Les droits de l'enfant: la question de la religion au-devant de la scène

Comment aborder l’autonomie religieuse de l’enfant dans un Etat laïc? Une question, parmi d’autres, abordée dans un colloque international, tenu les 2 et 3 mai 2019 à Genève, sur la complexité des «droits de l’enfant et croyances religieuses», à l’occasion des 30 ans de la Convention des droits de l’enfant (CDE).

Adoptée par l’ONU en 1989, la Convention des droits de l’enfant (CDE) a fixé «le droit de l’enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion». Un énoncé en tension avec la même CDE, qui confie la responsabilité aux parents d’assurer l’éducation religieuse de leurs enfants et la liberté de les éduquer selon leurs propres convictions – jusqu’à l’âge de 16 ans pour la Suisse.

«Ce colloque n’a pas la prétention de régler cette tension, clarifie Philip Jaffé, coorganisateur de la manifestation et directeur du CIDE (Centre interfacultaire des droits de l’enfant). Il permet avant tout aux experts des droits de l’enfant de remettre la question de la religion au devant de la scène».

Car tous les protagonistes de ce colloque sont du même avis: comparée aux différents droits de l’enfant, la question de la religion reste encore en retrait, voire, dans certaines situations, relayée au plan privé. Mais des projets concrets d’ONG, comme Arigatou International, sont présentés. Et ces deux journées se sont déroulées de manière interactive, de sorte que chaque intervenant pouvait être interpelé par son auditoire à la fin de courts exposés.

Quid de la laïcité dans la tête d’un jeune?

«Si le discours sur la diversité, l’accueil et l’intégration de l’autre est clair pour un enfant, il n’est va pas de même pour la notion de laïcité ou de pluralité religieuse», illustre Céline Maye, cheffe du service de la cohésion multiculturelle du canton de Neuchâtel.

Comment les enfants se situe vis-à-vis d’un Etat comme Neuchâtel, qui se définit comme laïc, mais qui, pour des raisons historiques, reconnaît trois Eglises (évangélique réformée, catholique chrétienne et catholique romaine) comme d’intérêt public? Plusieurs rencontres de jeunes ont été proposées dans le canton, et beaucoup de participants sont avérés issus de l’immigration.

«Il en est ressorti un besoin général pour tous les jeunes de parler de religion», conclut-elle. De quoi corroborer l’intervention de l’ancien magistrat français et expert UNICEF, Jean-Pierre Rosenczveig. «Une laïcité qui éduque les enfants à ne pas croire met l’Etat en danger. Et c’est la parole d’un non-croyant.» précise-t-il.

Des enfants religieusement «plus ouvert» que leurs parents

Indépendamment de leur origine, ces jeunes établis à Neuchâtel s’accordent tous sur le fait que personne ne devrait être discriminé en raison de sa religion. Même si les jeunes n’ont pas les clés pour comprendre toutes les notions religieuses, ils ont néanmoins une ouverture assez spontanée face à l’environnement multiculturel, pluri-religieux, dans lequel ils baignent naturellement. Une crispation plus nette se remarque chez les parents, qui souhaitent rapidement corriger les énoncés, clarifier les valeurs, «faire la vérité», etc.

Constat similaire pour Pierre-Yves Brandt, qui présente une autre étude, réalisée depuis 2003 sur la «représentation de Dieu» pour des enfants de différents pays [Brésil, Japon, Russie, Etats-Unis, Iran, Népal, Pays-Bas, Roumanie et Suisse]. «Dessine-moi ‘Dieu’ ou ce qu’il représente pour toi», leur a-t-on demandé, sans trop de détails.

Les enfants, même lorsqu’ils s’identifient à un courant religieux, ne se sentent pas obligés de représenter ‘leur’ dieu. Et cela y compris dans des pays où l’appartenance religieuse est instrumentalisée comme marqueur national. Dans certains cas, ils vont même dessiner le ‘dieu’ d’un autre courant religieux.

Qui représente ces ‘distancés de la religion’?

L’évolution en Suisse est significative pour Pierre-Yves Brandt. Les religions instituées ne sont plus le principal vecteur. Ce temps où leur rôle des était marqué – comme dans les années 1960, où elles représentaient la majorité de la population – est révolu. «Aujourd’hui, la majorité de la population suisse est constituée de ‘distancés’ de la religion. Qui va dès lors parler en leur nom?, s’interroge le directeur de l’Institut de sciences sociales des religions de Université de Lausanne. Et par quel moyen l’Etat peut repenser la formation religieuse et spirituelle de cette majorité?»

Car pour s’autodéterminer, il faut pouvoir choisir. Mais pour choisir, il faut avoir reçu des clés et des repères culturels. Il insiste donc sur la responsabilité du domaine éducatif. «L’accès à la spiritualité est aussi droit de l’enfant. Si nous pouvons parler d’éducation sexuelle à l’école, pourquoi ne pas pouvoir parler de religion?»

Du côté de l’enseignement, la gestion du fait religieux évolue aussi. De nouvelles demandes des parents émergent. Christine Fawer Caputo, professeure à la Haute École pédagogique de Vaud, est revenue sur trois exemples vécus dans les écoles suisses ces dernières années. La dispense au cours de natation, qui était habituellement acceptée, est refusée depuis 2008 par le Tribunal fédéral. L’argument évoqué: ne pas savoir nager peut mettre l’enfant en danger.

Les cas concrets

Puis l’interdiction du port du voile. Depuis 2015, une fillette voilée du canton de Berne peut continuer l’enseignement public, tant que le Tribunal fédéral n’aura pas rendu un jugement. Enfin, le refus de deux élèves de donner la main à une enseignante, en 2017, dans le canton de Bâle-Campagne. L’affaire est remontée jusqu’à la CEDH, qui a donné raison au corps enseignant. Serrer la main est une norme sociale, et dans ce cas précis, elle garantit l’égalité entre hommes et femmes.

En pratique, Christine Fawer Caputo conseille aux enseignants de toujours prendre le temps d’écouter les demandes des parents, d’essayer de comprendre leurs motivations profondes, mais d’être aussi capable de réfuter la demande, si elle ‘péjore’ l’apprentissage, l’intégration ou la sécurité de l’élève ou si elle perturbe l’ensemble du reste de la classe.

La religion inscrite dans une approche systémique

«Cette dimension de la religion, chez l’enfant, ne doit surtout pas être traitée indépendamment des autres paramètres [sociaux, culturels, ethniques, éducatifs, etc. ndlr]», prévient Michel Grandjean, a qui il revient le prononcer le mot de la fin des deux journées de colloques.

Pour l’historien des religions de la Faculté de théologie de l’Université de Genève, devant la complexité du sujet, «il convient d’aborder la question par une approche systémique. De la même manière, il faudra à l’avenir régler la question complexe de l’écologie afin de préserver la planète.» (cath.ch/gr)

Grégory Roth

Portail catholique suisse

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