La Via Dolorosa: une passion catholique

Le chemin de Croix, un des temps forts du temps pascal, trouve son origine à Jérusalem, au IVe siècle. Des pèlerins ont souhaité commémorer la Passion du Christ, en parcourant la Via Dolorosa qui l’a mené au Golgotha. Le chemin de croix a essaimé en Europe au fil des siècles. Petite histoire, non exhaustive, d’un chemin qui a voyagé.

«On va vers la ville à pied en chantant des hymnes», relate en 380, Egérie, une femme venue de Galice, en Espagne, faire le pèlerinage à Jérusalem. Elle fait partie des nombreux pèlerins, «grands et petits, riches et pauvres», qui font le voyage d’Occident pour prier et lire les Evangiles sur les lieux de la Passion du Christ, durant le temps pascal. Nombre de chrétiens veulent se trouver à Jérusalem pour revivre l’événement et s’identifier à Jésus.

La Via Dolorosa

Le témoignage d’Egérie (ou Ethérie), le plus ancien à ce jour, rapporte le déroulement d’une procession qui se déplace d’une église à l’autre, du Jardin des oliviers jusqu’au Saint Sépulcre. Le trajet est plus ou moins long et les étapes varient selon que les pèlerins mettent l’accent sur tel ou tel épisode des évangiles. Selon le récit de la pèlerine espagnole, le Jeudi Saint de l’an 380, des chrétiens rassemblés autour de l’évêque de Gethsémani prient toute la nuit, pour traverser, au petit matin, «toute la ville jusqu’à la croix».

Nous sommes au IVe siècle, donc bien avant les croisades. Depuis la paix de Constantin en 313, les pèlerins affluent à Jérusalem chaque année à Pâques pour parcourir la Via Dolorosa.

Plusieurs itinéraires

La «Voie douloureuse», littéralement, est le chemin qu’aurait parcouru le Christ portant sa croix jusqu’au lieu de sa crucifixion, sur le Golgotha. A l’époque byzantine, le parcours est proche de l’actuel mais comporte moins de stations. Les témoignages rapportent même l’existence de plusieurs chemins de croix concurrents. Les différentes confessions chrétiennes habitant la Ville Sainte veulent chacune une station dans leur sanctuaire, source de dons et d’une plus grande affluence de pèlerins.

La Via connaît ainsi, durant les siècles qui suivent, plusieurs itinéraires. Le nombre de stations varie de 7 à 18, avec des points de départ et d’arrivée non déterminés. Certains parcours s’effectuent même à rebours du récit des Evangiles.

Sous la conduite des franciscains

L’année 1342 marque une étape décisive dans l’histoire du chemin de croix. Le pape Clément VI confie en effet la garde des Lieux Saints aux franciscains. Les religieux mettent progressivement en place, dans les grandes lignes, la base du chemin de croix actuel, qui compte alors huit stations. Les pèlerins participent à des exercices spirituels en processionnant désormais sous la conduite des franciscains.

Ces derniers concentrent les étapes entre le prétoire de Pilate et l’église du Saint-Sépulcre. Ils aménagent en plein air ou dans les églises, des séries d’évocations (tableaux, statues, croix), reproduisant des scènes marquantes de l’itinéraire de souffrance du Christ.

Dévotion «au chemin de la croix»

Les franciscains sont aussi à l’origine de la propagation de la dévotion au «chemin de la croix» en Europe. Cette «publicité» se fait avec la complicité naturelle des pèlerins. Rentrant de Jérusalem enthousiasmés par ce qu’ils ont vécu, ils souhaitent revivre chez eux cette procession. Les fidèles qui ne peuvent pas effectuer le pèlerinage en Terre Sainte ont ainsi la possibilité vivre cet itinéraire dans leur environnement, à l’église ou en plein air.

Jérusalem, quant à elle, évolue au gré des dominations successives chrétiennes et musulmanes. La sauvegarde de la Via Dolorosa et du tombeau du Christ sont une des raisons des croisades. Les pèlerins sillonnent alors la Vieille Ville, parfois au risque de leur vie et au pas de course. Le chemin de croix, interdit à certaines périodes, toléré à d’autres, s’exporte. La piété s’oriente vers l’humanité du Christ et se concentre sur les derniers instants de sa vie.

Cette tendance est observée effectivement dès le XIe siècle. En effet, sous l’influence de saint Bernard, puis de saint François et des mystiques, des livrets de dévotion subdivisent le récit de la passion en scènes distinctes. Ces «Passions» sont proposées à la méditation au fil des heures liturgiques. Ils préconisent une intériorisation de la démarche du pèlerinage en se recueillant devant des images retraçant la Passion de Jésus.

Pour le bienheureux Henri Suso (1295-1366), dominicain allemand et grande figure de la spiritualité à la fin du Moyen Age, il s’agit d’accomplir chez soi un «chemin de croix spirituel». Cette orientation favorise, au XVe siècle, la représentation de ces scènes de la Passion par de nombreux artistes: sculpteurs, enlumineurs de manuscrits, maîtres verriers et peintres. Diverses pratiques se développent, les dévotions: aux plaies du Christ, aux chutes de la Passion, notamment en Allemagne et aux Pays Bas, et aux instruments de la Passion.

Saint Léonard de Port-Maurice (1676-1751), un missionnaire franciscain italien, a été une des figures marquantes dans l’histoire du calvaire du Christ. L’histoire le crédite de plus de 572 bénédictions de chemins de croix, notamment en Italie et en Corse.

14 stations

Entre temps, le pape Clément XII publie en 1731 des Avertissements, une série de prescriptions strictes sur l’érection de chemins de croix, leur forme et la pratique de l’exercice. Le nombre de stations est définitivement fixé à 14. Son successeur Benoît XIV poursuit la codification de ce qui devient une tradition liturgique, mais limite le nombre de chemin de croix à un par paroisse.

La législation canonique s’enrichit d’une série de documents qui encadrent davantage la pratique de la Via crucis. Entre autres: sous peine d’invalidité, une distance minimum est requise entre chaque station (1752). Les images ne sont pas requises pour l’érection d’un chemin de croix (1837). La croix, obligatoirement en bois, accompagnant une image doit apparaître, bien visible (1878). Chaque croix doit être fixée au-dessus de chaque représentation d’une station (1901). Elle est fixée au mur ou sur un meuble stable (1904). Le pape Clément XIV les adoucira et fera abroger certains de ces Avertissements.

Seuls les cardinaux, les évêques résidentiels ou titulaires ainsi que les ordinaires en pays de mission ont le pouvoir d’ériger un chemin de croix. Ce privilège est accordé aux supérieurs franciscains. Par le motu proprio Pastorale munus, Paul VI a accordé aux évêques la faculté d’autoriser les prêtres à le faire, excepté dans les paroisses sur le territoire desquelles se trouve un couvent franciscain.

Jérusalem adopte le chemin de croix européen

Le chemin de croix à 14 stations est officialisé dans le monde chrétien, sauf… à Jérusalem. La Via Dolorosa y est plus longue mais garde ses spécificités. Sous la pression des pèlerins européens qui veulent retrouver «leur» chemin de croix, les franciscains se conforment finalement au chemin de croix européen. Ils adaptent le parcours en 14 stations au XIXe siècle. Les processions se déroulaient à l’origine les Jeudi et Vendredi Saint, le chemin de croix a été rattaché au Vendredi Saint.

En 1879, le pacha d’Istamboul autorise la procession du chemin de croix. Selon la coutume orientale, qui veut que «l’usage établit le droit». Les pèlerins peuvent à nouveau célébrer librement la Passion du Christ. (cath.ch/bh)


Entre Evangiles et piété populaire
L’Eglise n’entend pas garantir l’exactitude de tous les traits des tableaux historiés. Elle n’affirme que ce qu’il y a dans les Evangiles. Les scènes des stations ont été choisies principalement en raison de leur valeur symbolique et en fonction des leçons d’édification qui s’en dégagent.
On sait néanmoins que certaines stations (on doit le nom de «station» au pèlerin anglais du XVe siècle, William Wey) n’ont aucun ancrage dans les Evangiles. C’est le cas des stations 3, 4, 6, 7 et 9. Par contre, les stations 8 et 10 à 14 sont des scènes citées dans la Bible. 

  1. Jésus est condamné à la crucifixion ;
  2. Jésus est chargé de sa croix ;
  3. Jésus tombe pour la première fois, sous le poids de la croix ;
  4. Jésus rencontre sa mère ;
  5. Simon de Cyrène aide Jésus à porter sa croix ;
  6. Sainte Véronique essuie le visage de Jésus ;
  7. Jésus tombe pour la deuxième fois ;
  8. Jésus rencontre les femmes de Jérusalem qui pleurent ;
  9. Jésus tombe pour la troisième fois ;
  10. Jésus est dépouillé de ses vêtements et abreuvé de fiel ;
  11. Jésus est cloué sur la croix ;
  12. Jésus meurt sur la croix ;
  13. Jésus est détaché de la croix et son corps est remis à sa mère ;
  14. Le corps de Jésus est mis au tombeau.

Bernard Hallet

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