Abus sexuels: une lente prise de conscience dans l'Eglise d'Afrique

La prise de conscience des abus sexuels dans l’Eglise en Afrique apparaît difficile, dans une institution pauvre, confrontée à de multiples problèmes. Un développement en outre freiné par des mentalités qui sacralisent le prêtre et font de ces cas des affaires privées.

«Je pense que la dissimulation est très forte», affirme Joachim Omolo Ouko à propos des abus sexuels dans l’Eglise d’Afrique. Le prêtre kényan assure à l’agence américaine Catholic News Service (CNS) que si des abus ont bien sûr été commis par des prêtres du continent, peu d’entre eux ont été rapportés. Une opinion partagée par Sœur Hermengild Makoro, secrétaire générale de la Conférence des évêques d’Afrique du Sud. «L’Afrique est également touchée, comme tous les autres continents, mais je ne peux pas dire à quel degré», relève la religieuse membre de la Commission pontificale pour la protection des mineurs.

«La parole doit se libérer»

Le Père Chrisantus Ndaga, du diocèse de Bukoba, au nord-ouest de la Tanzanie, estime qu’il s’agit d’un «problème universel dans l’Eglise». Pour ce dernier, la seule différence entre l’Afrique et l’Occident concerne la couverture médiatique et la perception sociale du phénomène. «Des cas sont certainement semblables à ceux qui se sont produits ailleurs dans le monde, mais ici, ils sont considérés comme des problèmes familiaux et sociaux, affirme le prêtre tanzanien. Quand ils émergent, certaines familles refusent qu’ils soient rendus publics».

Dans le journal français La Croix, le Père Stéphane Joulain, religieux de la Société des missionnaires d’Afrique (Pères blancs), confirme que «la plupart du temps, les familles ne veulent pas parler». En Afrique, «la parole doit se libérer», ajoute-t-il.

Eviter le scandale?

La crainte des institutions dans de nombreux pays du continent va à l’encontre d’une acceptation complète des abus commis par des prêtres. «Davantage de cas ont été mis au jour dans le monde développé, parce que les gens sont plus indépendants dans leur foi», commente à CNS Peter Njogu, ancien prêtre catholique du Kenya. «Je pense qu’il y a beaucoup plus de cas en Afrique, mais la plupart ne sont pas enregistrés, parce que les gens ont peur», assure-t-il. Pour l’ex-prêtre, il s’agit d’une «mentalité héritée du colonialisme», dans laquelle ont craint la religion institutionnalisée.

La volonté de régler ces affaires à l’interne est confirmée par Mgr Ignace Bessi, président de la Conférence des évêques catholiques de Côte d’Ivoire (Cecci). Dans La Croix Africa du 18 février 2019, le prélat explique que «des personnes peuvent être au courant de telles histoires sans oser le dire pour ne pas causer du tort au prêtre, car notre culture promeut la pudeur». Une «discrétion» qui semble aussi de mise au niveau de l’épiscopat.

Dans certaines régions d’Afrique, la protection des mineurs est également affaiblie par des conditions socio-politiques et économiques très difficiles. En RCA, Mgr Juan Munoz, évêque de Bangassou, dit comprendre que dans les zones de conflit, les responsables d’Eglise sont perplexes quand on leur demande de faire de la lutte contre les abus une priorité. Ils voient ça comme une distraction face aux besoins massifs et urgents des populations. Pour l’évêque espagnol, la situation du pays n’est cependant pas une excuse, car la protection des enfants «doit être une priorité pour toute l’Eglise».

La banalisation du viol dans certaines zones d’Afrique fait également parfois apparaître les abus comme un problème de second ordre.

Le Père Joulain souligne que les moyens à disposition des Eglises africaines sont bien inférieurs à ceux dont disposent les épiscopats d’Europe ou des Etats-Unis. Il existe ainsi la crainte que les éventuelles demandes de dédommagement ne provoquent la ruine des diocèses ou que les fidèles catholiques rejoignent les rangs des Eglises évangéliques, en embuscade dans de nombreux pays d’Afrique.

Faible médiatisation

La presse du continent, également pour des raisons culturelles liées au respect de l’Eglise, rechigne à médiatiser ces affaires.

Des progrès sont toutefois enregistrés et des dispositifs de lutte contre les abus voient le jour dans certains pays.

En Afrique du Sud, 35 cas d’abus ont été signalés aux autorités ecclésiastiques depuis 2003. En octobre 2018, trois prêtres ont été renvoyés de l’état clérical. Parmi les 35 cas, seuls sept ont toutefois fait l’objet d’une enquête policière, indique sœur Hermengild Makoro. Mais le pays s’est doté d’un protocole dès 2015. Les évêques nigérians ont également émis des directives en 2017 et ceux du Ghana s’avancent vers un projet similaire.

Sortir du «déni»

La question est à présent de savoir si le sommet sur la protection des mineurs, qui se déroule à Rome du 21 au 24 février 2019, fera avancer la conscience du problème sur le continent. Le «déni» dans lequel semble se trouver beaucoup d’épiscopats dans le monde préoccupe en tout cas dans certains cercles au Vatican. Dans cette perspective, le Père Federico Lombardi, ancien porte-parole du Vatican, estimait début janvier 2019, que la convocation des conférences épiscopales était d’autant plus nécessaire que «certaines personnes, des responsables, parfois des évêques, n’ont pas compris la profondeur du problème». Il est fort probable que la déclaration concernait en particulier l’Eglise africaine. (cath.ch/cx/cns/crux/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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