Abus sexuels: Mgr Morerod et l'abbé Theurillat invitent les fidèles à «aimer la lumière»

«J’avais écrit une lettre pastorale, et je l’ai changée», remarque Mgr Charles Morerod, face à la crise des abus sexuels Dans sa lettre pastorale de Carême, lue le 16 mars 2019 dans toutes les églises, l’évêque de Lausanne, Genève et Fribourg invite à faire la lumière et à ouvrir le dialogue. Jean-Jacques Theurillat, vicaire épiscopal pour le Jura pastoral, a lancé un appel analogue.

«Je ne peux pas ne rien dire des événements qui troublent gravement notre Église et sa crédibilité», estime d’emblée Mgr Morerod. Pour l’évêque, «la mise en lumière de ces abus mérite un jugement d’abord positif, malgré la souffrance qu’elle provoque chez des victimes qui revivent leur drame, mais aussi chez les personnes qui aiment l’Évangile et l’Église. En effet, si la première souffrance des victimes a été l’abus, elle a été redoublée et prolongée par la négation et la dissimulation.»

«Un membre de l’Église souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui.»

‘Je n’ai pas à payer pour les fautes des autres!’

Mgr Morerod s’interroge aussi sur la responsabilité collective des fidèles chrétiens. «La grande majorité d’entre nous se dit: ‘Je n’ai pas à payer pour les fautes des autres!’ Oui et non, car même lorsque des abus ont été commis par des prêtres (et évêques), les victimes pointent du doigt une complicité plus large de la ‘société chrétienne’. L’évêque rappelle l’adage de l’apôtre Paul aux Corinthiens: «Un membre [de l’Église] souffre-t-il ? Tous les membres souffrent avec lui.»

Suivant le pape François dans son parallèle entre abus et cléricalisme, Mgr Morerod appelle à «revoir notre point de vue, notamment sur les types d’autorité dans l’Église, qui sont prévus pour servir et non pour favoriser de ridicules vanités, d’utilisation d’autrui pour son propre ego, conduisant à d’odieux esclavages. Je vois ma propre responsabilité à cet égard, mais je ne peux la porter seul.»

Aider l’Eglise à se purifier

L’évêque de LGF refuse en outre toute victimisation de l’Eglise. «Je suis témoin de l’aide qu’apportent des victimes et des journalistes quand on accepte le dialogue. Les catholiques qui pensent en ce moment que l’Église est victime d’une campagne de dénigrement sous-estiment la lassitude de personnes qui, en aidant à faire la lumière, désirent souvent aider aussi l’Église à se purifier.» Pour lui, «l’expérience montre que l’Église se réforme sous l’influence de la sainteté de ses membres (typiquement S. François d’Assise), mais aussi sous l’influence de forces apparemment adverses.»

«L’Eglise c’est l’Evangile qui continue»

Le message de l’évêque de LGF se termine sur appel au dialogue. «Notre société risque toujours davantage d’être composée de groupes juxtaposés qui se ferment sur eux-mêmes. […] Ce risque touche évidemment aussi l’Église: ne rentrons pas dans notre coquille face à la critique. Si nous voulons apporter une contribution à la société dans le domaine du dialogue, nous devons le faire aussi au sein de l’Église.»

«Aimons la lumière, n’en ayons pas peur, et que la souffrance liée à des critiques fondées soit pour toutes les personnes impliquées une occasion de libération! Que notre humiliation nous rende plus fidèles au Christ, afin que l’on puisse voir dans l’Église l’Évangile qui continue!», conclut Mgr Morerod.

«Un aveugle peut-il guider un autre aveugle?»

L’abbé Jean Jacques Theurillat, vicaire épiscopal pour le Jura pastoral, a également évoqué la crise des abus, dans une homélie publiée sur internet. Reprenant l’évangile du 3 mars 2019, il s’interroge: «Un aveugle peut-il guider un autre aveugle? Ne vont-ils pas tomber tous les deux dans un trou? Les responsables de l’Église, ou tout au moins une partie d’entre eux, sont-ils des aveugles qui vont faire tomber tout le peuple de Dieu dans un trou?»

«La question se pose, car la crédibilité et la confiance en l’Église sont malmenées après un enchaînement de révélations toutes plus sordides les unes que les autres, reconnaît le vicaire épiscopal. On peut être effaré devant les atermoiements de certaines autorités ecclésiales qui n’ont toujours pas pris la mesure de ces révélations.»

L’émoi devant ces révélations touche tout le monde. «Mais pour les membres de l’Église, pour les hommes et les femmes qui s’engagent de tout leur cœur dans nos paroisses, le scandale est encore plus grand. Ils se sentent personnellement trahis.»

Le mal n’est pas extérieur, mais intérieur

Pour l’abbé Theurillat, «trop souvent, en Église, notre réaction première a été de voir dans ces révélations l’expression d’un complot extérieur visant à détruire l’Église. Pourtant le mal n’est pas extérieur, mais intérieur.» Comme le relevait le cardinal Ratzinger lors du chemin de Croix de 2005: «Les vêtements et le visage si sales de ton Église nous effraient. Mais c’est nous-mêmes qui les salissons!». «Ces scandales malmènent l’Église, plus que toute autre institution, parce qu’elle est porteuse de valeurs morales et parce que, trop souvent, l’Église a été donneuse de leçons, spécialement en matière de sexualité.»

«Un prêtre ou un évêque n’est pas le représentant de Dieu sur terre, il est le serviteur du peuple de Dieu.»

Une triple prise de conscience

Le vicaire épiscopal suggère une triple prise de conscience. Il s’agit d’abord «de reconnaître qu’il y a des victimes et qu’il a des criminels. […] La parole des victimes doit être libérée, entendue. […] Trop souvent l’Église a vu dans les abuseurs des pécheurs, devant être invités à la pénitence, ce qui exclut les victimes, alors qu’ils doivent être reconnus comme des criminels devant rendre compte de leurs actes face aux victimes.»

La deuxième injonction vise à «désacraliser les ministères ordonnés, qui n’ont pas de pouvoir supérieur aux autres, si ce n’est la puissance de l’abaissement du crucifié. Un prêtre ou un évêque n’est pas le représentant de Dieu sur terre, il est le serviteur du peuple de Dieu.»

Enfin, le vicaire épiscopal jurassien revient sur la nécessité de donner des responsabilités plus grandes aux femmes. «Beaucoup de problèmes dénoncés aujourd’hui sont venus d’un repli sur des cercles de pouvoir exclusivement masculins.»

«C’est en mettant notre foi dans le Christ que nous pourrons franchir cette crise avec lucidité et courage: lucidité de dénoncer le mal, courage de changer un fonctionnement qui peut favoriser les abus et l’arrogance». (cath.ch/mp)

Maurice Page

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