Parler sans tabou des abus sexuels dans l'Eglise

Une septantaine de personnes ont participé, le 10 mai 2019, à Fribourg, à une soirée de débat sur les abus sexuels dans l’Eglise, organisée au Centre Ste Ursule. Malgré la douleur, la tristesse ou la colère, libérer la parole est un acte essentiel en vue de la guérison.

«Cette crise a ébranlé ma foi, je suis triste et en colère». Ce sentiment semble dominant dans l’assemblée composée en majorité de personnes engagées dans l’Eglise. Les nouvelles révélations d’abus, même si en Suisse romande, on en parle depuis une vingtaine d’années, ont provoqué un fort sentiment de ras-le-bol. «Je ne sais pas si le pire est encore à venir» admet l’abbé Joël Pralong, un des intervenants de la soirée. Mais pour le supérieur du séminaire du diocèse de Sion, à Givisiez, «il faut aller jusqu’au bout, accompagner les victimes, tracer des chemins. Selon la formule du pape François, l’Eglise est un hôpital de campagne.»

«Ouf, nous pouvons enfin parler, après un long silence»

«Ouf, nous pouvons enfin parler, après un long silence. C’est un soulagement, malgré la tristesse», poursuit Claire Jonard. La responsable du Centre romand des Vocations rappelle cependant qu’il faut s’indigner, s’écouter, mais ne pas en rester là. «L’Eglise, c’est nous!»

Claire Jonard relève aussi que depuis une dizaine d’années l’Eglise a fait malgré tout un énorme chemin dans la reconnaissance des crimes commis. «Les victimes nous ont ouvert et montré la voie.»

L’abus est le thème central de toute la Bible

Pour le Père Philippe Lefebvre, professeur d’Ancien testament à l’Université de Fribourg, le thème de l’abus est en fait le sujet central de toute la Bible. Dès l’histoire d’Adam et Eve dans la Genèse, l’homme cherche à mettre la main sur l’autre, sur les choses sur le monde, alors que Dieu l’invite non pas à prendre, mais à recevoir la vie. Toute la Bible est tissée de cette volonté de s’approprier les êtres et les choses. Jusqu’au nouveau Testament où les chefs des Juifs veulent mettre la main sur Jésus pour le faire mourir.

Quitter la honte et la culpabilité

Du point de vue de la psychologie, cette main-mise sur l’autre est typique du comportement de l’abuseur, relève Joël Pralong. Il commence par susciter la confiance avant de verrouiller le crime dans le secret. La victime se réfugie alors souvent dans le déni ou le refoulement. Mais la marmite bout à l’intérieur. Le mal-être se manifeste par l’angoisse, la dépression ou les tentations suicidaires. En libérant la parole la victime peut quitter la honte et la culpabilité. Elle peut voir qu’elle n’est pas seule. Commence alors le long chemin de la reconstruction pour dépasser la blessure.

Le cléricalisme est la racine de l’abus

A l’instar du pape François, les intervenants et l’assemblée ont considéré que le cléricalisme est une des racines de l’abus. Pour Philippe Lefebvre, une des définitions peut être «le pouvoir indu des prêtres réunis dans une caste». Dans la Bible le sacerdoce est régulièrement lié à l’abus de pouvoir, explique-t-il. Dans le premier livre de Samuel, les fils du prêtre Eli profitent de leur statut pour s’approprier la meilleure part des offrandes et abuser des femmes venant au temple.

«Le prêtre est ‘condamné’ à être un sur-homme!»

Trop souvent, chez trop de responsables d’Eglise, on voit encore le problème de l’abus comme celui de brebis galeuses qu’il suffirait d’écarter du troupeau, sans pendre la mesure systémique du phénomène, relève Philippe Lefebvre. «On n’en parlera donc jamais trop.»

Joël Pralong s’interroge sur la place du prêtre considéré comme un être supérieur, chargé d’un pouvoir extraordinaire. Mais par là-même ‘condamné’ à être un sur-homme alors qu’il devrait d’abord accepter son humanité, y compris sa sexualité. Le responsable du séminaire s’inquiète  d’un retour du cléricalisme qui se construit une protection avec la doctrine et est persuadé de détenir la vérité. «Mais ce n’est pas l’Evangile!»

Dans l’assemblée, une personne évoque le mot d’un théologien qui parle de prêtre ‘Pampers’ qui retient tout et absorbe tout. «Mais ou est alors la place des laïcs?»

Célibataire ne veut pas dire asexué

«En tant que vierge consacrée, j’ai choisi, le célibat. Mais célibataire ne veut pas dire asexuée», explique Claire Jonard. Pour certains prêtres, le célibat est une vraie difficulté. Trop souvent ils n’osent pas la partager, ni demander de l’aide. «Rares sont les accompagnateurs spirituels qui en parlent».

«Le Christ est crucifié dans sa propre Eglise»

Interpellé par l’assemblée sur la question du célibat des prêtres, Joël Pralong refuse de voir dans son abandon une solution au problème des abus. Pour la raison, entre autres, que la majorité des abus ont lieu dans le cadre familial. «Je suis prêtre depuis 35 ans et c’est une belle histoire, grâce à l’amour que m’ont porté mes paroissiens.» Il en appelle à un soutien plus fort des laïcs envers les prêtres.

Une voix dans l’assemblée reconnaît que le cléricalisme concerne aussi les laïcs, notamment les responsables des conseils pastoraux et paroissiaux qui sont aussi tentés d’abuser de leur pouvoir. Et n’hésitent pas à sans cesse critiquer leurs prêtres.

«Va et répare mon Eglise»

Pour la deuxième partie du débat, le modérateur Pierre Pistoletti, rédacteur en chef de cath.ch, a interrogé l’assemblée sur les moyens de réparer l’Eglise. «J’ai été prise dans la tempête, mais je me suis sentie comme appelée à suivre le Christ là où il est, crucifié dans sa propre Eglise et partout ailleurs. Comment puis-je jeter la première pierre? répond une personne. Chacun de nous abrite en lui la présence de Dieu et l’Eglise va bien au-delà des structures et des bâtiments. Si nous ne sommes par les porteurs de la vie, qui le sera?»

«Nous avons les prêtres que l’on a formés comme cela», relève un autre intervenant. Et d’appeler à la tenue de synodes diocésains voire d’un nouveau concile dans lequel les laïcs auraient leur place.

«Les règles et les lois ne changent pas les personnes»

«Dans l’équipe pastorale dans laquelle je travaille, le partage des responsabilités existe vraiment», répond Claire Jonard. «Je ne crois pas à la méga-réforme de l’Eglise, mais beaucoup plus à l’engagement au niveau local pour faire bouger les choses.»

Pour Joël Pralong, c’est l’amour qui bâtit l’Eglise, pas la hiérarchie. «Dans la course à la sainteté, il n’y a pas de compétition. Mais il se faut se placer derrière l’autre pour le pousser en avant. Les règles et les lois ne changent pas les personnes. Il faut toucher les cœurs et pas seulement les structures.»

Afin de poursuivre le débat et la réflexion, le Centre Ste Ursule envisage la création d’ateliers pour les personnes intéressées. (cath.ch/mp)

Maurice Page

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