Bruxelles : « Ethique et clinique de la fécondation in vitro » (250588)
Bruxelles, 25mai(APIC/CIP) Il y a dix ans naissait le premier bébé conçu
par fécondation in vitro (FIV). Cinq ans plus tard, l’Université catholique
de Louvain (UCL) entamait ses premiers programmes en ce domaine, sur son
site de Louvain-en-Woluwe (Bruxelles). Ou en est-on aujourd’hui dans la
fécondation in vitro, du point de vue éthique et du point de vue clinique,
notamment à l’UCL ? La question a fait l’objet de toute une journée d’études, le 18 mai, à Louvain-en-Woluwe, à l’initiative du Centre d’Etudes bioéthiques de l’UCL.
Le professeur Macq, recteur de l’UCL, a tenu à ouvrir lui-même les
débats, en rappelant publiquement « le souci et le devoir de l’UCL de
réfléchir aux implications de l’emprise progressive et parfois agressive
des sciences et des techniques sur notre culture et sur nos valeurs ». Sans
verser dans le traditionalisme, il s’agit, en effet de cultiver un héritage
moral et spirituel, d’intégrer la référence au message chrétien jusque
« dans les choix et les recherches universitaires ». Loin de laisser comme
Louis Pasteur « la foi et le chapeau à l’entrée du laboratoire », le prof.
Macq a donc encouragé les universitaires de différentes disciplines à « se
dépenser sans compter aux nouvelles frontières », avec leur foi et leur
amour de l’autre (et du Tout Autre), en restant « attentifs aux excès réducteurs de la science et aux dérapages de la recherche », avec la modestie
mais aussi l’assurance que confère la vision chrétienne de l’homme, avec
enfin la conviction qu’on ne doit « jamais partir seul dans la recherche ».
Ethique, droit et théologie, puis biologie et clinique : la succession
des aspects abordés au cours de la journée témoignait du souci de l’UCL de
ne pas laisser la réflexion morale et chrétienne à la traîne. Même si, dans
la pratique, le chercheur ou le clinicien n’attendent pas le moraliste pour
soulever des questions inédites.
La vie : un don
En mars 1987, la Congrégation du Vatican pour la Doctrine de la Foi a
publié une importante « Instruction sur le respect de la vie humaine naissante et la dignité de la procréation ». Les premiers mots latins de ce document – Donum Vitae -, rappelle le Père Roger Troisfontaines, théologien
moraliste et ancien recteur de Facultés Notre de la Paix à Namur, en
montrent bien l’enjeu : il s’agit d’accueillir et de promouvoir toute vie
humaine comme un don de Dieu et de se montrer reponsable par rapport à la
création. La dignité de la personne humaine n’est pas seulement liée au
respect de la vie dès la procréation : ce respect commence par le refus
d’introduire une dissociation dans l’amour conjugal, en faisant intervenir
des techniques extérieures. C’est pourquoi le magistère ecclésial a catégoriquement réprouvé la FIV « hétérologue », étant donné que l’unité conjugale
est brisée par le recours à un donneur de sperme autre que le mari ou par
une mère dite « porteuse » ou de substitution. Mais même la FIV « homologue »,
donc pratiquée dans la cadre exclusif d’un couple marié, a été rejetée par
la Congrégation romaine comme moralement illicite. De nettes réserves étaient aussi émises quant à l’insémination artificielle. Selon « Donum Vitae »,
opter pour la FIV c’est toujours prendre un risque inacceptable quant à la
santé de l’embryon et c’est nécessairement introduire une rupture entre
l’union amoureuse et la procréation.
Les arguments de la Congrégation romaine n’ont pourtant pas convaincu
tous les moralistes catholiques. Certes, l’UCL n’a jamais fait connaître sa
réaction à « Donum Vitae ». Mais son Centre d’Etudes Bioéthiques n’a jamais
trouvé la réprobation romaine convaincante dans le cas de la FIV si elle ne
concerne que les seuls partenaires d’un couple et si l’on protège la vie
des embryons.
Pour sa part, le Père Troisfontaines remarque que l’on ne saurait aisément faire grief à la Congrégation romaine d’une « vision réductrice » de
l’union conjugale ou d’une absence de distinction entre actes thérapeutiques ou non thérapeutiques. Mais ce qui importe, plus encore, ajoute-t-il,
c’est de considérer avec estime ce que « Donum Vitae » propose à la réflexion
: ne s’agit-il pas d’un document « prophétique »pour éviter que l’être humain, à commencer par l’embryon, ne soit livré à la technique comme un vulgaire objet ?
Dans le respect et l’unité de l’être humain
L’embryon est-il, dès sa conception, une personne humaine ? Posée en ces
termes, la question est trop problématique aux yeux du philosophe. JeanFrançois Malherbe, qui dirige le Centre d’Etudes Bioéthiques de l’UCL, se
méfie dès lors des réponse affirmatives comme négatives qui, tout aussi logiquement, concluent au devoir ou non de respecter les embryons. Lui-même
préfère fonder ce respect sur « la solidarité ontologique », c’est-à-dire le
fait que « je suis de la même veine qu’un embryon » : « Autrui est mon
semblable, comme moi, il a été un jour un ovule fécondé par un spermatozoïde. Comme tous mes semblables, il mérite un respect spécifique ».
Ce respect est dû d’autant plus que « ce que je suis, je l’ai reçu
d’autrui : mon patrimoine génétique, ma langue maternelle, mon réseau relationnel de base… » L’être humain reçoit toujours d’autrui l’occasion d’actualiser ses possibilités. Chaque embryon est donc une parcelle d’humanité
d’ou peut surgir un pôle de réciprocité qui humanisera à son tour ses
semblables. Disposer des humains à sa guise, ce serait décider « qui est mon
semblables ? » et réduire autrui à l’état d’objet.
Moyennant ce respect dû à l’embryon, toute FIV n’est pas pour autant acceptable, poursuit Jean-François Malherbe. Techniquement, en effet, il est
possible de donner à un enfant trois pères disctincts (le donneur de sperme, le compagnon de la femme enceinte, l’homme qui donnera son nom à l’enfant) et trois mère distinctes (la donneuse de l’ovule à féconder, la mère
« porteuse », la femme qui accueillera l’enfant et lui donnera son nom). Ou
mettre la limite ? Accepter qu’un enfant puisse avoir plusieurs pères et/ou
plusieurs mères, c’est déjà hypothéquer au déaprt l’unité de l’être humain.
Il faut, souligne J.-F. Malherbe, refuser de dissocier le terreau et l’insertion familiale de l’être humain lui-même.
Et de rappeler que si la FIV se poursuit aujourd’hui à l’UCL, c’est dans
des conditions strictes qui garantissent le respect de l’embryon et du
couple concerné par l’enfant à naître. La FIV est pratiquée dans un but
thérapeutique (pour résoudre un problème de stérilité, et non à des fins
expérimentales). Son accès est réservé à des couples stables et l’enfant
qui naîtra ne sera que leur enfant (donc, pas de donneur extérieur ni de
mère de substitution). On ne féconde pas plus d’ovocytes qu’il n’en faut et
tous les embryons sont transférés dans l’utérus. On veille enfin à ne pas
priver (par une hospitalisation de la femme, par exemple) le couple de son
partage intime et de la célébration de l’événement que représente l’espoir
concret de concevoir un nouvel être.
Des lacunes dans la législation
La procréation médicalement assistée comporte de nombreux aspects juridiques, qu’explore à son tour Mme Meulders-Klein, nouvelle présidente de
l’Association Mondiale des Droits de la Famille. Dans les années 50-60, on
discutait encore de la licéité de l’insémination artificielle et c’est surtout depuis un Congrès international de 1964 qu’on préfère ne pas l’interdire. Mais d’autres méthodes, plus sophistiquées, ont fait plus que prendre
le relais. Et les pratiques de FIV, par exemple, ont augmenté pour répondre
à de multiples demandes, y compris des cas plus nombreux de stérilité dus à
des maladies vénériennes, à des stérilisations volontaires, à des avortements ou encore pour satisfaire le besoin d’enfant chez des femmes seules
ou des couples homophiles, voire pour effectuer des expérimentations sur
des embryons humains. Selon Mme Meulders-Klein, tout ce qui est possible en
la matière se pratique en Belgique, même si l’UCL, pour sa part, s’en tient
à une déontologie stricte.
Le vide juridique n’est pas aussi grand qu’on ne le croit. D’abord, il y
a des principes généraux de droit commun, civil, pénal, médical. Les
principes du respect de l’inviolabilité du corps humain, de la responsabilité civile et pénale résultant des coups et blessures, s’appliquent à tout
acte médical.
Les règles en vigueur sont-elles suffisantes ? Le problème est posé à
tous les pays. Le Conseil de L’Europe a mis sur pied, il y a trois ans, un
Comité spécial d’experts, le CABI, qui est parvenu à un consensus sur une
série de principes pour éviter notamment un « tourisme procréatif ». Encore
faudrait-il que le Conseil des ministres européens prenne lui-même position.
Sans entrer dans le dédale des problèmes juridiques qui restent posés en
Belgique, on peut retenir de l’aperçu fourni par Mme Meulders-Klein que,
parmi les nombreux acteurs intervenant dans la procréation humaine artificielle, le médecin joue un rôle non négligeable : du point de vue juridique, « il est le procréateur de l’enfant fécondé in vitro ». Quant au mari,
s’il a consenti à la procréation artificielle, il n’a plus le droit de contester la paternité de l’enfant (d’après la loi de 1987 sur la filiation),
pour autant, bien entendu, que le consentement en question ait été établi
et de manière non viciée. La mère, de son côté, est automatiquement désignée, depuis le 31 mars 1987, dans l’acte de naissance de l’enfant. La maternité de substitution pose toutefois un problème : pour le législateur
belge, la location du corps de quelqu’un est un contrat nul et non avenu et
un enfant ne peut jamais être réduit à l’état de marchandise en faisant
l’objet d’un contrat. Quel est le statut de l’embryon ?.
Le théologien et la FIV
Sous l’angle de la théologie chrétienne, l’éthique requise en matière de
FIV acquiert un relief particulier. Sans se situer nécessairement dans le
fil de Donum Vitae ni en discuter les arguments, Henri Wattiaux rappelle
qu’une vision chrétienne de l’homme est toujours « à double foyer » : elle
part du principe que l’homme est créé et sauvé par Jésus-Christ, et que
cela vaut pour tout homme et pour tous les hommes. Autrement dit, l’agir
chrétien se fonde sur un au-delà de l’homme.
Les développements scientifiques et techniques ne sont pas une objection
à la foi en la Création. Au nom de quoi, en outre, fermer à toute
intervention technique le lien entre la sexualité et la fécondité ? Pourvu
que l’intervention humaine sur l’homme soit consciente que « de grands biens
ou de grands maux peuvent en sortir »!
On est renvoyé, poursuit H. Wattiaux, à des critères de discernement
éthique pour un recours à la FIV. Deux grandes questions méritent d’être
posées : qui est impliqué ? Et quel est le statut de l’embryon ? Et le
théologien d’interpeller sur ce point les médecins quant à l’attention à
« l’émiettement de la parenté ».
Non seulement un enfant a le droit de naître dans une famille avec un
père et une mère, mais il ne convient pas non plus que la vie d’un couple
soit troublée par l’ingérence d’un tiers dans un domaine qui reste
essentiel à cette vie. Il y va, insiste H. Wattiaux, de la signification
même de l’amour. Et, par respect pour l’amour unique qui se manifeste dans
un couple, fût-il sans enfant, un médecin peut aussi se montrer dissuasif
quant au recours à certaines techniques.
Quant au respect de l’embryon, le moraliste chrétien ne peut qu’insister
pour que la promotion de la vie implique le refus de réduire l’embryon à un
rôle instrumental. Ce qui suppose des règles déontologiques pour encadrer
la recherche et la pratique de la FIV, ou l’embryon est l’être le plus
vulnérable.
Enfin Henri Wattiaux plaide pour que, nourris des valeurs à promouvoir à
la lumière de l’Evangile, les chrétiens puissent contribuer à proposer à la
société et donc à « la conscience collective » des critères de discernement
des choix et des conduites qui rendent le monde plus habitable.
Mais au fond, pourquoi la FIV ?
Les réflexions morales, juridiques et théologiques n’étaient pas les
seules au programme de la journée d’études du 18 mai. Plusieurs médecins et
biologistes de l’UCL ont également permis d’explorer divers aspects
cliniques de la fécondation in vitro.
Le premier bébé éprouvette né dans le cadre de l’UCL a vu le jour aux
cliniques St-Luc le 28 décembre 1984. Ses parents : des étudiants
africains, qui ont d’ailleurs eu neuf mois plus tard des jumeaux grâce à la
même procréation artificielle. Pour la maman, ce fut une triple victoire
sur sa stérilité, liée à la perte irrémédiable de la fonction des trompes
de Fallope, passage obligé pour l’ovule au sortir de l’ovaire.
Dans ce cas classique de stérilité féminine, comme dans des cas tout
aussi classiques de stérilité masculine (par insuffisance des
spermatozoïdes quant à la densité, la mobilité ou la forme), un couple ne
doit pas perdre de temps avant de consulter un spécialiste. Pour un couple
normalement fécond, en effet, la probabilité qu’un ovocyte soit fécondé au
cours d’un cycle menstruel et que la grossesse aboutisse effectivement à la
naissance d’un enfant n’est que de 25 % en moyenne par cycle. Plus de la
moitié des oeufs fécondés meurent d’ailleurs dans l’utérus. Or, si un
couple apparemment stérile ne tarde pas à consulter un spécialiste, il
augmente ses chances d’être fécond. On a calculé que s’il consulte un
spécialiste après 6 mois, il garde 9 chances sur 10 de rester fécond. S’il
attend 5 ans, il n’y plus qu’une chance sur 10.
Pourquoi recourir à la fécondation in vitro ? Parce que les traitements
classiques (médicaments, chirurgie, insémination artificielle) ne résolvent
les problèmes de stérilité que pour un couple sur deux, constate le prof.
Karl Thomas, obstétricien. C’est ce qui explique la multiplication des
centres de FIV : plus d’un millier dans le monde, ou les
« bébés-éprouvettes » sont aujourd’hui au nombre de 15 à 20’000. En Belgique,
on estime le nombre de tentatives FIV à 2800 par an et 15 % d’entre elles
aboutiront à des grossesses évoluant jusqu’à la naissance d’un enfant.
Techniques de pointe et travail d’équipe
La pratique de la FiV ne serait pas possible sans le travail de toute
une équipe comprenant divers spécialistes. L’expérience et l’entraînement
continuel de cette équipe ont une influence décisive sur ses résultats :
une centaine de tentatives par an sont un strict minimum. A l’UCL, 400
patientes ont été traitées en 1987.
Evidemment, comme le rappelle le Dr J.-G. Sartenaer, ancien de l’UCL,
une collaboration étroite est requise entre l’équipe médicale et le couple
concerné, à commencer par la femme. Un médecin ne peut prélever chez elle
un ovule n’importe quand ni dans n’importe quelle condition. D’abord, il
s’agit d’opérer une stimulation ovarienne pour obtenir suffisamment d’ovocytes matures. Cette stimulation passe par un traitement hormonal adéquat,
mais dont il importe de surveiller avec précision l’effet sur le développement du cycle menstruel, si l’on veut être en mesure de féconder des ovocytes de qualité, parvenus à leur stade optimal de développement. C’est ici
que se pose un problème particulier quant au respect des embryons : que vat-on faire de tous les ovocytes ponctionnés ? Les inséminer tous, quitte
ensuite à « congeler » – jusqu’à quand ? – les embryons surnuméraires ?
La maîtrise des techniques les plus sophistiquées n’est pas la seule en
cause. Y. Psalti, biologiste, insiste sur les contrôles de qualité d’un
laboratoire de FIV. On doit évidemment contrôler la qualité des gamètes
comme le développement des embryons. Mais le premier contrôle concerne déjà
les conditions de travail : la régulation de l’incubateur, la non
contamination des sérums, la fiablité du milieu de culture.
Enfin, remarque encore S. de Cooman, andrologue, les perfectionnements
de la FIV n’ont pas été sans effet sur les traitements de la stérilité
masculine, puisque cette technique peut être, en présence de certaines
pathologies, la meilleure voire la seule solution pour qu’un couple puisse
engendrer ses propres enfants.
Les résultats de la FIV
Analysant les résultats obtenus à l’UCL das la période allant d’octobre
1983 à juin 1987, un des responsables du Centre de fécondation in vitro, le
Dr E. Loumaye, constate que, parmi les ovocytes ponctionnés chez la femme
puis inséminés avec le sperme du partenaire, un sur deux parvient au stade
de l’embryon.
Le transfert d’un ou plusieurs embryons dans l’utérus n’équivaut
cependant pas automatiquement à une grossesse. C’est seulement vrai dans 8
% des cas. Que se passe-t-il le plus souvent ? Près d’une fois sur trois tout comme lors d’une fécondation naturelle -, l’embryon implanté dans
l’utérus présente des anomalies génétiques qui entraînent généralement sa
mort. Dans les autres cas, le démarrage de la grossesse continue de
dépendre non seulement de la viabilité de l’embryon, mais de la capacité de
l’utérus d’accepter son implantation. Toutefois, le nombre de fausses
couches n’augmente pas avec le nombre d’embryons transférés. Après
fécondation in vitro et transfert de l’embryon dans l’utérus, on déplore
des fausses couches dans un tiers des cas.
Il reste des phénomènes inexpliqués. On constate par exemple à l’UCL,
comme dans d’autres centres, que les taux de grossesse après FIV varient
d’un mois à l’autre sans qu’on puisse rattacher ces fluctuations à une
cause précise.
Q’en est-il des réussites par rapport au nombre de tentatives ? A l’UCL,
on obtient actuellement une moyenne de 50 % de grossesses après quatre
tentatives de transfert de l’embryon. Par rapport au nombre de transferts,
la viabilité des embryons reste certes constante; en revanche, l’utérus se
montre de moins en moins réceptif aux tentatives d’implantation. Aussi les
chiffres les plus favorables sont-ils estimés à 4 tentatives, avec 50 % de
réussite : on est très proche des résultats de la procréation naturelle ou
la probabilité pour une femme d’être enceinte après fécondation naturelle
est de une fois sur deux au bout de trois cycles. (apic/bd/ym)
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