’est prononcée plusieurs fois contre cette indépendance, plaidant plutôt pour une décentralisation plus poussée de l’administration. (cath.ch/ibc/rfi/be)

Jacques Berset

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