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APIC – Interview
La Franc-maçonnerie et l’Eglise (290695)
Dialogue ou méfiance réciproque?
Jean-Claude Noyé, pour l’Agence APIC
Paris, 29juin(APIC) Jean-Robert Ragache, ancien grand-Maître de la loge
maçonnique du Grand Orient de France et le Père Jean-François Six, pionnier
du dialogue entre chrétiens et francs-maçons, étaient récemment les hôtes
de l’Association des journalistes d’information religieuse (AJIR) à Paris.
Pour les deux intervenants, le dialogue sur la base d’une croyance commune
en l’homme est possible si la maçonnerie abandonne son anticléricalisme et
si l’Eglise catholique laisse tomber sa méfiance viscérale.
APIC: La naissance de la franc-maçonnerie est souvent mise en relation avec
le siècle des Lumières?
J.-R. Ragache: La franc-maçonnerie est issue des mutations intellectuelles,
scientifiques et philosophiques du 17e siècle. En cela, elle est mère plutôt que fille des Lumières. Née en Angleterre, elle s’est d’emblée auto-affirmée indépendante. Elle a de fait toujours été mieux acceptée dans les
pays protestants. On peut dire qu’elle a largement contribué à l’émergence
de la sociabilité démocratique et de l’affirmation de l’individu. Elle a
été condamnée dès 1738 par l’Eglise à cause du secret et pour des raisons
très certainement politiques.
Contrairement à ce qu’on a dit, elle n’a joué qu’un rôle minime dans la
Révolution française et dans la Déclaration des droits de l’homme. Par contre, elle a été le pilier de la 3e République, république maçonnique. Un
nombre important de lois sociales sont alors sorties des loges. Le déterminisme anticlérical des maçons, longtemps si virulent, date de l’époque où
l’Eglise n’avait pas admis la République. Il faut également rappeler que la
franc-maçonnerie a été condamnée par le gouvernement de Vichy. Sortie affaiblie de la seconde guerre, il lui a fallu attendre 1986 pour qu’elle retrouve ses effectifs d’avant-guerre: 30’000 membres. Aujourd’hui il y a
100’000 maçons en France et entre 6 et 7 millions dans le monde.
APIC: Quelles sont à votre avis les raisons de son succès actuel?
JJR: Ce succès est étonnant eu égard aux méthodes d’accueil des candidats.
En Europe centrale et orientale, il n’y a à ce jour que quelques centaines
de maçons, car les loges concernées veulent une progression lente. La
presse est aujourd’hui plus près de notre réalité et aide à nous faire
mieux connaître. Récemment encore nous étions classés dans la rubrique
secte. En outre la franc-maçonnerie offre une sociabilité et une fraternité
dans de petites structures de 40 à 50 maçons. Une structure de cette
dimension apporte beaucoup au niveau de l’échange intellectuel et de la
formation continue. Un troisième facteur de réussite est l’abandon de tout
ostracisme envers ceux qui ont un sentiment religieux. On accepte aussi
bien les juifs que les catholiques, les protestants ou même les musulmans,
dans la mesure où ils se présentent comme des individus tolérants.
Père Jean-François Six: Je suis frappé de voir de plus en plus de jeunes
catholiques entrer en franc-maçonnerie, où ils trouvent une nourriture pour
l’esprit et expérimentent une liberté de parole et de pensée qu’ils n’ont
pas rencontrée dans l’Eglise, il faut bien le dire. L’expérience de rites
précis répond également à des besoins légitimes, inscrits au fond de
l’homme, que l’Eglise actuelle ne satisfait sans doute plus assez.
APIC: Quels sont justement aujourd’hui les rapports de la franc-maçonnerie
avec l’Eglise?
JJR: Les francs-maçons ont été attentifs à Vatican II et sensibles à la réforme du droit canon, notamment à l’abandon de l’article qui les excommuniait. Les déclarations du cardinal Ratzinger et de l’Osservatore Romano
nous montrent cependant que cette volonté d’excommunier est vive encore. En
France, un temps fort de dialogue avec l’Eglise a été la signature en 1985
d’un appel commun à la fraternité pour contrer le Front National. Mais depuis le dialogue entre les deux structures est au point mort. Nous percevons l’Eglise, en tant que structure politique, comme en repli par rapport
à Vatican II. Il n’y a pas d’ouverture de sa part vers les loges maçonniques. Il faut en outre distinguer la franc-maçonnerie anglaise très conservatrice, voire raciste, où la croyance en Dieu est un présupposé obligatoire, de la franc-maçonnerie française, libérale. De fait la franc-maçonnerie
mondiale n’est ni unie, ni unifiée.
JFS: J’oeuvre pour ma part au sein de l’Association « Droits de l’homme et
solidarité » au dialogue entre chrétiens et francs-maçons. Je ne crois pas,
vu l’état des relations actuelles, que l’Eglise et la maçonnerie puissent
travailler ensemble avant 20 ou 30 ans. Elles devront le faire sur la base
d’une croyance commune en l’homme. La montée du Front National donne une
idée de la nécessité de ce dialogue. L’existence de groupes mixtes maçonschrétiens peut aider à développer ces relations, car je crois que nous
avons des points communs. Actuellement la prévention des catholiques contre
la franc-maçonnerie reste cependant encore grande.
APIC: Qu’en est-il des prêtres francs-maçons?
JFS: Je tiens à préciser que je ne suis pas maçon moi-même et que je m’y
suis toujours refusé pour des raisons stratégiques. Je décourage les prêtres qui me demandent conseil avant de s’engager dans la franc-maçonnerie,
car ce sont deux expériences différentes. Ils sont peu nombreux et généralement atypiques. C’est souvent parce qu’un de leur amis proches est maçon
qu’ils veulent en faire l’expérience. Ils bénéficient d’une fraternité
alors qu’ils pouvaient parfois se sentir seuls dans l’Eglise. (apic/jcn/prmp)
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