Abus sexuels sur des religieuses: «Comment de telles choses ont-elles pu se passer?»

La révélation des abus sexuels commis par des prêtres et des évêques sur des religieuses a été un choc pour les communautés. Pour Sœur Maguy Joye, membre du Conseil de la province France, Suisse, Belgique des Filles de la Charité de Saint Vincent de Paul, il faut lever le secret et libérer la parole.

Au-delà des généralités et du ton agressif contre l’Eglise, que retenez-vous du reportage diffusé le 28 février 2019, par le magazine Temps Présent sur la radio télévision suisse (RTS), sur les religieuses abusées par les prêtres que vous avez regardé en communauté.
Sœur Maguy Joye: Nous avons d’abord été abasourdies d’apprendre les comportements de ces prêtres que nous connaissions bien, le Père Marie Dominique a été pendant des décennies professeur à Fribourg et nous a prêché plusieurs retraites. Certaines de nos sœurs lui vouaient une grande admiration. Idem pour le Père Thomas, aumônier de l’Arche, avec qui nous étions aussi en contact. C’est très grave. Plusieurs d’entre nous venaient de voir le très beau film sur Jean Vanier, le fondateur de l’Arche. Comment de telles choses ont-elles pu se passer dans ce milieu?

Le reportage décrit la confusion entre le spirituel et le sexuel.
C’est un des aspects les plus choquants. Ces gourous ou ces prédateurs affirmaient vouloir faire ressentir l’amour de Jésus à leur victimes. C’est effarant. On en arrive à des situations profondément perverses du style: «J’ai donné ma vie à Dieu. Le prêtre est l’homme de Dieu. Si je me donne au prêtre, je me donne à Dieu». Il y a un véritable mécanisme de culpabilisation. «J’ai peut-être tout de même été un peu consentante. Pourquoi n’ai-je pas eu le courage de briser le silence?» C’est pourquoi il est si difficile de parler et qu’il faut parfois de très longues années pour y parvenir.

Les victimes témoignent toutes de leur isolement.
Bridée par le secret imposé par son abuseur, la victime n’ose pas parler. C’est d’autant plus grave que sil elle parle elle risque de remettre en question sa vocation religieuse et sa présence même dans la communauté. Il faut être très courageuse pour le faire. Quand il y a le secret, le diable est là. Mais la parole libère. Je dirais même ici la Parole avec un grand P. C’est-à-dire Jésus-Christ lui-même. Quant j’entends une victime, je crois que c’est Jésus qui parle par sa voix. «Tout ce qui est couvert d’un voile sera dévoilé, tout ce qui est caché sera connu», dit Jésus dans l’évangile de Luc.

Avant d’entrer en communauté, j’ai fait une retraite. Après les exercices, le prêtre prédicateur m’avait invitée à venir seule chez lui. Je n’ai pas trouvé cela normal et j’en ai parlé à ma tante qui était religieuse. Elle m’a immédiatement dit: ‘Stop’.

Comme pour les abus sexuels sur les mineurs, le pape dénonce le rôle du cléricalisme.
En considérant le prêtre comme l’homme de Dieu, en le plaçant sur un piédestal, on lui donne un pouvoir trop grand. Il se croit et il se sent hors d’atteinte. C’est très grave aussi de la part de supérieurs qui ont ignoré ou couvert ces comportements.

Le reportage braque aussi ses projecteurs sur Rome et le Vatican.
La situation de ces jeunes religieuses des pays du Tiers-monde, envoyées à Rome pour se former et forcées de se prostituer m’a aussi choquée. Cela m’a interpellé sur leur formation de base. Comment a-t-on pu leur inculquer que dénoncer un prêtre est un parjure et une insulte à l’Eglise? Où est le sens de la liberté et du discernement? Cela interroge aussi sur le rapport au pouvoir de l’argent, lorsqu’il est question d’acheter le silence des victimes.

Les communautés vous semblent-elles toutes exposées de la même manière?
Non, je pense que plus le cercle est fermé et étroit plus le danger est grand. En outre les communautés charismatiques et nouvelles n’ont peut-être pas la profondeur historique nécessaire. Chez les Filles de la Charité, nous vivons toujours dans un milieu ouvert et en outre nous renouvelons nos vœux chaque année.

En avez vous déjà parlé au sein du Conseil provincial?
Non. Mais je vais le faire pour réfléchir aux éventuelles mesures à prendre. Dans notre maison de la Providence, à Fribourg, nous avons eu une de nos sœurs âgées que nous considérions toutes comme un modèle, qui est devenue grossière et vulgaire. Nous avons alors compris qu’elle avait été abusée comme jeune fille dans sa famille. Elle n’en avait jamais parlé. Le grand âge venant, tout est ressorti. Nous en avons été très frappées.

Que voyez-vous parmi les mesures de prévention?
Je dirais que le discernement cher au pape François joue un grand rôle. Dans son livre d’entretiens sur la vocation, il raconte qu’il devait un jour examiner deux candidats au sacerdoce. Le premier était un peu simple pas très doué pour les études, le second était brillant. Il penchait naturellement pour le second. «Attention l’a prévenu la psychologue qui avait reçu les deux candidats. Le premier est le plus simple mais le plus solide, il fera un bon prêtre. Le second est brillant mais ambitieux et j’ai décelé chez lui un fond pervers.»

Le reportage est une lourde charge contre l’Eglise.
Oui, il met le doigt sur une plaie de l’Eglise. Mais nous sommes cette Eglise. Les forces de la mort sont dans l’Eglise. Le mal ne vient pas de l’extérieur mais bien de l’intérieur de l’homme, rappelle Jésus dans l’évangile de Marc.  (cath.ch/mp)

Maurice Page

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