Le Liban, terre déchirée, reste un message pour le Proche-Orient

«J’ai vécu toute mon enfance dans la guerre. Avant qu’elle n’éclate et divise profondément la société libanaise, il régnait déjà un climat de méfiance entre voisins», confie le Père Samih Raad. Le prêtre grec-catholique, aujourd’hui curé en Moselle, reste convaincu que «le Liban est plus qu’un pays, c’est un message de dialogue et de convivialité».

Le Père Samih Raad paraphrase ainsi ce que disait déjà le pape Jean Paul II, en 1989, dans sa lettre à tous les évêques de l’Eglise catholique sur la situation au Liban. Le prêtre le confie à cath.ch: «Le Liban doit rester cette bougie allumée dans ce Moyen-Orient fragile et divisé». Samih Raad naît le 5 mars 1968 dans une famille de six enfants – deux frères et quatre sœurs – à Kfarnabrakh, qui signifie, en assyrien, «terre bénie pour sa richesse agricole et ses sources d’eau». C’est un village mixte chrétien-druze du district du Chouf. Une bourgade située à 1000 m d’altitude, dans le sud du Mont-Liban, qui fut durement touchée lors de la «guerre de la Montagne» (Harb al-jabal) de 1982-1983.

Ces combats ont signifié une rupture dans la «coexistence» entre druzes et chrétiens du Chouf et l’exode massif de ces derniers. Ceux qui n’ont pas émigré à l’étranger sont restés dans les villes et ne sont pas retournés dans la Montagne pour reprendre les activités agricoles d’antan. Ils travaillent désormais pour la plupart dans l’artisanat ou les professions libérales. Dans la ville, la vie intellectuelle, sociale, culturelle, relationnelle, a profondément transformé la génération de la guerre.

L’adieu au «pays des cèdres»

Le prêtre grec-catholique melkite libanais a, lui, depuis longtemps quitté «le pays des cèdres», où les chrétiens étaient encore majoritaires jusque vers les années 1970, alors qu’aujourd’hui leur part dans la population totale n’est plus que d’un tiers.

Samih Raad possède aujourd’hui également la nationalité française. Professeur au séminaire interdiocésain de Metz, où il enseigne le dogme et le dialogue interreligieux, il est aussi curé de Hombourg-Haut, une paroisse de l’agglomération de Forbach, dans le département de la Moselle. Le Père Raad était de passage en Suisse le week-end du 2-3 février 2019 à l’invitation de la branche suisse de l’œuvre d’entraide catholique Aide à l’Eglise en Détresse (AED/ACN).

Le Liban, insiste ce prêtre incardiné dans le diocèse de Metz depuis le début 2016, est caractérisé par sa grande diversité religieuse: on y trouve dix-huit confessions religieuses: des chiites, des sunnites, une petite communauté alaouite, des chrétiens maronites, grec-orthodoxes, melkites grecs-catholiques, melkites grecs-orthodoxes, syriaques, arméniens, sans compter les différentes dénominations protestantes historiques, et de petites communautés copte et latine. Il faut noter que les églises évangéliques, en particulier pentecôtistes,  se multiplient à Beyrouth, notamment dans les quartiers populaires de Sinn el-Fil, Nabaa et Bourj Hammoud.

Le Liban n’existerait pas sans la diversité de ses communautés

«Le Liban n’existerait pas sans cette diversité. On l’appelait la Suisse de l’Orient, en raison justement de cette diversité religieuse, culturelle, géographique, sa mosaïque de mentalités, la montagne, la mer, les vallées !»

Les années 1960 étaient les «grandes années du Liban», précise cet intellectuel qui, après sa licence en théologie à l’Institut Saint Paul, a obtenu un doctorat en philosophie à l’Université Libanaise, puis une licence à l’Institut Pontifical d’Etudes Arabes et d’Islamologie (PISAI) à Rome. «C’était le Liban des banques, de la liberté de la presse, des nombreuses imprimeries, des Universités: St-Joseph, qui est l’Université des Pères jésuites, l’Université américaine de Beyrouth (AUB), l’Université Libanaise (UL), un établissement universitaire public, et l’Université Saint-Esprit de Kaslik (USEK), unique université pontificale au Liban». L’Université de Balamand, liée à l’Eglise orthodoxe d’Antioche, n’a été fondée qu’en 1988.  «On venait de tous les pays arabes pour étudier au Liban. Mais tout a changé avec la guerre civile, qui a ensanglanté le pays de 1975 à 1991».

La cruelle expérience de la guerre

«Nous avons vécu la cruelle expérience de la guerre. En 1975, j’avais 7 ans quand le conflit a éclaté. J’ai été ensuite forcé de quitter mon petit village de Kfarnabrakh, avec toute ma famille, témoin du premier massacre commis par les druzes contre les villageois, en représailles contre le meurtre de Kamal Joumblatt, leur chef politique. J’entends toujours le cri des femmes, ils sont là, ancrés dans ma mémoire !  J’ai été déplacé, comme beaucoup de chrétiens de la Montagne. Quand on nous a entassés dans des camions, nous étions toujours des êtres vivants mais, d’humains, nous n’en avions plus que l’apparence…»

Le premier choc du petit Samih, réfugié à Beyrouth au début de la guerre, a été d’être poursuivi, dans un quartier chrétien, par un autre enfant armé d’un couteau. Il voulait le tuer simplement parce qu’alors, âgé de 9 ans, il avait encore l’accent d’un village de la Montagne et que son poursuivant l’avait pris pour un druze…

Région dominée par les druzes

«Cependant, malgré les premiers massacres et une paix qui était toujours fragile, nous avions eu le courage de retourner au village, espérant un futur meilleur dans cette région dominée par les druzes. Enfant, je croyais que le but des hommes était de travailler véritablement pour la paix. Mais hélas, en 1982, au Mont Liban, ce fut à nouveau le bruit des armes et cette même année, il y a eu de nouveaux massacres. Dans mon village comme dans beaucoup d’autres de la région, des chrétiens ont à nouveau été assassinés, simplement parce qu’ils étaient chrétiens. L’appartenance à une identité religieuse fait parfois oublier les amitiés, et ce sont les voisins qui tuent leur voisin, les amis qui pourchassent, en voiture, les amis chrétiens pour les exterminer…»

Durant ses années d’exil à Beyrouth, le jeune Samih, issu d’une lignée de prêtres, a ressenti en lui l’appel de Dieu pour se consacrer à Lui et devenir un artisan de paix. Après son ordination sacerdotale en 1994, Samih Raad est revenu, en 1996, comme premier curé de Maasser-el-Chouf, après les événements. C’était un tournant dans l’histoire de la Montagne pour les chrétiens exilés.

L’appel de Dieu

«J’ai été le premier curé à habiter le presbytère de Maasser après le martyre enduré par mon prédécesseur, assassiné le 9 septembre 1983. Ce jour-là, soixante-trois civils chrétiens, habitants du village, y furent massacrés». Il y alla pour reconstruire l’église, créer des projets pour encourager les chrétiens à revenir, rétablir de bonnes relations avec les druzes «pour briser les murs de la haine». Au début, dit-il, «je disais la messe dans une salle paroissiale sans porte ni fenêtre…» L’Eglise a joué un grand rôle à ce moment-là «pour écouter tout le monde sans juger, malgré les atrocités qui avaient décimé des familles entières, et recréer des ponts entre les gens et les communautés. Des ponts de paix !»

En considérant la réalité du Liban aujourd’hui, où les chrétiens sont devenus minoritaires, le Père Raad reste cependant modérément optimiste: «Même si beaucoup de chrétiens ont quitté le pays, le Liban va rester et la guerre dans la région aura bien une fin un jour. Le pardon est la route vers la paix. Les ténèbres ne domineront jamais, l’âme du Liban va demeurer!» (cath.ch/be)

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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