La résurrection du crucifié

La Semaine sainte n’est pas «simplement» un happy end, comme si tout se terminait dans une résurrection sans retour en arrière. La Semaine sainte est un tout, une synthèse vivante, ouverte sur l’ensemble de l’année et sur le totalité de la vie.

Au cœur de cette dynamique se tient la résurrection du crucifié. Dans les années 60, le théologien réformé Jürgen Moltmann, de Tübingen, avait fait suivre sa Théologie de l’espérance d’un ouvrage intitulé Le Dieu crucifié. Car les deux termes de l’équation divine sont inséparables. Il en allait déjà de même dans la pensée dialectique de l’apôtre Paul. La résurrection (1 Co 15) est étroitement liée à la «parole de la croix» (1 Co 1-2).

Dans les tourments spirituels de notre époque, on tend apparemment à dissocier ces deux composantes centrales de la foi chrétienne. C’est comme si coexistaient deux religions irréconciliables, le sentiment tragique de la vie, concentré sur la mort, et l’exaltation mystique, exclusivement dédiée à la vie triomphante. Nous aurions ainsi à choisir entre deux extrêmes: la célébration morbide du négatif et la contemplation candide du positif. Or tout, dans notre expérience humaine déjà, indique que rien n’est aussi simple, ni c’un côté, ni de l’autre. Se complaire dans la négativité peut sembler satisfaire notre pulsion de mort, mais nous voyons bien que la vie est plus riche, plus dynamique que ça. A l’inverse, fuir en avant dans l’illusion béate du bonheur ininterrompu se heurte sans cesse à l’épreuve de son contraire: nous sommes jour après jour atteints par les piques du mal et de la détresse, provoqués par le surgissement du malheur et de la mort.

«La Semaine sainte concentre en elle-même la structure de toute la vie»

Nous devons donc accepter, pour ainsi dire, de vivre à jamais dans un entre-deux, dans une tension constitutive, dans un écartèlement inéluctable. Malgré nos tendances contradictoires au pessimisme et à l’optimisme, nous devons survivre dans un mélange des deux, comme si nous étions des pessimistes heureux ou des optimistes inquiets.

La foi chrétienne, bien comprise, est une interprétation critique et prospective de cette structure d’ambivalence. Elle fonde, encourage et dynamite notre situation anthropologique de départ en faisant de nous des témoins d’espérance au cœur du désespoir. La Semaine sainte concentre en elle-même la structure de toute la vie, de toute l’année et du monde entier lui-même. Elle formule, dans la foi, que la vie est plus forte que la mort, non pas en ce sens que la mort serait dépassée pour nous, mais en ce sens que la mort est assumée dans la vie, que la croix fait partie intégrante de la puissance de résurrection par laquelle nous pouvons survivre et espérer. Le Christ, crucifié et ressuscité, forme une totalité de sens, susceptible de conférer de la valeur à notre vie elle-même, ce mixte de mort et de foi. Et c’est ainsi que le mystère de Dieu, cet infini de beauté et de bonté, se profile au cœur des choses et au cœur de nous, cœur de notre cœur, sens de notre vie. Un horizon de spiritualité se dessine alors, à chaque matin de notre vie, non pas d’une spiritualité pieusarde, pense-petite, mais d’une spiritualité robuste, créatrice, provocatrice.

Denis Müller

15 avril 2019

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