Repenser la race blanche, une critique du racisme

Nous ne savons plus très bien de nos jours comment recourir à la notion de race pour lutter contre le racisme. L’antiracisme est devenu une sorte de vulgate ou de prêt-à-porter sans profondeur.

Nous avons appris, avec Albert Jacquard notamment, que la race n’a pas de fondement biologique solide. Nous savons aussi que les préjugés racistes attribuant à certaines races une supériorité intellectuelle ou morale ne tiennent pas la route. Nous sommes tous égaux en dignité, quelle que soit la «couleur» de notre peau, que nous soyons grands ou petits. Mais comment se fait-il que les comportements racistes ne se sont pas écroulés avec la disparition de ces préjugés? Comment se fait-il que ce n’est pas la même chose de vivre comme Blancs sur le continent européen ou se promener comme Européens (blancs) dans les rues de Yaoundé ou de Goma? Comment rendre compte de ce que je ressens quand je me promène en Chine ou au Vietnam au milieu d’une majorité évidente d’Asiatiques?

«La désignation ‘Blancs’ a évolué selon les croyances»

Dans son chef-d’œuvre History of White People (traduit en français par Histoire des blancs), l’historienne afro-américaine Nell Irvin Painter, de l’Université de Princeton, invite à révolutionner notre point de vue sur la notion de race et à appréhender les choses sous un autre angle: plutôt que d’étudier la négritude, elle met en évidence comme se sont construits la notion de «race blanche» et le concept de «blanchité» (terme qui traduit l’anglais ‘whiteness’), depuis les Scythes de l’Antiquité jusqu’aux catégories raciales utilisées dans l’Occident contemporain. Elle retrace la manière dont la désignation des «Blancs» et des «Non-Blancs» a évolué selon les croyances politiques et les contextes culturels.

«La race blanche est une construction»

Nell Irvin Painter est une métisse, spécialiste des minorités en Amérique et en particulier dans les Etats du sud des Etats-Unis. Elle ne fait pas directement état de son statut et de son point de vue personnel dans son travail historique, mais à la suivre dans ses analyses très subtiles et différenciées, on devine le regard critique et les thèses fortes qu’elle porte sur la question du racisme. La race blanche, nous dit-elle, est elle-même une construction. Mais ce n’est pas une construction unidimensionnelle. Tous les Blancs ne sont pas blancs de la même manière ou ne sont pas regardés de la même manière. Ainsi, les Irlandais, pauvres et sales, sont la plupart du temps méprisés par les Européens du Nord, Anglais en tête. Toutes les tentatives pathétiques esquissées dans la modernité au sujet de la différence des races semblent avoir échoué lamentablement. Même un philosophe distingué comme Ralph Waldo Emerson n’est pas parvenu à transcender les limites du «racialisme» dominant. Des thèmes prégnants comme l’eugénisme ou comme l’oppression des handicapés mentaux témoignent de cette victoire catastrophique de l’idée de supériorité de certains hommes sur d’autres.

«Les Blancs sont les champions du racisme non parce qu’ils sont blancs»

A lire et à méditer Nell Irvin Painter, on se sent obligé de reprendre à zéro la critique du racisme. Ce n’est pas la biologie ou la mesure quantitative qui est à la source du racisme. Nous avons en nous un besoin viscéral de nous comprendre comme supérieurs. Les Blancs sont les champions du racisme non parce qu’ils sont blancs, mais parce qu’il vivent dans une société et dans une culture empreintes de cette idée de supériorité. On sent se rejoindre, chez Nell Irvin Painter, les sources du racisme blanc et du racisme aryen des Nazis (de l’apartheid, aussi). C’est dans la culture et dans l’histoire qu’il nous faut détecter les origines du racialisme et du racisme qui en découle. Notre expérience effective de la différence des races est construite à partir de notre conscience d’une supériorité sans commune mesure avec la légitimité de ces différences.

Denis Müller

13 mars 2019

Portail catholique suisse

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