'Habemus Feminas': pour une Eglise avec les femmes

La place des femmes dans l’Eglise est au cœur de l’actualité de ces dernières semaines. Mais en 2016 déjà, des croyantes catholiques prenaient la route de Saint-Gall à Rome pour faire entendre leur voix. Ce pèlerinage a fait l’objet du documentaire Habemus feminas présenté le 14 mars 2019 à Fribourg. Le professeur de théologie Franz Mali, qui a marché à leurs côtés, nous raconte.  

1200 km de marche de Saint-Gall à Rome pour demander une plus grande égalité des femmes et des hommes dans l’Eglise. Qu’espériez-vous obtenir exactement?
Le but de ce pèlerinage était de lancer un signe. Comme nous l’avons écrit dans une lettre que nous avons transmise au Pape François:  «Nous voulions ainsi exprimer le souhait qu’à l’avenir, les hommes ne réfléchissent plus et ne prennent plus de décisions sans les femmes quant à leur position, leur rôle et leur fonction au sein de l’Eglise, d’une part, et au sujet des problèmes de l’Eglise en général, d’autre part.»

D’un projet à trois ou quatre, votre marche a, au fur et à mesure, été rejointe par des centaines de pèlerins qui vous ont accompagnés quelques heures ou plusieurs jours. Le succès de votre démarche vous a-t-il surpris?
Ce succès nous a totalement surpris! C’est un ami qui nous a proposé d’ouvrir notre petit groupe à d’autres personnes intéressées. Ce sont tout d’abord cinq femmes qui nous ont fait part de leur souhait de nous accompagner à pied sur tout le chemin. Puis, nous avons publié sur notre site web le lieu et l’heure de départ de nos étapes quotidiennes et, chaque matin, des groupes plus ou moins grands nous attendaient au point de ralliement. Nous avons souvent été absolument stupéfaits du nombre de personnes qui voulaient marcher avec nous: à plusieurs reprises, nous avons été une centaine à partager la route, mais lors d’une étape particulière, nous avons été jusqu’à 250!

C’était en 2016. Qu’est-ce qui a changé depuis ?
Comme dans d’autres grands organismes, les moulins de l’Église eux aussi tournent lentement. Mais je constate qu’entre-temps ce sujet n’est plus celui de quelques siphonnés, mais que la réflexion s’accélère et est prise de plus en plus au sérieux, que ce soit le pape lui-même qui souligne à certaines occasions l’importance de ce souhait et qu’il nomme des femmes pour des postes toujours plus importants, ou que ce soit des cardinaux respectables qui insistent face à leurs collègues sur l’importance de s’engager davantage en faveur des femmes dans l’Eglise.

Ces dernières semaines, la presse est agitée par un nouveau scandale qui touche justement la place des femmes au sein de l’église. Est-ce un signe que la parole se libère?
J’espère que la parole se libère et qu’on regarde la réalité et la vérité dans toutes ses dimensions! C’est uniquement le cri de vérité qui peut rendre le respect aux victimes. J’espère que notre projet et nos prières donnent la force nécessaire aux femmes abusées dans l’Eglise (et au dehors) pour qu’elles puissent s’exprimer ouvertement, qu’on leur prête confiance et foi et qu’on leur rende justice. Nous avons marché aussi pour elles!

Marcher ensemble pour une cause, c’est aussi vivre ensemble pendant de nombreuses semaines. Qu’avez-vous retiré de cette expérience?
Cela a été une expérience magnifique! Pour moi, c’était une manière très concrète et sensible de vivre notre Eglise cheminant sur cette terre (Ecclesia in terris peregrinans) et contemplant Dieu: quand nous avons prié ensemble, quand nous avons toutes et tous gardé le silence pendant une heure chaque jour, quand des gens nous ont accueilli en nous offrant une terrasse couverte contre l’orage, quand nous avons partagé nos difficultés personnelles et que le voisin nous a prêté une oreille attentive. Nous sommes arrivés ensemble le soir à la destination prévue et personne n’a dû quitter le groupe ou n’a dû abandonner. Chacun-e avait ce qu’il lui fallait, personne «n’a manqué de quoi que ce soit» (Lc 22,35). En même temps le défi était de ne perdre personne, ni parmi les plus rapides – qu’il fallait freiner – ni parmi ceux qui avaient mal aux pieds et qu’il fallait soigner et encourager. (cath.ch/Alma&Georges/mp)

Sylvan M. Hohl: Habemus Feminas 2019, 110′ Cinegraph International Pictures in Koproduktion mit SAE Institute Zürich. VO suisse-allemand sous-titres français


Habemus Feminas, un film en noir et blanc contrasté

Maurice Page

Qu’il est long le chemin qui conduit des ors de la cathédrale de St-Gall aux ors de la basilique Saint-Pierre de Rome. Pour raconter la pérégrination de ce groupe de femmes parties porter leurs doléances au pape, le cinéaste Sylvan Hohl a besoin de près de deux heures.

Pas à pas, le spectateur marche avec les pèlerines par monts et par vaux, sous le soleil et la pluie, dans le vent dans le brouillard et doit s’adapter à tous les aléas de la route, avec les petits et les gros bobos.

C’est long, très long, trop long. Il faut dire que le réalisateur et ses deux compères, cameraman et preneur de son, n’ont pas hésité à se charger comme des baudets pour suivre, ou plutôt précéder les marcheuses et même se perdre en pleine forêt de montagne. Après un tel effort, il était certainement plus difficile de s’imposer les coupes nécessaires au montage.

En instaurant un dialogue indirect entre le groupe de femmes plus toutes jeunes et les jeunes cinéastes, Sylvan Hohl se donne néanmoins un fil rouge original. Le caméraman et le preneur de son sont deux jeunes hommes sans lien avec l’Eglise ou la religion. Face à la tenacité de ces femmes, ils découvrent un monde étranger et nouveau. Et parviennent même à parler de Jésus. Les plans passablement destructurés illustrent probablement leur recherche.

En noir et blanc

Le choix d’un noir et blanc très contrasté renforce à la fois l’aspect nostalgique et le caractère tragique de l’histoire. Le cinéaste nous offre ainsi quelques plans somptueux des plus beaux panoramas des Alpes, des Apennins ou des collines toscanes sous l’orage. Le chemin se déroule ponctué de haltes et de moments de réflexion en pleine nature ou dans quelque chapelle perdue.

Dommage que le cinéaste n’entre pas un peu plus en profondeur pour faire parler les femmes de leur cheminement intérieur et de leur relation non pas à une Eglise, largement vue comme une institution rigide, mais à la personne même de Jésus. Le spectateur doit se contenter de la deviner au détour de quelques cantiques ou de la célébration de la messe. Avec cependant quelques perles, comme la rencontre improbable avec une jeune prostituée nigérianne au milieu d’une clairière.

Arrivées à Rome, les femmes sont déçues de ne pas être reçues par le pape. Elles pénètrent néanmoins dans la basilique St-Pierre pour y déposer leurs intentions. Filmées en ‘caméra cachée’ – les cinéastes n’ont pas reçu l’autorisation officielle de tourner – elles racontent comment elles se sont fortifiées dans leur lutte. La procession d’entrée des quelques 500 femmes contraste fortement avec celle des plus de 2’000 évêques à l’ouverture du Concile Vatican II en 1962. Mais la lourde référence en images à Vatican II, uniquement vu comme un rassemblement de mâles engoncés dans leur tenue d’apparat, interpelle le spectateur qui sait ou qui se souvient que ce Concile a précisément défini l’Eglise comme le peuple de Dieu en marche. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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