Abus sexuels: l'Eglise en Pologne face aux demandes d'indemnisation

En septembre 2018, un tribunal polonais a pour la première fois ordonné le versement par l’Eglise d’une indemnité à une victime d’abus sexuels commis par un prêtre. Le jésuite Adam Zak, responsable de la protection de l’enfance et de la jeunesse à la Conférence épiscopale polonaise, explique comment l’Eglise du pays réagit à ces demandes d’indemnisation.

Les journaux polonais ont parlé d’une «révolution». Pour la première fois dans l’histoire de la Pologne, l’Eglise catholique a été forcée de payer pour des agressions sexuelles commises par un de ses membres. Suite à des actes de pédophilie avérés d’un prêtre dans la région de Poznan, à l’ouest de la Pologne, un tribunal a ordonné à la congrégation de la «Société du Christ pour les émigrants polonais» le versement à la victime d’une somme d’un million de Zlotys (env. 230’000 euros).

Le Père Zak a été interviewé à Cracovie par l’agence catholique allemande KNA sur la position de l’Eglise face aux abus sexuels dans le pays.

La Conférence épiscopale de Pologne dirige actuellement une enquête sur les abus sexuels commis par des prêtres sur des mineurs. Y a-t-il déjà des résultats intermédiaires sur l’ampleur du phénomène?
Adam Zak: En automne 2018, les évêques ont décidé qu’il fallait déterminer de manière précise le nombre d’auteurs connus. L’enquête couvre une période allant de 1990 à juin 2018. Les diocèses et les congrégations religieuses devaient envoyer leurs données jusqu’à fin novembre 2018. A ma connaissance, la plupart ont envoyé les documents à temps. Il a cependant fallu attendre des réponses de communautés religieuses. Dans certains cas, des clarifications ont été demandées après la soumission de la demande. Mais aucun rapport intermédiaire n’est disponible, et il n’y en aura certainement pas avant la publication des résultats.

A quelle date ces résultats seront-ils publiés?
Il ne faut pas s’attendre à une publication avant l’Assemblée plénière de la Conférence épiscopale, en mars 2019. Sauf si, bien sûr, l’institut en charge de l’analyse des données prend de l’avance, que les évêques peuvent en prendre connaissance et qu’ils décident de les publier.

L’opposition politique et les victimes d’abus demandent la création d’une commission d’enquête indépendante. En tant que responsable de la Conférence épiscopale, qu’en pensez-vous?
A mon sens, cette demande a peu de chances de succès dans sa forme actuelle. Les quelques politiciens de l’opposition qui soutiennent ces revendications seraient plus crédibles s’ils étaient prêts à prendre en compte les abus sexuels commis non seulement dans le cadre ecclésial mais également dans les autres secteurs de la société. Dans la société polonaise, le processus de mise au jour des abus sexuels en est encore à ses débuts.

Le gouvernement polonais a rejeté à plusieurs reprises la proposition du médiateur national pour les droits de l’enfant d’élaborer de façon conjointe une stratégie nationale pour protéger les mineurs contre toute forme de violence. Les évêques soutiennent pourtant cette proposition. Elle permettrait également de créer le cadre approprié de traitement des abus dans l’Eglise et la société.

L’Église catholique est la seule force sociale du pays qui, malgré toutes les résistances internes, travaille depuis quelques années sur les cas dont elle a connaissance et encourage la prévention. L’Etat se concentre avant tout sur le renforcement du droit pénal. En cette année, marquée par les élections européennes et législatives en Pologne, le thème des «abus dans l’Eglise» est hautement politisé.

Le président de la Conférence épiscopale, Mgr Stanislaw Gadecki, a rencontré des victimes d’abus en janvier 2019. Quels ont été les sujets de discussion?
Les discussions entre Mgr Gadecki et les victimes se poursuivent. Il s’agit de conversations en tête-à-tête qui, semble-t-il, prendront plus de temps qu’on ne le pensait, en raison de l’importante demande. L’archevêque prend le temps qu’il faut pour le faire. Je peux vous assurer que les victimes sont bien accueillies. Il n’y a pas de thèmes obligés, mais une règle générale: être à l’écoute.

La «Société du Christ pour les émigrants polonais» a été forcée de verser la somme record de 230’000 euros à une femme violée à plusieurs reprises par un religieux alors qu’elle était enfant. La congrégation fait à présent recours à la Cour suprême, à Varsovie. L’Eglise en Pologne refuse-t-elle donc d’indemniser les victimes?
Le verdict a été un choc pour beaucoup de responsables d’Eglise. Il n’y a pas eu de débat au sein de l’Église sur la réparation des souffrances des victimes d’abus. Il existe d’autres demandes d’indemnisation aux sommes élevées sur lesquelles les tribunaux doivent encore se prononcer. Mais il y a aussi de nombreuses victimes qui ne peuvent pas faire valoir leurs droits en raison de la prescription. Un débat sur les indemnisations devra bien débuter un jour.

Que fait l’Eglise en Pologne aujourd’hui pour empêcher les mauvais traitements envers les enfants et les jeunes?
En 2014, la Conférence épiscopale a adopté un cadre de prévention, en même temps que des directives pour le traitement des cas d’abus signalés. Toutes les institutions ecclésiastiques qui travaillent avec les enfants et les jeunes doivent se conformer à des normes claires. Elles sont destinées à faire de l’Eglise un lieu sûr pour les mineurs. Le développement de la prévention est maintenant principalement dévolu au Centre de protection de l’enfance de l’Université jésuite de Cracovie. Nous y formons intensivement les équipes de prévention que les évêques ont désignées pour cette tâche. C’est également l’objectif des études de troisième cycle que nous proposons pour la deuxième fois au Centre de protection de Cracovie. (cath.ch/kna/rz)

Raphaël Zbinden

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