Abus sexuels: Benoît XVI apporte son diagnostic et propose ses remèdes

Dans un long texte publié le 10 avril 2019 par plusieurs médias dont Catholic News Agency (CNA), le pape émérite Benoît XVI apporte sa contribution pour combattre la crise des abus sexuels. Pour celui qui a désormais 91 ans, celle-ci a pris une telle ampleur en raison de «l’absence de Dieu» permise par une théologie catholique refusant sa capacité d’enseignement moral face à une société en pleine destruction des normes.

En introduction de son texte – l’un des plus longs depuis sa renonciation au pontificat – le pape allemand explique avoir désiré «contribuer» à un «nouveau départ» face «à l’étendue et à la gravité» des affaires d’abus sexuels. Chez de nombreux les fidèles, déplore-t-il, ces affaires remettent en question la foi même. Ce texte, écrit suite au sommet sur la protection des mineurs, a été publié après consultation du cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat, et du pape François.

La libération sexuelle en cause

Dans son document, le pape émérite s’attache tout d’abord à trouver les causes de cette crise. En premier lieu, il cite la société des années 1960 à 1980 où en seulement deux décennies «les standards normatifs précédents au sujet de la sexualité se sont entièrement effondrés». Après 1968, est ainsi apparue une «libération sexuelle tous azimuts, à laquelle on ne pouvait plus appliquer aucune norme». A l’époque, rappelle-t-il, même la pédophilie était «diagnostiquée comme permise et appropriée». Pour beaucoup dans l’Eglise et en dehors, affirme l’ancien pape, cela a été une «époque très difficile».

«Effondrement» de la théologie morale catholique

Parallèlement à ces changements sociétaux, Benoît XVI relève un «effondrement» de la théologie morale catholique qui a rendu l’Eglise «sans défense» devant ces bouleversements. Pour lui, cet effondrement est notamment issu de la volonté du concile Vatican II de définir une théologie morale «entièrement basée sur la Bible». Les références à la loi naturelle – prévalant jusqu’alors – étaient ainsi abandonnées.

Mais surtout, poursuit l’Allemand, a prévalu l’hypothèse que la «moralité était exclusivement déterminée par les buts de l’action humaine». Alors un «bien absolu» ne peut plus exister, ce qui a conduit dans les années 1980-1990 à une «crise de la justification et de la présentation de la moralité catholique». Ainsi, quand le pape Jean Paul II a énoncé que certaines actions ne pouvaient jamais être bonnes dans Veritatis splendor (1993), «il a déclenché des contrecoups véhéments de la part de théologiens moraux». Alors que le pape polonais énonçait que le «calcul moral» avait une «limite finale», certains remettaient en cause la compétence de l’Eglise dans le domaine moral.

Les prêtres pédophiles «abîment la foi»

Pour son successeur allemand, cette «dissolution» de l’enseignement moral de l’Eglise a nécessairement eu des effets au sein de l’Eglise. Il cite par exemple l’existence de «cliques homosexuelles» dans des séminaires ou la projection de films pornographiques dans d’autres. De même, la sélection des évêques a changé pour des profils plus ›conciliaires’ ce qui pour certains – dénonce Benoît XVI – signifiait rejeter la «tradition existante jusqu’alors».

Dans le cas plus précis de la pédophilie, le pape émérite remet également en question le fonctionnement de la justice canonique. Jusque dans les années 1980, explique-t-il, bien des canonistes estimaient qu’une suspension temporaire du sacerdoce était «suffisante» pour «la purification et la clarification». De même, il dénonce une justice canonique trop attachée à défendre les droits de l’accusé au détriment de la protection de la foi. «La foi n’apparaît plus comme ayant le rang de bien nécessitant protection. C’est une situation alarmante», presse-t-il. D’autant que la conduite des prêtres pédophiles «abîme la foi».

L’Eucharistie et la réalité de l’Eglise

Après ce double constat – effondrement des normes morales dans la société et dans l’Eglise – Benoît XVI présente ses pistes pour émerger de la crise. Tout d’abord, il rappelle longuement que «la contre-force au mal» est «d’entrer dans l’amour» de Dieu. «Le pouvoir du mal naît de notre refus de l’amour de Dieu». Pour le pape émérite, dans une société sans Dieu, «il n’y a plus de standards de bien et de mal». «Pourquoi la pédophilie a pris de telles proportions?», semble-t-il s’interroger avant de répondre: «in fine, la raison est l’absence de Dieu».

Ainsi, faire connaître Dieu est «la tâche première et fondamentale qui nous est confiée». Ce qui nécessite que «nous apprenions nous-mêmes à nouveau à reconnaître Dieu comme fondement de notre vie». Trop souvent, «nous courons le risque d’être des maîtres de la foi au lieu d’être renouvelés et d’être dans les mains de la foi». Pour lui, ce danger se manifeste en particulier quand l’eucharistie est réduite à une «simple gestuelle cérémonielle».

Alors que le Concile Vatican II voulait remettre le Corps du Christ au centre de la vie chrétienne, semble prédominer une façon «de Le traiter qui détruit la grandeur de ce mystère». Par exemple, le déclin de la participation à la messe dominicale «montre combien peu, nous les chrétiens d’aujourd’hui, savons apprécier la grandeur de ce don de sa Présence Réelle».

La Sainte Eglise est «indestructible»

Par ailleurs, explique le pape Benoît XVI, l’Eglise est fréquemment vue – y compris par des évêques – comme une «sorte d’appareil politique». Alors, celle-ci n’apparaît plus comme le «filet de Dieu» contenant des poissons mauvais mais également d’autres bons. Pour l’ancien pape, cela conduit à céder à l’œuvre du diable qui accuse l’Eglise comme «entièrement mauvaise» pour dissuader de la rejoindre. S’il existe «du péché et du mal» au sein de l’Eglise, «aujourd’hui encore, il y a la Sainte Eglise, qui est indestructible». C’est plus que jamais une «Eglise de martyrs» de personnes qui «humblement croient, souffrent et aiment» pour Dieu.

Comme en ouverture de son texte où il précisait que le pape François était informé de la publication de ce document, son successeur coupe court à toute tentative d’imaginer une opposition entre les deux hommes. «Je voudrais remercier le pape François pour tout ce qu’il fait pour nous montrer, encore et encore, la lumière de Dieu qui n’a pas disparu, même aujourd’hui. Merci, Saint-Père!», conclut-il. (cath.ch/imedia/xln/rz)

Raphaël Zbinden

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