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apic/Interview Rwanda / Père blanc

APIC – Interview

Rwanda: pas de réconciliation sans deuil (200795)

Rencontre avec Hans-Michael Hürter, Père blanc

Maurice Page, agence APIC

Fribourg, 20juillet(APIC) Hans-Michael Hürter, jeune Père blanc, a vécu

sept ans au Rwanda, dont deux à Ruhuha, dans le sud du pays. Il a fui après

les massacres de 1994 et vit maintenant à Cologne, où il s’occupe de la documentation africaine pour sa congrégation conjointement avec la charge de

vicaire dans une paroisse de la ville. Pour lui, avant même de parler de

réconciliation au Rwanda, il faut faire un travail de mémoire et de deuil.

Il convient d’abord de ressouder le tissu social, car la population et

l’Eglise restent profondément divisées.

Une quarantaine de Pères blancs travaillent aujourd’hui pour le Rwanda.

Quelques-uns sont retournés dans le pays, d’autres dans les Etats voisins

au Zaïre, à Goma et à Bukavu, en Tanzanie au camp de Benako et au Burundi,

d’autres encore sont restés en Europe où ils s’occupent des réfugiés.

APIC: Aujourd’hui un an après les massacres, les Rwandais apparaissent encore très divisés. Quel espoir de réconciliation voyez-vous?

H-M.H.: La première pastorale à faire n’est pas celle de la réconciliation,

mais celle de l’écoute. Il faut amener les gens à se libérer de ce qu’ils

ont vécu, les laisser parler. Ensuite, ils seront peut-être conduits à demander pardon, à réfléchir à leur situation, à faire une démarche de réconciliation. On est encore très loin d’une vraie réconciliation au Rwanda.

Il faut en outre rétablir un appareil judiciaire qui fonctionne afin de

faire la justice pour tous. Pour moi, c’est le premier pas vers une réconciliation.

Dans le diocèse de Butare, le Service d’animation théologique a commencé, sous l’impulsion du théologien laïc Laurien Ntezimana, à définir une

pastorale de la réconciliation en commençant par faire mémoire des morts,

en retrouvant les coutumes ancestrales et les rites de deuil. Pendant le

Carême par exemple, l’Eucharistie n’a pas été célébrée, mais uniquement la

liturgie de la Parole en mettant l’accent sur la pénitence et la réconciliation.

APIC: On accuse parfois l’Eglise de porter une reponsabilité dans les massacres de 1994. Et on ajoute qu’elle refuse aujourd’hui de faire son autocritique…

H-M.H.: A ma connaissance, l’Eglise du Rwanda n’a pas publié de document

reconnaissant une responsabilité pour le passé. Il est vrai que certaines

autorités de l’Eglise étaient trop liées avec l’Etat, notamment l’archevêque de Kigali qui était un ami proche du président Habyarimana.

Selon mes informations, aucun prêtre n’a participé activement au génocide. L’affirmer simplement ne constitue pas une preuve. Je connais personnellement l’abbé Wenceslas Munyeshyaka, actuellement réfugié en France et

accusé d’avoir livré des Tutsis aux tueurs. Nous avons travaillé dans le

même diocèse. Il a oeuvré pour Pax Christi, pour un mouvement de paix, il a

participé activement à la conscientisation à la non-violence active. Il a

lui-même caché son curé qui était tutsi et a protégé les réfugiés tutsis

dans l’église de la Ste Famille, à Kigali.

APIC: Les rappports de l’Eglise avec le nouveau gouvernement de Kigali sont

assez difficiles?

H-M.H.: Il y a une grande méfiance entre le gouvernement actuel de Kigali

et l’Eglise parce qu’un certain nombre de membres de l’Eglise ont collaboré

avec l’ancien régime. Mais il faut dire aussi que l’Eglise a cherché à

oeuvrer pour la paix. On a tenté de conscientiser dans les paroisses les

chrétiens de la base sur le nouveau système démocratique et le multipartisme. Un grand travail a été fait… peut-être trop tard. A Ruhua, par exemple, le 1er janvier 1994, nous avons fait une grande marche oecuménique

pour la paix à laquelle 4’000 personnes se sont préparées durant une semaine.

Les textes et les interventions des évêques du Rwanda, avant les événements étaient assez clairs, notamment après la guerre d’octobre 1990, à

propos du multipartisme, de l’ethnisme, la marginalisation des pauvres, des

abus du pouvoir. Ce discours était-il trop intellectuel? Ne prenait-il pas

assez en compte la base, la réalité quotidienne des gens? On ignore comment

il été perçu, mais on sait que dans la plupart des églises ces documents

ont été lus. Peut-être manquait-il certains éléments, mais il ne faut pas

minimiser cet effort.

Après les massacres, des communautés ont continué à vivre, malgré l’absence de prêtre et de hiérarchie. Les chrétiens ont continué à se rassembler le dimanche. Cela a été possible en particulier là où il y avait des

communautés de base ou des groupes charismatiques. La question ethnique ne

se posait pas. Les auteurs des massacres ne sont pas les Hutus, mais une

« élite » endoctrinée, parfois sous l’influence de drogues ou de l’alcool.

Cela a été le cas dans notre paroisse. D’autres miliciens ont été entrainés

de force.

APIC: Vous insistez beaucoup sur la nécessité d’une justice neutre et impartiale?

H-M.H: Il faut une magistrature vraiment compétente, pour discerner la vérité des accusations. Une dénonciation ne suffit pas, il ne s’agit pas de

preuve. La prison de Kigali compte actuellement 10’000 détenus et elle

n’est pas la seule; il en existe plusieurs autres, à Butare et à l’intérieur du pays. Dans ces prisons, il y a même des mamans avec leurs bébés,

dans des conditions d’hygiène désastreuses. Instruire les dossiers est très

difficile, quand on manque d’un appareil judiciaire efficace. Dans les collines il n’est pas rare que le dénonciateur prenne la propriété de ceux

qu’il a dénoncés.

APIC: La question du retour des réfugiés est elle aussi loin d’être résolue. On parle beaucoup de la peur du retour.

H-M.H.: La peur du retour se base sur le fait que certains disparaissent

après être rentrés dans leur colline. Nous en avons les preuves. Aussi

longtemps que la sécurité des gens qui veulent retourner chez eux n’est pas

garantie, le problème de la réintégration reste entier. A cela s’ajoute la

question de la réinsertion des réfugiés de 1959 qui reviennent du Burundi

et de l’Ouganda. (A l’époque, on avait parlé de 500’000 personnes). Le pays

est surpeuplé.

Il y a aussi la pression des anciens militaires d’Habyarimana qui sont

au Zaïre et qui ont reçu des armes, notamment de la Bulgarie.

APIC: Un an après les massacres, où en est la reconstruction?

H-M.H.: La première reconstruction est celle d’un tissu social, d’une harmonie. La reconstruction matérielle a commencé dans les domaines sanitaire

et scolaire. C’est assez difficile, car beaucoup de bâtiments et d’installations ont été pillés ou détruits et l’on manque de personnel. Les écoles

ont repris avec des moyens de fortune. Les enfants traumatisés ont besoin

d’un accompagnement psychologique, Caritas s’en occupe et essaie de trouver

des formateurs. Des confrères Pères blancs s’y préparent dans un institut

psychologique au Canada. Pour les orphelins, on essaie de les reintégrer

dans des familles plutôt que d’ouvrir des orphelinats.

APIC: Que répondez vous à ceux qui disent: « Laissons les Rwandais se débrouiller tout seuls »?

H-M.H.: Ne pas aider le Rwanda aujourd’hui serait de la non-assistance à

personne en danger. C’est très simple, avant même de songer à la question

de la reconstruction. Il faut d’abord aider les gens à survivre. Si je

n’aide pas quelqu’un à survivre, je le condamne à mort. (apic/mp)

Propos reccueillis en collabaration avec Brigitte Muth-Oelschner, KIPA

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