Stève Bobillier, «équilibriste» de la bioéthique

Stève Bobillier, le nouveau bioéthicien de la Conférence des évêques suisses (CES), «jongle» continuellement avec les diverses sensibilités, enjeux et arguments, sur des questions parfois très émotionnelles. Portrait d’un homme de foi qui n’a pas peur des sujets qui fâchent.

Avec son élégance et sa distinction, ce grand homme de 36 ans aurait sans doute pu faire carrière dans la diplomatie ou la communication. Stève Bobillier a cependant choisi de travailler pour l’Eglise. Un choix que certains de ses amis ont eu du mal à comprendre. «L’Eglise a certes mauvaise presse en ce moment. Mais je crois fermement en cette institution et ma foi a été plus forte que les réticences de certains proches, assure-t-il. Il est facile de critiquer de l’extérieur, mais le choix le plus sain est selon moi de travailler pour que les choses s’améliorent de l’intérieur».

Le goût de la remise en question

En tant que collaborateur scientifique de la commission de bioéthique de la CES depuis le 1er août 2018, le Valaisan installé à Fribourg a la difficile tâche de concilier les positions de l’Eglise en matière de bioéthique aux situations particulières de la Suisse. Cela sur des sujets de sociétés souvent très sensibles. Suicide assisté, avortement, mères porteuses…les questions sur lesquelles il doit se pencher ont leur lot d’épines, auxquelles il n’a toutefois pas peur de se piquer. Car son nouveau poste lui offre de conjuguer deux des principaux moteurs de sa vie: la confrontation des idées et l’engagement pour sa foi.

«La naissance de mes enfants a été ma plus grande leçon de philosophie»

Il a développé dans sa jeunesse le goût de la remise en question. Né à Orsières, dans l’Entremont, il grandit dans un contexte où la foi catholique est aussi évidente que la neige en hiver. Les premiers cours de philosophie, au collège, ébranlent cependant ses croyances «reçues». «Je suis passé par une sorte de crise existentielle, en me rendant compte qu’avec des arguments rationnels, il est très facile par exemple de nier l’existence de Dieu». Sa plongée dans la philosophie ne mène cependant pas sa foi à la noyade. «Plus j’avançais dans l’histoire des idées, plus je percevais une trame cohérente qui me ramenait vers la foi». Ayant trouvé les ressources rationnelles nécessaires, l’aspect émotionnel de la foi fait cependant défaut. Une lacune qu’il comble en rencontrant son épouse. «Elle m’a remis les pieds sur terre,en me reconnectant avec le côté plus intuitif, plus émotionnel de mon être». La naissance début 2018 de ses deux jumeaux consolide encore l’équilibre entre les deux dimensions. «Les enfants n’intellectualisent pas les choses. Ils ressentent et sont totalement dans le présent. Leur naissance a été pour moi la plus grande leçon de philosophie».

Développer le sens critique

Des piliers spirituels solides qui lui permettent de se plonger plus sereinement dans les questionnements existentiels intenses inhérents à sa fonction. Durant ses études, dans les l’Universités de Fribourg, de Paris et de Rome, ses préoccupations concernent surtout la capacité de l’être humain à trouver en lui-même des normes morales cohérentes. Son doctorat est ainsi consacré à Pierre de Jean Olivi. Ce franciscain du XIIIe siècle professe que, plus qu’à l’Eglise, c’est à l’homme qu’il revient de trouver les fondements éthiques essentiels pour guider sa conduite. Stève Bobillier met d’abord en pratique cette volonté d’autonomie dans l’enseignement. Durant plus de dix ans, il s’efforce de développer le sens critique de ses élèves qui se préparent à la maturité. «J’essayais de ‘casser’ un système trop scolaire, c’est-à-dire de faire en sorte que ces jeunes n’acceptent pas sans penser tout ce qu’on leur propose».

«Il faut composer avec les sensibilités à l’intérieur et à l’extérieur de l’Eglise»

Au sein de la CES, il trouve avec plaisir cette même possibilité d’une «éthique concrète». «Au-delà du simple exercice intellectuel, il s’agit de proposer des normes et des solutions qui ont des effets concrets dans la société». Dans ce travail, un équilibre également subtil est à trouver. «Il faut composer avec des facteurs très différents et des sensibilités diverses à l’extérieur, mais aussi à l’intérieur de l’Eglise.» Trouver la bonne alchimie requiert un doigté particulier mais également des connaissances solides dans des domaines très divers, qui vont de la médecine à la génétique, en passant par le droit et la théologie. Un travail d’orfèvrerie argumentaire qui nécessite la plus grande rigueur.

Transhumanisme et pharmaceutique en perspective

Pour autant, les prises de positions de la commission de bioéthique n’ont pas vocation à imposer des règles, insiste-t-il. «Il s’agit d’offrir un cadre et les outils de compréhension nécessaires pour que les personnes puissent juger et agir au mieux».

L’éthicien envisage des collaborations plus étroites avec les autres commissions des évêques, notamment «Justice et Paix» et «Migratio». Il entend en outre élargir le spectre des thématiques traitées par sa commission. Si le don d’organes et la gestation pour autrui (GPA) sont à l’ordre du jour, il aimerait se pencher sur les questions du transhumanisme, du juste prix des médicaments, de l’ostracisation de la mort, ou encore de la marginalisation des personnes âgées dans la société. Autant de sujets vertigineux, sur lesquels le Valaisan d’origine devra user de toute son expérience «d’équilibriste». (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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