Le cardinal Duval, un phare dans la tourmente algérienne

«Porter atteinte aux droits humains, c’est profaner l’honneur de Dieu», lançait courageusement, en pleine guerre d’Algérie, Mgr Léon-Etienne Duval, en dénonçant la torture et les exécutions sommaires commises à l’époque par les forces françaises.

Un colloque organisé les 9 et 10 mai 2019 par la chaire d’histoire de l’Eglise de l’Université de Fribourg a montré comment le prélat originaire de Haute-Savoie, qui fut archevêque d’Alger de 1954 à 1988, a été un acteur majeur de l’histoire contemporaine de l’Algérie. Le cardinal Duval a en effet beaucoup fait pour la transformation d’une Eglise coloniale au sein de l’Algérie française en une Eglise en terre d’islam, désormais très minoritaire, discrète et humble, mais au service d’une population qui apprécie son engagement.

Si elle ne compte plus que quelques milliers de fidèles dans l’Algérie indépendante, l’Eglise catholique bénéficie aujourd’hui encore de l’aura de Mgr Duval (1903-1996). Celui que les partisans d’alors de l’Algérie française dénigraient en l’affublant du surnom de «Mohamed Ben Duval» pour son soutien aux populations musulmanes qui aspiraient alors – dans le sang et les larmes – à leur émancipation et à leur pleine liberté.

Le peuple algérien se souvient avec gratitude

«Aujourd’hui encore, a lancé en ouverture des Journées d’étude sur «Mgr Léon-Etienne Duval face aux conflits» l’ambassadeur d’Algérie en Suisse Moulay Mohammed Guendil, le peuple algérien se souvient de l’archevêque qui a pris position en faveur de la lutte d’indépendance nationale des Algériens. Il se rappelle son combat acharné pour la promotion de la justice sociale et du respect des droits de l’homme. Mgr Duval demeurera à jamais immortel dans la mémoire collective du peuple algérien!»

Ce fils de paysan savoyard, ordonné prêtre pour le diocèse d’Annecy en 1926, avait compris, dès son arrivé en Algérie en 1947 en tant qu’évêque de Constantine et d’Hippone (la Bône coloniale, aujourd’hui Annaba), que «le temps des empires coloniaux était révolu et que tout racisme était porteur de violence et de mort».

 

«Le temps des empires coloniaux était révolu»

«Il y aura toujours des Algériens pour entendre sa voix murmurer que la grande loi entre les hommes est la fraternité universelle, ou que la réalisation du bien commun est la meilleure manière de sauvegarder tous les biens particuliers», a-t-il poursuivi. Et de saluer celui qui s’est inscrit dans la ligne «du grand philosophe et théologien algérien saint Augustin ou Augustin d’Hippone, cette autre figure marquante de l’histoire de l’Algérie qui a tant apporté au christianisme et à la civilisation humaine».

L’ambassadeur a profité de l’occasion pour signaler, «avec une grande émotion», la cérémonie de béatification l’année dernière des religieux catholiques, dont Mgr Claverie, l’évêque d’Oran, et les moines du monastère de Tibhirine, «assassinés au cours de la tragédie nationale qu’a vécue l’Algérie dix années durant», de 1992 à 2002.

 

«L’ordre de mission» lancé par Mgr Duval

Apportant son témoignage sur la vie du cardinal Duval, dont il était très proche – il fut dès 1981 son coadjuteur avant de lui succéder sur le siège d’Alger en 1988 –  Mgr Henri Teissier a rappelé l’époque cruelle de la guerre d’Algérie. Mgr Duval, «cet éveilleur de conscience», a combattu la position conservatrice de l’establishment colonial et milité pour le droit des musulmans à développer leur propre culture, à accéder aux plus hautes fonctions, tout en soulignant le droit des chrétiens établis en Algérie à vivre en toute liberté et en sécurité.

Mgr Duval a lancé très vite son «ordre de mission»: «Il a demandé aux chrétiens d’Algérie de vivre leur fidélité à l’Evangile dans leurs relations avec le peuple algérien, musulman dans sa très grande majorité. C’est cet ordre de mission qui a conduit nos martyrs à rester en Algérie, comme le reste des permanents de notre Eglise, dans cette période particulièrement troublée, et de donner ainsi ce signe collectif d’une Eglise qui se voulait l’Eglise chrétienne de la société algérienne, bien que dans leur très grande majorité, les membres de cette Eglise soient d’origine étrangère».

Un chiffon rouge pour les nostalgiques de «l’Algérie française»

Mgr Teissier rappelle que dès son arrivée à Constantine, en 1947, Mgr Duval a eu la conviction que sa tâche d’évêque le conduisait à avoir le souci de la situation économique et sociale inhumaine dans laquelle était maintenues une grande partie de la population musulmane algérienne. «Il a vraiment cherché constamment à transformer la relation entre les Européens et les Algériens. Puis quand la lutte de libération a commencé, il a lancé des appels répétés à respecter la dignité des Algériens. Il a condamné la torture, il a appelé au respect de la vie, à l’accès de tous aux droits de citoyens».

Des historiens venus notamment de France et d’Algérie ont évoqué au cours de ces deux journées le riche itinéraire du cardinal Duval, en présence de Mgr Henri Teissier, son successeur sur le siège d’Alger (de 1988 à 2008), et de membres de la famille du cardinal, devenu citoyen algérien sur décision du Ministère algérien de la Justice, en février 1965.

L’opposition rencontrée par le cardinal Duval aujourd’hui encore, notamment dans certains milieux nostalgiques de «l’Algérie française», explique peut-être le fait qu’aucune étude universitaire ne lui ait encore été consacrée, hormis la thèse du professeur Marco Impagliazzo (Université de Rome-III) et président de la communauté de Sant’Egidio. Elle a été publiée en 1994 sous le titre Duval d’Algeria. Una Chiesa tra Europa e mondo arabo et devrait être traduite en français. (cath.ch/be)

 

Jacques Berset

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/le-cardinal-duval-un-phare-dans-la-tourmente-algerienne/