«Sur l'homosexualité, l'Eglise est proche de la schizophrénie», affirme Michel Anquetil

Pour Michel Anquetil, théologien catholique résidant à Lille, l’Eglise doit revoir son rapport à l’homosexualité. Notamment pour combler le fossé qui sépare une pratique pastorale souvent bienveillante d’une doctrine toujours rigide, a expliqué l’auteur, lui-même homosexuel, lors d’une conférence, le 21 mars 2019, à Genève.

Les applaudissements fusent dans les locaux de l’association Dialogai lorsqu’on annonce que Michel Anquetil est en couple depuis 35 ans avec son compagnon, également prénommé Michel. Une précision importante pour le théologien dont le dernier livre est intitulé Chrétiens homosexuels en couple, un chemin légitime d’espérance (éditions Edilivre). Michel Anquetil est venu présenter les thèses de l’ouvrage devant une trentaine de personnes, dont Pascal Desthieux, vicaire épiscopal pour le canton de Genève. La soirée était organisée par C+H, un groupe de soutien aux chrétiens LGBTI (lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres, intersexes) en Suisse romande.

Vous êtes en couple depuis plus de 30 ans. Au cours de cette période, quelque chose a-t-il changé dans l’Eglise catholique en rapport à l’homosexualité?
Michel Anquetil:
Oui, en tout cas au niveau pastoral. Depuis une dizaine d’années, on constate que de plus en plus de prêtres ont le souci d’accompagner les personnes homosexuelles. Ils sont très ouverts sur la question. Parallèlement, certains restent dans une application stricte de la doctrine et ne veulent pas entendre parler d’homosexualité. Il existe donc un important clivage.

Le problème, c’est que si les choses évoluent sur le terrain, la doctrine reste la même. On en arrive donc à une forme de dissociation, proche de la schizophrénie, entre la théorie et la pratique.

Les derniers scandales sexuels ont-ils eu une influence sur les rapports entre les personnes LGBTI et l’Eglise?
Nous sommes dans une période un peu délicate, où les sensibilités sont exacerbées. On ne sait jamais, notamment lorsqu’on rencontre un prêtre, comment il se situe par rapport à cela. Est-il plutôt dans le camp du «repli identitaire» ou de «l’ouverture»? Cela complique un peu les relations des personnes homosexuelles avec l’Eglise.

«Il faudrait réécrire les textes du Catéchisme de l’Eglise catholique»

Comment combler ce fossé?
De mon côté, j’essaie d’apporter une approche théorique sur la doctrine pour surmonter ce divorce. Par une relecture des chapitres 1 et 2 de la Genèse, je tente de sortir d’une vision purement essentialiste de l’homme et de la femme. Dans la doctrine traditionnelle, Dieu a créé l’homme comme ceci, et la femme comme cela, point. De plus, ils ont été créés pour faire des enfants, point. Tout ce qui sort de ce schéma est considéré comme mauvais. Je préconise une approche beaucoup plus relationnelle de ces textes. En sachant que- les études de genre l’ont largement démontré – ce qui définit un homme ou une femme, au-delà de l’aspect biologique évident, reste relatif. Il y a, dans cette définition une infinie variété, je dirais plutôt infinie «richesse», de nuances. La réalité est toujours plus complexe que ce qu’on imagine.

Je précise que mon travail est seulement une proposition de réflexion pour l’Eglise. Mais je pense qu’il est urgent de faire bouger les lignes au niveau théorique, d’avoir une théologie plus en adéquation avec ce que les personnes vivent. Quelle éthique leur propose-t-on pour vivre leur relation au mieux?

L’Eglise condamne l’homosexualité et non pas les personnes homosexuelles…
Il y a là également un problème. La question des actes est un autre aspect important de la question doctrinale. Car en fait, toute l’anthropologie chrétienne cherche à unifier l’être humain, entre le corps, l’intelligence, l’esprit… Or, si un homosexuel suit la doctrine catholique, bien que son orientation ne soit pas condamnée, il ne peut théoriquement pas avoir une activité sexuelle. Là aussi, il y a une dissociation. Et je pense que les textes du magistère qui traitent de l’homosexualité depuis 1975 ne tiennent plus la route. Il n’est plus possible de dire à quelqu’un: «aimez-vous si vous voulez, mais abstenez-vous». Cela amène également une forme de schizophrénie entre le sentiment et le corps.

Mais même s’il faut remettre en cause tout cela, on ne peut pas pour autant faire n’importe quoi de sa vie sexuelle et tout comportement n’est pas acceptable. Il faut toujours respecter l’autre, ne pas «l’utiliser» pour son propre plaisir, mais au contraire entrer dans une logique du don. Le secret d’une sexualité réussie, c’est la découverte toujours plus grande de l’altérité du partenaire. On ne peut jamais déconnecter la sexualité de l’amour réciproque, de la tendresse échangée.

Quelles seraient selon vous les actions concrètes à entreprendre?
Dans un premier temps, il faudrait réécrire les textes du Catéchisme de l’Eglise catholique sur l’homosexualité. On continue à parler d’actes «intrinsèquement désordonnés». Les gens ne comprennent pas ce langage. Il y a un travail théologique de fond à réaliser: un texte novateur sur la question, au niveau de la Congrégation pour la doctrine de la foi (CDF), est éminemment souhaitable.

«Sur ce point, je pense que le pape François ne fait pas ce qu’il veut»

Il y a eu Amoris laetitia du pape François…
Avec ce texte, on sent une ouverture. Le chapitre 8 est tout à fait intéressant, autant pour les divorcés remariés que pour les homosexuels. Parce qu’il y a toute une méthode pastorale qui est proposée, notamment pour accompagner les personnes homosexuelles…Cela permet également de donner une légitimité aux prêtres qui le font.

Le texte montre en général qu’entre l’idéal et le réel, il y a une marge. Pour moi c’est un document extrêmement positif.

Mais il ne se substitue pas aux précédents, c’est là le problème. On traîne toujours les anciens textes, qui sont plus connus que les nouveaux. Il y a donc tout un travail d’information pour faire connaître ces derniers. Personnellement, j’anime avec mon compagnon et une petite équipe un groupe diocésain à Lille sur les questions d’homosexualité. Nous essayons chaque année de faire au moins une rencontre de réflexion avec des ateliers pour mettre les progrès dans l’Eglise en valeur. Parce qu’on ne peut pas dire qu’il ne se passe rien.

Pourtant, dans un récent document publié par le Saint-Siège, il est conseillé de dissuader les candidats à la prêtrise qui présenteraient des tendances à l’homosexualité. Un point confirmé par le pape François dans un livre entretien paru il y a quelques mois…
La question des prêtres homosexuels est compliquée. Quand Joseph Ratzinger était à la tête de la CDF, il avait été écrit que les homosexuels ne pouvaient pas entrer au séminaire. Dans la dernière Ratio fundamentalis, qui régit les séminaires, c’est un copier-coller de ces injonctions. Il y a consciemment ou inconsciemment, une confusion entre l’homosexualité et la pédophilie, alors que ça n’a rien à voir. Il y a donc de la méfiance.

Sur ce point, je pense que le pape François ne fait pas ce qu’il veut. Il doit composer avec une Curie qui ne lui est pas toujours favorable. Il ne peut pas se battre non plus sur tous les terrains à la fois, ni tout bouleverser du jour au lendemain.

«L’Eglise n’a pas encore assimilé tout le travail scientifique sur la sexualité»

Dans le livre Sodoma, qui a récemment fait grand bruit, le journaliste Frédéric Martel estime qu’une grande partie du clergé, notamment à Rome, est homosexuel. Qu’en pensez vous?
Je n’ai pas lu ce livre et je n’ai jamais fonctionné à la Curie, donc je ne saurais avoir un avis sur les thèses de Frédéric Martel. J’ai lu dans la presse son idée selon laquelle il y a un grand nombre de prélats qui sont homophobes parce que présentant une homosexualité refoulée. A mon sens, c’est possible. Mais c’est une explication presque banale. Tout le monde sait que c’est souvent le cas dans tous les milieux sociaux.

Je dois dire que ce genre de «déballage» me laisse toujours perplexe. Mais cela permet tout de même parfois de crever les abcès, de faire évoluer les choses.

L’une des thèses de Frédéric Martel est également que l’Eglise a toujours été dans une forme de «mensonge» concernant la sexualité…
Je n’utiliserais pas le mot «mensonge». Je pense plutôt qu’il s’agit d’une sorte de déni ou d’ignorance. L’Eglise n’a pas encore assimilé tout le travail scientifique réalisé sur la sexualité, et sur l’homosexualité. Je dis souvent qu’il y a une révolution à faire, comme par le passé, au niveau des sciences physiques. L’Eglise a d’abord condamné Galilée, puis a bien été obligé d’admettre que la terre tournait autour du soleil et pas l’inverse. Il va falloir faire la même chose avec la sexualité. Quand? La période actuelle, avec les scandales et les questionnements qu’elle provoque, pourrait être une opportunité. (cath.ch/rz)


Un «pas vers l’Eglise catholique»

La conférence de Michel Anquetil à Genève a notamment été marquée par la présence de Pascal Desthieux, vicaire épiscopal du canton de Genève. Davantage présent dans la sphère protestante, les invitations de C+H à l’adresse de Michel Anquetil et du prêtre genevois s’entendaient dans une démarche de «pas vers l’Eglise catholique», a souligné Jean-Paul Guisan, qui a fondé l’association en 1988. Dans la même perspective, la branche neuchâteloise de C+H a invité le 20 mars 2019 l’abbé Joël Pralong, Supérieur du séminaire de Sion, à s’exprimer. RZ

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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