Aide au suicide: quel accompagnement pastoral?

La maladie et la mort convoquent depuis toujours un questionnement existentiel que l’Église accompagne par l’écoute, le témoignage, une présence, des sacrements et des célébrations. Mais qu’en est-il de l’accompagnement pastoral quand une décision de fin de vie est prise?

Comment comprendre la demande d’accompagnement d’une personne croyante et néanmoins résolue à interrompre une grossesse ou qui a fait appel à une association d’aide au suicide? La position de l’Eglise, contraire à l’avortement et au suicide, impose-t-elle des limites à l’accompagnement des aumôniers? Il n’existe pas de schéma préétabli qui puisse fournir toutes les réponses.

Pour le frère Michel Fontaine, cependant, il n’est pas question de démissionner face à ces réalités complexes. Il faut au contraire accepter de s’aventurer dans les «zones grises» qu’elles imposent pour accompagner la personne aussi loin que possible. Il est aussi important de respecter ses propres limites et se faire soi-même accompagner, a-t-il fait valoir à l’adresse des participants lors de l’après-midi de formation sur le thème «Accompagner des situations ›limites’»?, qui s’est déroulé à Genève le 14 mars 2019.

L’enjeu fondamental: ne pas abandonner les personnes

L’enjeu fondamental est de ne pas abandonner les personnes, même dans des choix contraires à nos convictions et à l’enseignement de l’Eglise. Pour le chrétien tout être humain est une histoire sacrée, aimée par Dieu, a insisté le frère dominicain, membre de la commission de bioéthique de la Conférence des évêques de Suisse.

Eviter les réponses binaires

Les situations dites ›limites’ mettent «en tension, voire en conflit, des valeurs, des convictions philosophiques, religieuses, spirituelles», a détaillé l’intervenant devant une cinquantaine d’aumôniers et bénévoles engagés dans les milieux de la santé. Les demandes d’assistance au suicide sont une réalité bien présente en Suisse par le biais d’associations comme Exit ou Dignitas et l’accompagnement pastoral d’une personne qui a demandé l’aide au suicide est sans doute parmi les situations limites les plus emblématiques et difficiles.

Aujourd’hui, l’Eglise catholique ne refuse plus de célébrer les obsèques de ceux qui se sont ôté la vie. Elle ne s’oppose pas non plus à l’accompagnement des personnes qui ont recours à l’aide au suicide, sans pour autant cautionner ni la démarche, ni le geste fatal.

«Accompagner une situation limite comporte des grosses vagues», a avoué Michel Fontaine. «Il faut faire tenir ensemble le fait qu’en aucun cas on justifie par notre présence, notre écoute, notre non jugement, notre respect de la décision de cette personne, l’acte de se donner la mort et le fait de pouvoir poser des actes, des signes, des paroles qui aident à grandir, à espérer et laisser entendre que la mort est un mystère qui ne nous appartient pas». L’accompagnement pastoral de situations limites est donc une démarche à tâtons qui demande beaucoup d’humilité. Il faut quitter les réponses binaires, investir la complexité comme lieu d’expérience de la foi en faisant alliance avec la loi de la gradualité et l’importance de la temporalité, a résumé Michel Fontaine.

Tenir l’inconciliable

La complexité, concept apporté par les sciences humaines – notamment grâce à Edgar Morin –, est une notion structurante qui permet de relier des réalités apparemment inconciliables mais qui appartiennent à un même univers. «Dans l’exhortation apostolique Amoris Laetitia, le pape François intègre la notion de complexité pour tenir ensemble les positions de principe et la réalité humaine.

La notion de complexité est indispensable pour comprendre que nous sommes de moins en moins dans des réponses binaires, oui – non, vrai – faux. Admettre la complexité nous aide à accueillir l’altérité de l’autre sans pour autant renoncer à l’espérance d’une conversion si cela se présente. Cela nous aide pour tenir ensemble des approches apparemment inconciliables comme celle d’affirmer que la vie peut être accompagnée jusqu’à la mort naturelle car elle ne nous appartient pas, tout en assurant une présence, au nom d’une humanité commune, auprès d’une personne qui s’engage sur un autre chemin» a développé le frère Michel Fontaine.

Pour le frère dominicain, il est intéressant de voir la complexité comme «un lieu d’expérience de la foi», avec l’éclairage de l’anthropologie chrétienne. Avant de savoir que répondre à celle ou celui qui s’apprête à se donner la mort par suicide assisté et qui demande à recevoir les sacrements, la prise en compte de la complexité de la situation nous met dans une démarche de progressivité où le temps est un facteur important. Cette démarche doit s’inscrire dans la singularité de la situation et de la personne.

Le temps, indispensable

Mais la complexité a besoin de temps pour être appréhendée et, quand cela est possible, l’accompagnement doit s’inscrire dans la durée. Michel Fontaine invite ainsi à faire confiance à la temporalité: avec la loi de la gradualité, la temporalité est une ouverture. Elle devient «un lieu théologique» qui permet d’entrer en matière, d’écouter le choix de l’autre et de poser des actes, des paroles qui tissent une relation au travers de laquelle s’exprime.

La grâce agit dans le temps et toute fragilité peut être féconde et porter des fruits, même celle d’une personne confrontée à sa propre fin, effrayée par la mort, la solitude ou la souffrance. «Notre écoute et notre présence peuvent être l’ouverture à une décision différente», a témoigné Michel Fontaine.

Les sacrements s’inscrivent dans ce contexte. Les sacrements sont des lieux de la grâce où la personne peut se sentir entendue et reconnue par Dieu. Pour l’intervenant il n’y a donc pas de raison de les refuser (onction des malades, réconciliation, eucharistie). Par contre «donner l’eucharistie comme le viatique, donc peu de temps avant le passage à l’acte, me paraît ‘incohérent’, c’est une ligne rouge, car il y a une contradiction trop forte». Concernant la présence au moment de la prise de la potion létale, l’accompagnement, reste toujours ouvert, si la demande persiste. L’enjeu est cependant fondamental car il ne faut en aucune façon cautionner l’acte du suicide, sachant que nous sommes tous «envoyés» au nom d’une mission qui nous dépasse. La décision est alors individuelle prise en conscience dans le respect d’une situation singulière que seul l’accompagnant connaît.

Un mal-être profond

Pour Michel Fontaine, les enjeux posés par l’assistance au suicide dépassent ceux des tensions de l’accompagnement pastoral. De facto légalisée par une lecture souple de l’article 115 du code pénal, écrit dans un contexte de crise en 1937, l’aide au suicide est en expansion en Suisse. Ce phénomène met en lumière un mal-être profond qui se développe dans une société qui cautionne le choix de ceux qui par crainte de la souffrance, de la solitude ou le sentiment de n’être plus qu’un poids, décident de mourir. Pourtant l’impact est énorme. Le suicide d’une personne affecte la famille, les proches, le personnel soignant, la société .

L’assistance médicale au suicide est «une très mauvaise réponse à une vraie question: ›Comment aujourd’hui notre société prend-elle soin de celle et de celui qui arrivent au terme de sa vie?› Les soins palliatifs m’apparaissent, à l’hôpital ou à domicile, l’expression du prendre soin de l’autre et de son environnement, la mieux ajustée pour notre société.» (cath.ch/ecr-ge/sba/pp)


Le cadre légal de l’aide au suicide

En Suisse l’assistance au suicide pour un motif non égoïste est non punissable. L’article 115 du Code pénal établit comme punissable la participation d’un tiers au suicide pour mobile égoïste et il laisse par conséquent toute participation au suicide non punissable, dès lors qu’elle ne poursuit aucun mobile égoïste. Cette norme pénale fixe à l’heure actuelle pour les organisations d’assistance au suicide comme Exit ou Dignitas la ligne démarquant l’aide au suicide légale de l’aide au suicide punissable.


ART. 115.1. du code pénal suisse

Homicide / Incitation et assistance au suicide

Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.


Michel Fontaine

Michel Fontaine a travaillé longtemps dans les milieux de la santé comme soignant, chercheur, sociologue puis théologien. Il est entré chez les Dominicains à 49 ans et, depuis la fin de sa formation en théologie à Fribourg et Strasbourg, il s’est notamment spécialisé dans les questions de bioéthique. Actuellement, il est professeur honoraire HES-SO (Santé), membre de la commission de bioéthique de la Conférence des évêques de Suisse. Il est aussi théologien du Bureau Santé, aumônier d’EMS et curé modérateur à Genève.


Accompagner les situations ›limites’?

La session «Accompagner les situations ›limites’?» a été organisée par le Bureau-Santé de l’Eglise catholique romaine à Genève et le Pôle santé de l’Eglise protestante de Genève dans le cadre des activités de formation des aumôniers et des bénévoles du secteur de la santé. Dans le contexte des activités d’accompagnement pastoral, ils sont souvent confrontés à des situations qualifiées de «limites» parce qu’elles entraînent sur des terrains où les repères habituels apparaissent mal ajustés (interruption de grossesse, retrait thérapeutique, assistance au suicide …). A partir d’exemples concrets, la session avait l’objectif d’identifier quelques questions d’ordre pastoral posées par ces situations.

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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