Quand les musulmans deviennent chrétiens et les chrétiens musulmans

S’il est difficile de connaître le nombre de chrétiens convertis à l’islam en Suisse – 10’000 selon les chiffres les plus hauts – les convertis de l’islam au christianisme ne seraient que quelques centaines, relève Roberto Simona le 4 février 2019. Ce spécialiste des minorités chrétiennes en pays musulmans a cité ces estimations lors de la défense de sa thèse de doctorat en sciences politiques à l’Université de Lausanne (UNIL).

Le responsable de l’antenne romande et tessinoise de l’ONG catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED/ACN) présentait son travail de doctorat au jury présidé par le professeur Jean-Philippe Leresche, doyen de la Faculté des sciences sociales et politiques de l’UNIL. Il relève qu’il est difficile de chiffrer le nombre de convertis en Suisse. En effet, ces personnes, qui ont accompli le rite formel de la conversion dans une autre religion, se considèrent simplement comme membres de leur nouvelle communauté de croyants.

Une étude sociologique du processus de conversion

Intitulé «Une étude sociologique du processus de conversion en Suisse: du christianisme à l’islam et de l’islam au christianisme», ce travail se base sur des entretiens croisés de 32 personnes ayant changé de religion, du christianisme à l’islam et de l’islam au christianisme. Enregistrés sur plusieurs années – en Suisse alémanique, en Suisse romande et au Tessin – ces entretiens permettent une connaissance sociologique de la conversion de ces personnes qui ont choisi d’adhérer à une nouvelle croyance.

Le chercheur a expliqué les étapes parcourues par des Suisses devenant musulmans après avoir prononcé la profession de foi de l’islam, la «chahada» (qui signifie ‘attestation’ ou ‘témoignage’) ou des musulmans, originaires de pays musulmans et établis en Suisse, se faisant baptiser. Ce sont des processus qui révèlent des analogies, mais ont tout de même un caractère asymétrique.

Les Eglises évangéliques plus missionnaires

Roberto Simona a listé les diverses attitudes des Eglises envers les personnes désireuses de se convertir, passant d’une attitude d’accueil voire d’accompagnement, de l’Eglise catholique, à une action plus active, plus missionnaire. C’est en particulier le propre des Eglises évangéliques, soit près de 2% de la population, selon les dernières données de l’Office fédéral de la statistique publiées dans l’étude «La religion, une histoire de famille ?» (Neuchâtel 2018).

Ses recherches se limitent à des personnes ayant franchi le pas de la conversion. Elles n’abordent pas la question des nombreuses personnes qui disent se sentir proches d’une autre orientation religieuse que celle qu’ils ont héritée dans leur famille, mais n’ayant pas posé d’acte formel d’adhésion à une nouvelle croyance.

Les risques de rupture avec l’entourage

Le chercheur relève que ceux qui changent de religion encourent le risque d’une rupture avec leur environnement social, dans leur famille, sur leur lieu de travail. Il affirme dans son étude que l’attirance pour la nouvelle religion est due essentiellement à des rencontres qui ont lieu par hasard et ne résultent pas d’une stratégie de conversion menée par les Eglises ou les mosquées.

Roberto Simona relève chez certaines personnes interrogées un sentiment d’insatisfaction voire de rejet de la religion héritée des parents. Il considère notamment que la conversion au christianisme d’étrangers n’est pas seulement due à l’attraction pour un pays occidental, à la motivation pour obtenir un permis de séjour ou un passeport suisse, car la conversion est un processus lent, qui peut se passer bien après la naturalisation.

Un sujet encore peu étudié

Membre du jury, Anne-Sophie Lamine, professeure à l’Uni de Strasbourg, a salué l’ampleur de ce travail, qualifié de «courageux» pour avoir comparé les processus de conversion chez les chrétiens et les musulmans. Hansjörg Schmid, professeur à l’Université de Fribourg, a relevé que le sujet avait encore été peu étudié, car dans beaucoup d’études, le focus est plutôt mis sur la radicalisation des musulmans.

Le professeur a souligné la décision libre des personnes changeant de religion relevée dans l’étude. Dans sa critique, il a mentionné que le contexte catholique du doctorant servait un peu de référence, «avec quelques traces apologétiques», et ce dans une thèse de sociologie. Il a toutefois salué le fait que Roberto Simona ne cachait pas son arrière-plan religieux.

Un arrière-plan religieux pas absent

Monika Salzbrunn, professeure à l’Uni de Lausanne, a qualifié la thèse de «très riche et très originale», fruit d’un travail de très longue haleine, alors que l’on assiste trop souvent à de la «fast food science». Elle a également relevé une certaine tendance «plus théologique que sociologique» dans quelques passages, «qui en disent long sur votre parcours dans l’Eglise catholique».

Directrice de thèse, Mounia Bennani-Chraïbi, professeure à l’Université de Lausanne, s’est montrée enthousiaste sur le travail fourni, «une belle thèse», soulignant le mérite d’une personne qui a déposé officiellement son projet en 2009. Le ‘thésard’  a dû prendre son temps – tout en travaillant, se rendant dans les endroits de crise pour son ONG, élevant sa famille – pour finalement obtenir des résultats de recherche «très stimulants». (cath.ch/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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