Le cardinal Barbarin devrait échapper à une condamnation

Le dernier jour du procès du cardinal Philippe Barbarin, archevêque de Lyon, qui s’est déroulé du 7 au 10 janvier 2019, a été marqué par les plaidoiries de la défense. Le veille, la procureure a prononcé un réquisitoire sans demande de condamnation, ce qui devrait aboutir au classement de l’affaire.

La décision du Tribunal correctionnel de Lyon sera mise en délibéré et connue au 7 mars 2019, rapporte la presse française. Le 9 janvier, la procureure adjointe Charlotte Trabut n’a requis aucune condamnation contre le cardinal et cinq autres responsables du diocèse de Lyon. Ils sont accusés d’avoir omis de dénoncer à la justice les agressions sexuelles du Père Bernard Preynat contre des dizaines de scouts mineurs, dans les années 1970 à 1990. A noter qu’un réquisitoire ne lie pas un tribunal et qu’il peut trancher différemment.

«Omission de porter secours» rejetée

L’absence de réquisitions intervient dans la logique du classement sans suite de l’affaire, décidé par le parquet à l’été 2016, après une enquête préliminaire. Entre-temps, les plaignants avaient lancé une procédure de citation directe afin d’obtenir le procès organisé à Lyon.

«Ne pas s’intéresser à l’élément intentionnel, c’est adopter une conception attrape-tout de l’infraction», a expliqué Charlotte Trabut lors du réquisitoire. Pour la magistrate, «l’élément intentionnel ne peut pas se caractériser seulement par une omission (de dénoncer l’affaire à la justice), couplée à une connaissance (d’agressions, ndlr)». En août 2016, le parquet avait écarté le délit d'»omission de porter secours», reproché à seulement deux des mis en cause, en l’absence de «péril imminent et constant», les agressions reprochées au Père Preynat étant antérieures à 1991.

Trois heures d’audition

Le premier jour du procès, Pierre Durieux, ancien chef de cabinet du cardinal a été auditionné. Il avait été le premier destinataire du mail d’Alexandre Hezez, une victime du Père Preynat, adressé à l’évêché de Lyon en juillet 2014. L’ancien responsable du diocèse a cependant refusé de répondre à toute question, une attitude que la loi lui permet.

Le 7 janvier, le cardinal Barbarin a, lui, répondu pendant trois heures aux questions des juges. L’audition a principalement tenté de reconstituer la chronologie des faits. Arrivé à la tête du diocèse en 2002, il a raconté n’avoir eu vent, à partir de mars 2010, que de vagues rumeurs concernant le Père Preynat, insuffisantes pour agir.

L’archevêque a malgré tout eu un entretien avec le prêtre cette même année, lors duquel ce dernier a reconnu des agressions sexuelles contre des dizaines de garçons mineurs, alors qu’il était aumônier scout, dans les années 1970 à 1990. Le cardinal Barbarin a assuré avoir fait confiance au prêtre quand il lui a assuré n’avoir pas touché un enfant depuis septembre 1990. Face à des faits anciens et légalement prescrits et le sentiment que le Père Preynat ne présentait pas de danger, l’archevêque avait décidé de le maintenir en fonction.

Prescriptions

En juillet 2014, Alexandre Hezez, choqué de constater que le Père Preynat était toujours actif en paroisse, avait écrit à l’évêché. Le cardinal a tout d’abord coordonné une rencontre entre le prêtre et l’homme de 40 ans, sous l’égide d’une théologienne en charge de l’écoute des victimes, Régine Maire. En novembre 2014, après une entrevue avec Alexandre Hezez, le cardinal Barbarin aurait découvert la gravité des faits. Il a alors transmis le dossier à Rome, mais sans dénoncer le Père Preynat à la justice. «Si les éléments avaient été récents, j’aurais agi immédiatement, ce que j’ai fait dans d’autres cas, mais là il y avait prescription, je ne savais pas comment agir», a-t-il expliqué devant les juges.

Fin janvier 2015, Rome a exigé la mise à l’écart du prêtre, «en évitant le scandale public», c’est-à-dire en évitant de démissionner immédiatement l’ancien aumônier. L’archevêque le démettra donc de ses fonctions le 1er septembre 2015, au moment du renouvellement des nominations dans le diocèse de Lyon.

Consignes de Rome

La ligne de défense du cardinal Barbarin a donc semblé principalement d’invoquer le respect des consignes de sa hiérarchie. Un autre argument avancé pour l’absence de dénonciation civile est le fait qu’aucune victime n’ait exprimé à l’époque l’intention de porter plainte contre le Père Preynat. Un élément interprété par les responsables du diocèse comme un refus de voir la chose portée dans l’espace public. Les victimes elles-mêmes, ainsi que leurs avocats, ont cependant fait valoir une incapacité psychologique de dénoncer ce qu’elles ont subi. Le Primat des Gaules a finalement reconnu avoir été «imprudent» en laissant le Père Preynat en fonction pendant un certain temps. Mais il a réaffirmé ne pas avoir voulu couvrir ses agissements.

Omission de porter secours

Mardi 8 janvier, Régine Maire, a été auditionnée par les juges. Il lui est également reproché «l’omission de porter secours», au moment où elle avait eu connaissance des faits, lors de la rencontre qu’elle a accompagnée, entre Bernard Preynat et Alexandre Hezez. Se défendant d’avoir cherché à étouffer l’affaire, elle a cependant également décidé de ne pas s’exprimer au-delà d’une déclaration préalablement écrite. Dans cette dernière, elle assure avoir invité la victime à déposer plainte, mais avoir ressenti une «fin de non-recevoir» lorsque cette dernière lui a fait remarquer que les faits étaient prescrits. «Je n’ai jamais imaginé un seul instant devoir dénoncer à la justice les faits appris par Alexandre alors qu’il était un adulte posé, à la situation stable et donc en position de le faire lui-même», a ajouté Régine Maire.

Le choix de ne pas s’exprimer de la part de certains accusés a provoqué l’indignation de la partie civile, qui y a vu une confirmation d’un «mécanisme» et d’une «conspiration du silence» au sein de l’Eglise.

Un procès contre l’Eglise?

Mercredi 9 janvier, les avocats du cardinal Barbarin et de son entourage ont commencé leurs plaidoiries. Dénonçant une «médiatisation à outrance», ils ont appelé à ne pas confondre ce procès avec celui du Père Preynat, qui devrait s’ouvrir en 2019.

Les plaidoyers de la défense se sont poursuivis le 10 janvier. La journée a également été marquée par les témoignages des personnes abusées par le Père Preynat. Les récits ont été qualifiés de «bouleversants» par Jean-Félix Fulciani, l’avocat de Mgr Barbarin. «En quoi l’émotion est-elle un titre de droit à elle seule ?», a-t-il cependant souligné devant les juges. De même que les autres avocats de la défense, il a assimilé le procès à une instrumentalisation de la justice contre l’Eglise. «Le cardinal Barbarin est-il poursuivi pour lui-même ou comme incarnation d’une institution?», a-t-il interrogé. (cath.ch/presse/rz)

Raphaël Zbinden

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