Le climat, la marche et les mirages du libéralisme

Les marches pour le climat se multiplient à travers le monde depuis quelque temps. Que ce soit les étudiants ou leurs aînés, des centaines de milliers de personnes se mobilisent pour faire entendre leur voix.

C’est qu’il y a urgence; les appels des scientifiques se multiplient et il ne faut pas être un grand observateur pour noter le manque de neige dans les stations de moyenne altitude ou les étés suffocants dans les grandes villes.

Ces marches pour le climat sont nouvelles et prennent de l’ampleur. Elles sont positives, bien sûr: elles démontrent la prise de conscience citoyenne grandissante et le désir collectif de prendre soin de la planète. Cependant, le mouvement soulève des questions inévitables: pour quoi marche-t-on? Et surtout, quel appel est fait aux gouvernements?

Car le but de ces marches est généralement d’interpeller les gouvernements pour les forcer à agir. En France par exemple ,«l’affaire du siècle» poursuit l’État en justice pour inaction contre le réchauffement climatique. Mais n’est-ce pas un peu ironique, iPhone en main et Stan Smith aux pieds? C’est tout le paradoxe. L’épisode de Patrick Bruel chez Darius Rochebin et relayé savoureusement par 120 minutes, illustre bien ces tiraillements partagés par un grand nombre: éveiller sa conscience à l’urgence tout en survolant l’Atlantique en avion.

«Seules des mesures drastiques peuvent espérer avoir un impact sur le réchauffement»

Dans Laudato Si’, le pape François notait: «Un changement dans les styles de vie pourrait réussir à exercer une pression saine sur ceux qui détiennent le pouvoir politique, économique et social» (LS 206). Les marches pour le climat réclament autre chose: elles demandent que nous soyons «contraints».

C’est que nous avons atteint des seuils critiques et que seules des mesures drastiques peuvent espérer avoir un impact sur le réchauffement. Une société de conseil publiait en décembre une infographie s’appuyant sur le rapport du GIEC et listant les mesures à adopter au plus vite pour viser à ne gagner qu’1,5°C d’ici la fin du siècle au lieu des 3,5 prévus par les politiques en place.

Florilège:

– interdiction de vendre des véhicules neufs pour un usage particulier dès maintenant ;

– les constructions neuves sont exclusivement de l’habitat collectif avec une surface maximum de 30m2 par habitant ;

– le flux vidéo consommé doit être divisé par trois d’ici 2030 ;

– interdiction de tout vol hors Europe non justifié dès 2020 ;

– toute parcelle de jardin doit devenir productive.

Au vu de ces propositions radicales, c’est donc au final une véritable réflexion sur la liberté à laquelle appellent ces marches. Car, ne nous leurrons pas, même pour ceux qui marchent, la transition se fera(it) dans la douleur! C’est l’opportunité de faire la lumière sur nos libertés fondamentales et sur nos fausses libertés héritées d’un libéralisme d’habitude.

Déjà en 1888, Léon XIII mettait en garde dans son encyclique Libertas praestantissimum portant sur la liberté humaine. Il y critiquait notamment les ravages opérés par le libéralisme, en faisant croire à une liberté infinie: «Mais une chose demeure toujours vraie, c’est que cette liberté, accordée indifféremment à tous et pour tous, n’est pas, comme nous l’avons souvent répété, désirable par elle-même, puisqu’il répugne à la raison que le faux et le vrai aient les mêmes droits, et, en ce qui touche la tolérance, il est étrange de voir à quel point s’éloignent de l’équité et de la prudence de l’Église ceux qui professent le Libéralisme. En effet, en accordant aux citoyens sur tous les points dont nous avons parlé une liberté sans bornes, ils dépassent tout à fait la mesure et en viennent au point de ne pas paraître avoir plus d’égards pour la vertu et la vérité que pour l’erreur et le vice.»

«Il faudra assumer, d’un côté comme de l’autre, les contraintes jusqu’au bout!»

Pour Léon XIII, la liberté doit être limitée pour ceux qui ne l’utiliseraient pas en vue du bien. Sauf que justement le libéralisme porte atteinte à cette liberté puisqu’elle trouble sa fin, donne l’illusion d’user de la liberté alors qu’elle ne le fait pas en vue d’un bien – la question climatique et ses conséquences pour la planète le prouvent bien. Ainsi, écrit encore Léon XIII, «la liberté consiste en ce que, par le secours des lois civiles, nous puissions plus aisément vivre selon les prescriptions de la loi éternelle.» Et quoi de plus conforme à la loi éternelle que la préservation de la Création?

En faisant pression sur les gouvernements, et après la douce euphorie d’un consumérisme sans limite, les citoyens dépassent finalement la prévision de Léon XIII puisqu’ils ont la sagesse de reconnaître eux-mêmes l’illusion du libéralisme drapée en liberté et demandent à la fois la réduction de cette soi-disant liberté tout autant qu’ils permettent à ceux qui dirigent d’y procéder.

Reste à savoir si cette demande d’être contraints sera entendue car, François l’écrivait aussi dans Laudato Si‘: «La grandeur politique se révèle quand, dans les moments difficiles, on œuvre pour les grands principes et en pensant au bien commun à long terme. Il est très difficile pour le pouvoir politique d’assumer ce devoir dans un projet de Nation» (178).

Et puis, ensuite, il faudra assumer, d’un côté comme de l’autre, les contraintes jusqu’au bout!

Marie Larivé

25 mars 2019

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