Lourdes, le film: «Saisir la beauté de ces corps fragiles»

Alors que plusieurs centaines de pèlerins romands se retrouvent à la grotte de Massabielle, le documentaire «Lourdes» de Thierry Demaizière et Alban Teurlai sort dans les salles françaises. Un film intimiste qui, loin des images d’Epinal, approche ce sanctuaire où la vulnérabilité se retrouve «sur le devant de la scène».

Pour ses réalisateurs agnostiques, «Lourdes apparait dans le cru et le nu de la vie comme une bouleversante leçon d’humanité». Une leçon qui porte bien au-delà de la sphère catholique.

Lourdes, en un mot?
Thierry Demaizière: Condition humaine. Lourdes, c’est un lieu où s’exprime la condition humaine la plus crue. Ce qui émeut, dans les deux sens du terme. Nous sommes au contact de choses essentielles: la mort, l’entraide.

Alban Teurlai: Comme réalisateur, ce qui me frappe, c’est ce ballet incessant de corps. Des corps trimballés en chariot, portés, caressés, soignés. C’est fascinant.



Après avoir consacré un documentaire à Benjamin Millepied, ancien directeur de l’opéra de Paris, puis à Rocco Siffredi, star du X, vous vous êtes intéressés à Lourdes. Pourquoi?
Thierry Demaizière: A la base, pour une raison assez anecdotique. Je n’arrivais pas à joindre une amie pendant quelques jours. Un peu gênée, elle m’a expliqué plus tard qu’elle était à Lourdes comme hospitalière. En l’écoutant me raconter ce qu’elle avait vécu auprès des personnes malades, je me suis dit qu’il y avait là une galerie de portraits absolument incroyable.

Votre éclectisme vous donne d’explorer des univers bien différents. Quels dénominateurs communs se retrouvent en filigrane de vos films récents?
Alban Teurlai: Le corps. On travaille beaucoup sur le corps, sublime, abimé, exploité, malade. Autre point commun avec Rocco, on nous a dit: «N’y allez pas, c’est casse-gueule!» On aime travailler sur les sujets pétris d’aprioris en essayant de changer le regard des gens.

Et quels sont les aprioris sur Lourdes?
Thierry Demaizière: La rue marchande, les Vierges en plastique, la foi du charbonnier. Tout cela, c’est l’écorce. Le cœur de Lourdes est ailleurs.

Peut-être dans la notion de résilience? C’est du moins cela qui se dégage de votre film, comme le vrai miracle de Lourdes.
Thierry Demaizière: Plus on approche du cœur de Lourdes, moins le miracle est important. D’ailleurs, un des fidèles, atteint de la maladie de Charcot, prie pour «oser» demander sa guérison. A Lourdes, on est touché, dans tous les sens du terme. On regarde les malades, on les touche, ils sont choyés, portés par des bénévoles, parfois un peu démunis.

Un regard habitué ne voit pas les mêmes choses qu’un regard neuf.

Et puis il y a cette sorte de Mantra. Bernadette, qui affirme avoir vu la Vierge en 1858, dit: «elle m’a regardée comme une personne». Des années plus tard, on continue de regarder les malades comme des personnes. Lourdes, c’est un changement de perspective: la vulnérabilité est au centre de la scène.

«Regarder comme une personne», c’est au fond ce que vous avez fait à travers votre caméra?
Alban Teurlai: Nous avons regardé l’invisible. Nous sommes allés à la rencontre de personnes que nous ne connaissions pas, jusque dans le secret de leur prière. Nous avons regardé ces corps fragiles avec pudeur, pour ne pas ajouter de la souffrance à la misère. Et pour en saisir la beauté.

Votre perception de la foi catholique a-t-elle évolué après cette immersion dans le sanctuaire?
Alban Teurlai: Nous avons cherché à faire un film sur la condition humaine des personnes qui se rendent à Lourdes, pas sur la foi. Nous avons quelques plans d’une messe. Deux minutes, tout au plus. Le prêtre que nous avons rencontré ne nous a pas parlé de convictions religieuses. Il nous a partagé ses doutes, sa peur du handicap. Nous sommes bien loin du discours formaté sur l’amour du prochain.

Comment expliquez-vous que la parole de vos interlocuteurs, tous croyants, porte bien au-delà de la sphère catholique?
Thierry Demaizière: C’est le fruit d’un gros travail de casting, pour trouver parmi des millions de pèlerins les interlocuteurs que nous cherchions. Nous avons d’abord sollicité des diocèses. Ils nous présentaient des personnes dont l’histoire était sans doute singulière à leurs yeux. Mais nous nous sommes rapidement rendu compte que le discours était souvent à «usage interne». Chez les catholiques, il y a des mots-valises: «cœur à cœur», «temps forts», etc. Tout un jargon difficilement audible de l’extérieur. Nous sommes allés chercher des gens dont la parole dépassait ce langage spécifique. Nous voulions que l’on puisse s’attacher à eux à travers des mots audibles par tous.

La confiance qu’on vous accorde contribue pour beaucoup à la profondeur du film. Comment avez-vous tissé ces liens?
Thierry Demaizière: C’est un peu le secret de notre métier. Nous sommes des portraitistes, nous travaillons dans l’empathie. Le militaire dont les deux fils sont malades éprouvait une certaine réticence à l’idée de parler de ce qui le préoccupe devant la caméra. Nous lui avons demandé s’il évoquait tout cela dans ses prières. Puis, s’il était prêt à murmurer sa prière lorsque la caméra tournerait. Il a accepté.

Alban, vous êtes athée. Thierry, agnostique. Est-ce qu’un croyant aurait pu filmer Lourdes avec autant d’acuité que vous?
Thierry Demaizière: Je ne pense pas. Les responsables du sanctuaire nous ont dit, après avoir vu le film: nous ne savions plus à quel point la pierre de la grotte et les mains qui la touchent sont belles. Un regard habitué ne voit pas les mêmes choses qu’un regard neuf. (cath.ch/pp)


La part des Romands

Le documentaire s’achève sur une scène d’une intensité rare ponctuée par la Prière à Notre-Dame du compositeur suisse Jean Daetwyler. «C’était il y a deux ans, se souvient Anne-Françoise Andenmatten-Sierro, directrice de la chorale du pèlerinage de printemps à Lourdes. On avançait en procession vers l’église Sainte-Bernadette en chantant quand une caméra et un micro débarquent un peu de nulle part et se mêlent aux chanteurs. A la fin de la messe, ils nous approchent: ‘Nous n’avons jamais entendu une chorale de cette qualité à Lourdes’. Le mercredi, nous enregistrions quelques morceaux pour le film, dont cette Prière à Notre-Dame». Deux ans plus tard, elle apprend avec émotion que cette pièce trouve une place de choix dans le film de Thierry Demaizière et Alban Teurlai.


Bientôt sur les écrans suisses

Dans les salles françaises depuis le 8 mai 2019, Lourdes bénéficie d’un «super démarrage. 45’000 entrées pour seulement 50 copies, se réjouit Thierry Demaizière. La semaine prochaine, nous allons passer à 95 copies» – entendez 95 salles qui diffusent le film. Quid des cinémas suisses? «C’est prévu pour bientôt, confie le réalisateur, sans préciser encore de date. Nous venons de discuter de sa diffusion en Suisse et en Belgique à Cannes, sur le marché du film».

Pierre Pistoletti

Portail catholique suisse

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