Christine von Garnier: «Il faut se souvenir du petit bushman!» (2/7)

Pour Christine von Garnier, la meilleure illustration de la sobriété heureuse est celle des bushmen qu’elle a connus en Namibie. Pour assurer l’avenir face aux temps difficiles qui s’annoncent, il serait bon de s’inspirer de leur exemple.

Quand on évoque le mot sobriété, Christine von Garnier remonte immédiatement à sa rencontre avec les bochimans de Namibie. En témoignent encore quatre grandes photos noir blanc aux tons passés accrochées dans le hall de son appartement de l’ouest lausannois, à coté d’un carquois en peau garni de ses flèches, de peignes à longues dents et d’instruments de percussion. «Venez, je vais vous montrer». Vive et alerte, elle entraîne son visiteur au pays de ses souvenirs et raconte avec force détails, les expériences africaines qui ont forgé sa vision du monde.

«Les bushmen ne tiraient de la nature que ce dont ils avaient strictement besoin»

La jeune femme qu’elle était à la fin des années 1960 avait été très impressionnée par le mode de vie de ce peuple de chasseurs-cueilleurs. «Un jour j’ai vu un bushmen à genoux aux côtés de la gazelle qu’il venait de tuer avec une flèche empoissonnée. Il lui demandait longuement pardon de lui avoir pris la vie lui expliquant que c’était pour le faire vivre lui et sa famille.» Pour Christine, cette leçon sera fondatrice. «Les bushmen ne tiraient de la nature que ce dont ils avaient strictement besoin. En lisant l’encyclique du pape François Laudato si sur la sauvegarde de la maison commune, plus de 40 ans plus tard, je me suis dit: ‘c’est ça! Le pape nous ouvre une voie ‘royale’.»

En symbiose avec l’environnement

Les bushmen n’avaient besoin de rien, nomades, ils construisaient des huttes de branchages et n’emportaient presque rien. Se nourrissant de chasse et de cueillette, ils trouvaient à boire en creusant le sol pour en sortir des sortes de tubercules qu’ils pressaient entre leurs mains pour en extraire le jus. Menus, agiles, endurants, ils vivaient dans une symbiose parfaite avec leur environnement.

Cette vie extrêmement simple n’empêchait nullement le goût de la beauté et de la spiritualité. Christine exhibe un long collier fait de centaines de fragments de coquilles d’œuf d’autruche qu’elle passe autour de son cou. «Comme ils croyaient en un Dieu créateur, un pasteur protestant leur avait fait apprendre le Notre Père dans leur propre langue. Les entendre le réciter, assis en cercle avec une profonde ferveur, m’a beaucoup impressionnée.»

Jusqu’au jour où les militaires sud-africains, qui connaissaient leurs extraordinaires qualités de pisteurs, les ont revêtus d’uniformes kaki, ont mis entre leurs mains des kalachnikovs et les ont envoyés traquer jusqu’en Angola les ‘terroristes’ qui luttaient pour l’indépendance de la Namibie. Payés pour ce ‘travail’, les bushmen ont alors enterré l’argent reçu autour de leurs huttes. Voyant cela, le gouverneur leur a fait construire une ‘banque’ en dur pour y déposer l’argent dont ils ne savaient toujours pas que faire. Christine est retournée souvent en Namibie, mais elle n’y a plus guère revu de Bochimans.

«Pour la génération actuelle, une seule chose compte: l’argent»

Lunettes de soleil et poussettes de bébés

Pour imiter les blancs ‘évolués’, les noirs ont commencé par acheter des lunettes de soleil, puis des transistors, puis des voitures et tout le reste. «La recherche matérialiste que nous avons amenée a transformé la société. Aujourd’hui, les femmes de Windhoek, la capitale de la Namibie, promènent leurs bébés dans des poussettes impeccables au lieu de les porter sur leur dos. La génération de l’indépendance a respecté les Droits de l’homme pour lesquels elle s’est battue. Mais pour la génération actuelle, une seule chose compte: l’argent. La corruption règne partout.»

Le choc culturel du retour en Suisse

De retour en Suisse, en 1987, Christine von Garnier bute sur les dizaines de produits proposés au rayon nettoyage d’un supermarché.» Ce fut un choc culturel. C’était effrayant, et cela m’énerve aujourd’hui encore. Travailler pour consommer ne peut pas être le sens de la vie.» Elle est alors embauchée comme secrétaire romande de l’œuvre d’entraide protestante Pain pour le Prochain. «Je restais dans la ligne de ce que j’avais vécu en Namibie. Sinon, je n’aurais vraiment pas pu tenir.» Un engagement qu’elle prolonge aujourd’hui encore au sein du Réseau Afrique Europe Foi et Justice. «En tant que lobbyiste au Parlement fédéral, je côtoie les politiciens libéraux. Pour conserver la richesse et le train de vie du monde occidental, ils veulent continuer à exploiter le Sud. En brandissant le spectre des pertes d’emploi et du chômage, ils y parviennent le plus souvent.»

«Ne pas se plaindre, se contenter de moins, partager davantage»

Se préparer aux temps difficiles

Pour Christine von Garnier il faut désormais se préparer à des temps difficiles. «Le grand beau temps qui règne depuis une quinzaine de jours, en plein mois de février, montre que le changement climatique commence à se faire sentir», estime celle qui a connu enfant les hivers des montagnes neuchâteloises. La recette pour y faire face: «ne pas se plaindre, se contenter de moins, partager davantage. Autrement nous allons au devant de guerres civiles.»

Un cadre de la Migros, habitant son immeuble, à qui Christine faisait part de son malaise devant la surabondance des supermarchés, lui a répondu: «Nous serons bientôt forcés de mettre moins de choses.»

Elle est heureuse de voir que les jeunes, à qui la génération précédente n’a pas laissé les repères nécessaires, se réveillent et se mobilisent pour le climat. Elle les invite à prendre leurs distances vis-à-vis des technologies, non pas pour les refuser, mais pour les humaniser. Il faut retrouver des gestes plus instinctifs, plus traditionnels. «Il faut se souvenir du petit bushman!» (cath.ch/mp)


Christine von Garnier

Christine von Garnier est née en 1941 au Locle. En 1967, elle quitte la Suisse en compagnie de son mari, un Namibien descendant d’une lignée de nobles allemands chassés de Silésie par les Russes en 1944. Elle a passé ainsi 20 ans parmi «les derniers colons d’Afrique». Docteur en sociologie politique, elle était correspondante, entre autres, du Journal de Genève, de la Neue Zürcher Zeitung, de Radio France Internationale, d’Afrique contemporaine. Elle y a aussi travaillé comme sociologue et a pris parti pour l’indépendance du pays.

De retour en Suisse, elle a été secrétaire romande de l’œuvre d’entraide protestante Pain pour le Prochain (PPP). Retraitée active, elle collabore au Réseau Afrique Europe Foi et Justice qui plaide auprès du Parlement suisse et ailleurs. Auteure de plusieurs livres de souvenirs et d’analyse politique, elle continue d’écrire des chroniques sur le site du journal Le Temps. (cath.ch/mp)

Maurice Page

Portail catholique suisse

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