Cinéma: immersion réussie dans le monde de Zwingli

Le film «Le Réformateur (Zwingli)» est une réussite, autant sur le plan cinématographique qu’historique, assure Ueli Zahnd, professeur d’histoire de la Réforme à l’Université de Genève. Le film, qui sort le 27 mars 2019 sur les écrans romands, offre une immersion convaincante dans le Zurich du XVIe siècle, secoué par le vent des idées nouvelles.

Les premières neiges tombent sur Zurich au début de l’hiver 1518, alors que Zwingli arrive dans la froide cité sur les bords de la Limmat. Il prêchera pour la première fois au Grossmünster, où il a été nommé curé. Il est choqué de voir dans quel faste et opulence vit le clergé, alors que de nombreux pauvres errent dans les rues. En voulant instruire le peuple, traduire la Bible en allemand, ou encore supprimer le célibat des prêtres, il s’attire rapidement les foudres du chapitre des chanoines.

Blockbuster à la Suisse

Costumes d’époques réalistes, décors travaillés et acteurs de talent, le film suisse, réalisé dans le cadre des 500 ans du début de la Réforme zwinglienne à Zurich, rivalise certainement avec les grosses productions étrangères . De fait, avec ces près de six millions de francs de budget, l’œuvre de Stefan Haupt est l’une des plus chères du cinéma suisse. Pari gagné pour le réalisateur? Le film a en tout cas fait 30’000 entrées à Zurich, dès sa première semaine de sortie.

Un succès qui n’étonne pas Ueli Zahnd. «J’ai beaucoup apprécié le film, assure-t-il. «Son point fort est certainement de présenter avec cohérence et clarté, en relativement peu de temps, une histoire fournie et complexe». Le long métrage a également le mérite de présenter, selon le professeur, un Zwingli globalement conforme aux connaissances actuelles.

La Réforme des femmes

Le spécialiste de la Réforme trouve notamment intéressant que le réalisateur ait mis en avant le côté bon vivant du prêtre zurichois. Outre jouer de la musique, le film le montre s’amuser avec des enfants et savourer les plaisirs de la table. «Il est connu que Zwingli était musicien et qu’il aimait le vin, confirme Ueli Zahnd. Mais le réalisateur a sans doute mis cela en exergue pour faire un pied de nez à la réputation du réformateur. Pour les zurichois, l’adjectif ‘zwinglisch’ désigne en effet quelque chose de morne ou d’austère. Il n’était probablement pas ainsi».

Le professeur à Genève apprécie aussi que le film mette en valeur le rôle et le point de vue des femmes dans l’histoire de la Réforme zurichoise. «Sur Anna Reinhart, la femme de Zwingli, on ne sait en fait presque rien. Le film présente néanmoins de façon plausible l’influence qu’elle aurait pu avoir sur les événements. On en sait par contre beaucoup plus sur l’autre femme forte du film: Katharina von Zimmern, Mère-Abbesse du Fraumünster, le plus grand couvent de Zurich. En acceptant de céder les biens de l’abbaye à la ville de Zurich, elle a grandement encouragé la Réforme.»

Zwingli en clair-obscur

L’affaire des anabaptistes, autre sujet de controverse historique, est selon Ueli Zahnd également correctement rendue. Comme c’est souvent le cas dans les mouvements de réforme, une frange du groupe de Zwingli avait des idées encore plus radicales que le prêtre. Felix Manz et ses adeptes avaient commencé à baptiser les adultes et à refuser le baptême des enfants. Une subversion de l’ordre établi inacceptable pour les autorités politiques. Après des efforts fournis de conciliation, Zwingli ne put empêcher l’exécution par noyade de Felix Manz, en 1527. «Zwingli s’est certainement investi pour éviter la mort de Felix Manz, commente Ueli Zahnd. Mais il ne pouvait s’opposer frontalement au Conseil de la ville, car cela aurait mis gravement en péril son projet. Cela peut choquer qu’il n’ait pas plus protesté, mais il faut dire qu’à l’époque, personne n’était vraiment contre la peine de mort, c’était quelque chose de normal».

Le personnage de Zwingli, même s’il est présenté sous un jour plutôt favorable, reflète ainsi une certaine complexité. «Le film ne cache pas les zones d’ombres du personnage et démontre de façon assez subtile la façon dont il a dû faire des compromis afin de donner une chance à son projet. C’est ainsi, par exemple, qu’ayant toujours honni la guerre, il a finalement dû partir à la bataille.»

Pas «seul contre tous»

Le professeur d’histoire de la Réforme a repéré tout de même quelques «raccourcis» pris par le film de Stefan Haupt. Zwingli apparaît notamment comme un homme «seul contre tous», avec un chapitre et un évêque de Constance prêts à tout pour l’abattre. «C’est tout de même le chapitre qui a appelé Zwingli à Zurich. Ces membres savaient certainement quel genre d’homme il était. Plus probablement il existait déjà un terreau idéologique assez étendu et favorable à ses idées au sein du peuple, des autorités et du clergé zurichois. Le film élude quelque peu cela pour des raisons bien compréhensible de ‘dramatisation'».

Ueli Zahnd considère aussi que le film donne une image quelque peu caricaturale de l’Eglise de l’époque. «Il y avait sans doute moins de corruption et plus d’espace pour le dialogue que présenté».

Un message toujours actuel

Mais au-delà de ces libertés, le film permet de bien saisir le contexte et les événements de la Réforme à Zurich, estime le professeur. Un message de cinq siècles toujours actuel, alors que les tentations de réduire la religion à un ensemble de normes dépourvues de sens existent toujours. «Le Réformateur a le mérite de rappeler que l’histoire est émaillée de personnalités telles que Zwingli, certes loin d’être parfaites, mais qui se sont courageusement élevées contre l’injustice et l’hypocrisie et ont fait changer les choses», souligne Ueli Zahnd. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

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