Homélie du 31 mars 2019 ( Lc 15, 1-3.11-32)

Chanoine José Mittaz – Eglise Saint-Martin, Vollèges

La conversion à laquelle nous sommes appelés au temps du carême et particulièrement en ce dimanche, c’est une conversion à la joie de vivre. Réjouissons-nous ! Mais que veut dire se réjouir ? Est-il possible de se réjouir ? Quand nous voyons cet homme qui avait deux fils, pas simple de se réjouir : il n’y a jamais tous les ingrédients de la joie qui sont là. A un moment de la parabole le cadet s’en va avec la part d’héritage qui lui revient et donc, le père se retrouve avec ce soucis d’un fils qui s’en va et qui ne semble pas pouvoir intégrer en lui ce désir d’exister. Il part se perdre. Et lorsqu’il revient à lui ce fils et retourne chez son père, eh bien, c’est l’aîné qui reste à l’extérieur et refuse la joie du vivre ensemble.

Traverser les trois personnages de la parabole

La parabole qui nous est proposée pour nous inviter à la conversion, à la conversion à la joie de vivre, à la joie d’exister, elle nous tient dans le réalisme. Elle nous apprend déjà que la joie ce n’est pas l’expérience du tout va bien dans le meilleur des mondes. La joie c’est ce désir de vivre, de donner la vie, d’être porté intérieurement. Cette joie nous fait traverser probablement les trois personnages de la parabole.

Misère relationnelle

Parabole que l’on appelle assez facilement, parabole de l’enfant prodigue, peut-être parce qu’il nous est le plus facile de nous identifier à cet enfant prodigue : cet enfant qui quitte, cet enfant qui fait l’expérience, ce fils qui fait l’expérience de l’éloignement, de la dissemblance, l’expérience de se retrouver démuni. Et la misère que ce fils cadet va découvrir, ça n’est pas uniquement la misère de ne plus rien avoir en temps de famine. La misère c’est qu’il y avait là de quoi nourrir les porcs mais personne ne lui donnait même cela. La misère aujourd’hui, elle est souvent relationnelle. Personne ne m’a donné.

«Je vais retourner vers mon père et lui dire : je ne mérite plus » 

Et en même temps, c’est à ce moment que le fils cadet peut comme rentrer en lui-même et faire mémoire. Notre mémoire peut être le lieu de la joie retrouvée. N’est-ce pas à chaque eucharistie que nous faisons mémoire de la vie qui a vaincu la mort ? N’est-ce pas à chaque eucharistie que nous faisons mémoire jusqu’où nous sommes aimés ? Le fils se rappelle de la bonté de son père mais il ne s’en juge plus digne. «Je vais retourner vers mon père et lui dire « je ne mérite plus. »  Je ne mérite plus. Ce sont des mots qui résonnent parfois, pour relire nos propres histoires. Mais la parabole nous invite à ne pas nous laisser arrêter par ces mots parce que ces mots nous empêchent d’entrer dans la joie à laquelle Dieu nous appelle. Je ne mérite plus, je ne suis pas à la hauteur, je ne vaux rien et je risque de me mettre en situation de servitude plutôt que d’entrer dans la liberté de la joie retrouvée. Vous l’avez entendu, le père lorsqu’il accueille son fils, est saisi de compassion autrement dit ça lui prend au ventre. Ce n’est pas une idée. Ça lui prend aux tripes, au ventre, en ce lieu où il a porté son fils, en ce lieu où nous avons mal pour l’autre, en ce lieu où nous nous réjouissons dans nos relations humaines. Et le père ne lui laisse pas le temps de finir sa parole, ne lui laisse pas le temps de parler de son indignité. Ça aussi c’est un appel pour nous.

Chemin d’espérance

Vous savez, les paroles que l’on dit de nous-mêmes, sur nous-mêmes ou sur l’autre, mais aussi celles que l’on dit sur nous-mêmes ont une influence sur notre manière de nous situer. Si je dis trop souvent que je ne vaux rien, je vais finir par le croire. Si je dis trop souvent que je ne mérite pas, je vais finir par vivre à partir de cette parole à laquelle je vais accorder de l’autorité. L’autorité c’est le père qui nous dit « mais viens, je te revêts de dignité et nous allons festoyer ensemble. Je me réjouis que tu sois passé de la mort à la vie.» La joie c’est celle qui nous fait passer d’une situation de mort à un chemin d’espérance qui ouvre à la vie. L’énergie de la vie, elle peut être dilapidée, nous l’avons entendu avec le fils cadet.

Oser la fête, c’est oser la joie

Mais l’énergie de la vie, elle peut aussi être renfermée en soi sous des apparences honorables, c’est le fils aîné de la parabole. Il a tout bien fait. Il a tout bien fait mais quelle dureté ! « J’ai obéi à tous tes ordres. » Oui mais c’est un père ce n’est pas un tortionnaire. Comment vivre la joie relationnelle au moment où je me situe uniquement sur le registre du devoir ? Le fils aîné semble être un handicapé de la joie parce que son énergie de vie peut-être il la refoule trop en lui-même et ça en devient une violence, une colère. Il fulmine à l’intérieur de lui-même. Alors que cette énergie qui est là, elle pourrait être mise en partage. Il ne s’agit pas de bosser, bosser, bosser… Il s’agit de se livrer, d’aimer, de se donner. Le premier barrage pour le fils aîné ce n’est pas quand il apprend que son frère est de retour, c’est quand il entend la musique de la fête et là, il ne rentre pas. Il dit « qu’est-ce qui se passe ? » Ah tiens, quand il y a de la joie, quand il y a de la fête, c’est déjà suspect.  Je me sens déjà en danger parce que dans la joie, nous le savons quand nous pouvons vivre cette énergie là, eh bien, nous ne sommes plus dans le contrôle. Nous sommes appelés à conduire notre vie mais pas à tout maîtriser. Oser la fête, oser la joie, c’est quitter la maîtrise qui nous raidit pour nous ouvrir au don de la rencontre partagée où tout d’un coup l’autre va pouvoir m’ouvrir à la vie au travers de sa présence, me déplacer intérieurement, me confirmer, me libérer. Mais lorsque nous n’y parvenons pas, eh bien, nous sommes parfois comme ce fils aîné. Une bonne manière de rester à distance de la joie c’est de tendre le bras avec l’index pointé sur l’autre dans une attitude de jugement, vous avez entendu ce qu’il a dit sur son frère cadet. Il n’était pas avec lui quand il a souffert, quand il était au fond du gouffre mais il sait dire les paroles moralisatrices qui tuent.

L’attitude du père qui donne la vie

Mais Jésus en nous racontant cette parabole, ne nous invite pas à rester à l’un ou l’autre fils, il nous invite à devenir le père, c’est-à-dire à être dans l’attitude qui donne vie. Il y trois paraboles de la miséricorde : celle de la piécette retrouvée par cette femme, celle de la brebis retrouvée par le berger et celle de l’enfant prodigue. On peut s’identifier à un fils qui revient. On ne peut pas s’identifier à une piécette de monnaie et pas tellement non plus à une brebis, spontanément. Par contre, nous pouvons nous identifier à la joie du berger qui retrouve la brebis, à la joie de cette femme qui retrouve la pièce et qui organise la fête. Une fête qui lui coûtera peut-être plus que la pièce de monnaie retrouvée, y compris ici pour le père.

La joie du père c’est d’être tout le temps dans la vie qui est donnée, mais en découvrant quand même qu’il ne peut pas se mettre à la place de l’autre. La joie c’est de rester humble. Découvrir que je peux offrir une présence à l’autre mais que je ne peux pas faire le chemin à sa place. Le fils cadet va partir tout seul. Le fils aîné restera à l’extérieur du moins là où on en est de la parabole. Le père guettera le fils cadet avec ses yeux remplis d’espérance, de compassion et il ira à l’extérieur rencontrer son fils aîné. Autrement dit, il y a une dimension de solitude dans sa joie. Mais sa joie elle est réelle, elle traverse le creuset de l’épreuve parce qu’il est tout le temps dans le souci de donner la vie, la joie. C’est donner notre vie. Et c’est faire l’expérience d’être aimé et d’aimer.  Toute cette parabole peut se résumer en cette unique parole :  tu seras aimé quand tu pourras montrer ta fragilité sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. Tu seras aimé quand tu pourras montrer ta fragilité sans que l’autre s’en serve pour affirmer sa force. Et une fois que tu as fait l’expérience d’être aimé, tu pourras aimer de la même manière. C’est cela l’appel à la joie.


4e dimanche de Carême, Année B

Lectures bibliques : Josué 5, 9a.10-12; Psaume 33, 2-3, 4-5, 6-7; 2 Corinthiens 5, 17-21; Luc 15, 1-3.11-32


 

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