Evangile de dimanche: brouillard bavard et lumière silencieuse

Voilà la météo pour ce week-end de Carême! En effet, l’évangile de ce dimanche nous rapporte le texte bien connu de la Transfiguration. Il nous parle donc de lumière. S’il nous est donné à entendre au début du Carême, c’est pour nous inviter à faire la même expérience que les disciples: voir la gloire de Jésus pour ne pas être envahis par le scandale de sa Passion. Le voir, au-delà du brouillard de nos existences.

Mais ce texte peut soutenir notre route de Carême d’une autre manière, entre brouillard et lumière. En effet, avant de rapporter la révélation fulgurante de la gloire de Jésus, l’évangéliste mentionne que Jésus «prit avec lui Pierre, Jean et Jacques (…) pour prier" (Lc 9,28). Cette page de l’Evangile nous rapporte donc une expérience de prière que les disciples ont vécu avec Jésus. Or Pierre adopte deux attitudes pendant cette prière qui peuvent nous interpeller sur ce pilier du temps de Carême qu’est la prière et les fruits qu’elle porte en nos vies.

La première attitude est marquée précisément par le brouillard et l’opacité. Pierre est accablé de sommeil, mais il lutte pour rester éveillé et voir ce qui se passe pendant ce temps de prière avec Jésus. Il perçoit ce qui est en train de se dire, mais de manière indistincte: aucune parole ne nous est rapportée. On sait juste que deux hommes, Moïse et Elie, sont là et qu’ils s’entretiennent avec Jésus. Cette première expérience, pendant la prière de Pierre, suscite un comportement bavard et activiste de la part de l’Apôtre. Il parle sans s’arrêter: il lui faudra la crainte inspirée par la nuée pour qu’il cesse sa logorrhée. Surtout, cette prière un peu brumeuse le conduit à vouloir «capturer» ou «organiser» le mystère qu’il contemple.

«Souvent, notre prière est bavarde, voire très bavarde.»

La seconde attitude, elle, est lumineuse, mais nettement plus «décapante» pour Pierre. Celui-ci voit la nuée et surtout entend distinctement la Voix venant de celle-ci qui dit: «Celui-ci est mon Fils, celui que j’ai choisi: écoutez-le!» (Lc 9,35). Pierre paraît, là, bien éveillé et n’a pas de mal à percevoir les paroles qui retentissent. Mais, alors, sa réaction est très différente. Il ne voit plus que Jésus, seul, et il garde le silence…

Ces deux attitudes de Pierre peuvent nous interroger sur notre rapport à la prière. Souvent, notre prière est bavarde, voire très bavarde. Nous cherchons à combler par des mots la crainte que nous avons de nous approcher de Dieu. L’apparente aridité de la fréquentation de Dieu nous inquiète. Alors, nous tentons de «collectionner» des expériences spirituelles, de garder «sous cloche» nos méditations, nos moments forts comme les tentes que Pierre veut dresser.

«La prière profonde est celle où nous découvrons que c’est Dieu qui a l’initiative.»

La prière profonde est, au contraire, celle où nous découvrons, au cœur parfois de nos agitations bavardes et nos répétitions mécaniques, que c’est Dieu qui a l’initiative. C’est celle qui nous conduit à écouter sa Parole avant de parler. C’est celle qui nous pousse à ne regarder que Jésus et surtout à garder un certain silence. Non pas un silence d’angoisse, mais un silence qui caractérise la crainte de l’homme qui réalise sa petitesse face au mystère de Dieu. Non pas un silence qui consiste à ne pas proclamer notre foi, mais un silence qui nous enjoint à ne pas nous barder d’une fausse assurance. Non pas un silence de mort, mais un silence d’amour, rempli de l’impressionnante simplicité de la présence de Dieu.

Nous ne pouvons jamais juger notre prière. Mais l’expérience de Pierre peut creuser en nous le désir de demander à Dieu la grâce d’une prière qui nous place dans une juste crainte face à Lui. Une crainte qui nous rappelle que nous sommes poussières et appelés à retourner à la poussière; une crainte qui nous prépare à entendre les paroles récurrentes du Ressuscité quand Il se manifeste à Pâques: «N’ayez pas peur!».

Jacques-Benoît Rauscher | Vendredi 15 mars 2019


Lc 9, 28b-36

En ce temps-là,
Jésus prit avec lui Pierre, Jean et Jacques,
et il gravit la montagne pour prier.
Pendant qu’il priait,
l’aspect de son visage devint autre,
et son vêtement devint d’une blancheur éblouissante.
Voici que deux hommes s’entretenaient avec lui :
c’étaient Moïse et Élie,
apparus dans la gloire.
Ils parlaient de son départ
qui allait s’accomplir à Jérusalem.
Pierre et ses compagnons étaient accablés de sommeil ;
mais, restant éveillés, ils virent la gloire de Jésus,
et les deux hommes à ses côtés.
Ces derniers s’éloignaient de lui,
quand Pierre dit à Jésus :
« Maître, il est bon que nous soyons ici !
Faisons trois tentes :
une pour toi, une pour Moïse, et une pour Élie. »
Il ne savait pas ce qu’il disait.
Pierre n’avait pas fini de parler,
qu’une nuée survint et les couvrit de son ombre ;
ils furent saisis de frayeur
lorsqu’ils y pénétrèrent.
Et, de la nuée, une voix se fit entendre :
« Celui-ci est mon Fils,
celui que j’ai choisi :
écoutez-le ! »
Et pendant que la voix se faisait entendre,
il n’y avait plus que Jésus, seul.
Les disciples gardèrent le silence
et, en ces jours-là,
ils ne rapportèrent à personne rien de ce qu’ils avaient vu.

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