Fiscalité des entreprises: la Suisse au pied du mur

Le Parlement et le Conseil fédéral soumettent au peuple une nouvelle réforme fiscale. Voici quelques éléments de réflexion pour éclairer ce vote.

En premier lieu, cette loi n’est pas le fruit d’un choix de la Confédération. Elle résulte de la nouvelle concurrence fiscale instaurée entre les Etats par les grandes firmes multinationales depuis les années 2000. En Suisse, 24’000 firmes de ce type exercent leurs activités et les pouvoirs publics ne peuvent prendre le risque d’une délocalisation compte tenu de leur impact sur les recettes fiscales et l’emploi. Or ce risque existe bel et bien compte tenu de l’injonction faite par l’Union européenne (UE) de supprimer leur statut fiscal spécial. Etant dorénavant soumises à la règle générale, les multinationales ont obtenu un régime équivalent à celui qui prévaut chez nos voisins de taille comparable. Pour s’en convaincre, il suffit de comparer les taux décidés par les cantons romands (un peu moins de 14%) aux taux effectifs d’imposition des bénéfices des sociétés dans l’UE: 13% en Autriche, 14% en Belgique ou 11% en Hollande par exemple. Les grandes entreprises ont également obtenu des modalités de dégrèvement équivalentes en particulier pour leurs dépenses de recherche et développement. Nous avons ici encore un exemple de la nouvelle tyrannie de la moyenne imposée par l’ouverture des marchés dans les années 1990-2000. Il s’agit de ne pas faire pire que ses voisins.

«Pour les communes qui hébergent beaucoup d’entreprises, la situation est délicate»

On assiste en Europe à une baisse généralisée quant à l’imposition du bénéfice des sociétés depuis une vingtaine d’années. Celle-ci rend impossible une baisse de l’impôt sur les revenus des personnes physiques malgré la bonne conjoncture économique. En Suisse, la Confédération, les cantons et les communes vont devoir supporter une baisse des recettes d’environ 2 milliards; elles doivent, pour faire accepter le projet, proposer des compensations sociales. En Suisse, ce transfert va prendre la forme d’un versement de 2 milliards à l’AVS: 800 millions à la charge de la Confédération, 1,2 milliard à la charge des ménages et des entreprises sous la forme d’un supplément de cotisations sociales.

Cette perte de recettes est-elle supportable? Elle l’est pour les cantons, compte tenu de leur bonne situation financière et de l’aide de la Confédération qui leur attribuera 21,2% de l’impôt fédéral direct au lieu de 17%. Elle l’est aussi en raison d’une augmentation du taux d’imposition des dividendes. Pour les communes qui hébergent beaucoup d’entreprises, la situation est délicate. Elles devront sûrement augmenter leur taux d’impôt malgré l’aide exceptionnelle des cantons. Pour les autres la situation est inchangée, à l’exception de l’évolution inévitable des modes de péréquation cantonale.

«On n’évitera pas une hausse généralisée de l’âge de la retraite»

Au total, la présentation de la loi faite par certains sous forme d’un donnant-donnant entre les entreprises et les ménages est trompeuse. Certes l’AVS est provisoirement renflouée mais les 2 milliards ne suffiront pas à terme pour la remettre à flot. On n’évitera pas une hausse généralisée de l’âge de la retraite à 65 ans et du taux de TVA. Du côté de la fiscalité, il s’agit clairement d’un transfert de charges des entreprises vers les ménages. La Confédération pouvait-elle faire autrement? La réponse est négative. La pression de l’UE est trop forte et le risque de voir s’envoler des emplois et des recettes fiscales trop important. Le projet de loi proposé est en quelque sorte un moindre mal.

Il faut simplement comprendre que la solution mise au vote est un fusil à un coup. Il ne sera pas possible de continuer la baisse des charges fiscales sur les entreprises enregistrée depuis les années 2000 en Europe au détriment des ménages. La montée du «populisme» dans les pays voisins le montre. Les entreprises multinationales devront dans l’avenir payer leur juste contribution aux politiques publiques à commencer par les grandes firmes du secteur numérique telles que Google ou Microsoft. L’accroissement de leur imposition est à l’ordre du jour en Europe et va commencer en France. De même, la hausse de la charge des ménages trouve sa limite. Les Etats devront donc rivaliser d’ingéniosité pour financer la transition écologique qui est urgente. Mais cela sera la tâche du prochain Parlement.

Jean-Jacques Friboulet

8 mai 2019

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