Au Paraguay, le Père Miguel Fritz «aux périphéries», avec les Indiens Nivaclé

«Aller vers les périphéries, comme le demande le pape François, n’est rien de nouveau pour nous», assène le Père Miguel Fritz. Ce missionnaire Oblats de Marie Immaculée se bat aux côtés des Indiens Nivaclé, dans le Chaco paraguayen, non loin de la frontière argentine, dans une région noyée sous les eaux depuis le mois de mars 2019.

Le religieux allemand (*), né il y a 64 ans à Hanovre, au Nord de l’Allemagne, arrivé au Paraguay en 1985, vit dans un territoire de mission grand comme trois fois la Suisse et en grande partie dépourvu d’infrastructures de base.

Territoire de mission grand comme trois fois la Suisse

Le vicariat apostolique du Pilcomayo (VAP) est situé dans les départements paraguayens de Boquerón et Nueva Asuncion, et la partie septentrionale de celui de Presidente Hayes. Dans cette région confiée aux Oblats depuis 1925, les Indios forment près de la moitié de la population. Ce vaste territoire – 30% de la superficie du pays -, compte moins de 80’000 habitants, dont un peu plus de la moitié sont catholiques.

De sa paroisse de San Leonardo, à Fischat, où il est actif depuis le début 2019, le Père Miguel Fritz dessert quinze communautés dispersées loin à la ronde. Il est le seul prêtre à parler le nivaclé, la langue des Indiens qui forment la moitié des catholiques de ces communautés, composées pour l’autre de ‘Paraguayos’, en partie venus d’Argentine. Son évêque, Mgr Lucio Alfert, célèbre lui-même la messe en guarani et en nivaclé, mais ne parle pas cette dernière langue au quotidien.

Le Père Fritz, qui connaît bien la population locale – il a une licence en ethnologie de l’Université de Quito, en Equateur – relève que dans les communautés où il vit, on ne parle que nivaclé et espagnol, et pas le guarani, qui est la deuxième langue officielle du pays. Le vicariat apostolique du Pilcomayo est formé par 6 paroisses et deux missions, avec 6 prêtres diocésains (dont deux sont des autochtones Guaranis) et six prêtres Oblats (deux Congolais, un Haïtien, un Australien, deux Allemands, dont l’évêque, Mgr Lucio Alfert, âgé de 77 ans). Sur près d’une vingtaine de religieuses, deux sont également issues du peuple guarani.

Pour une théologie indienne

«Le pape François nous a encouragés à poursuivre la réflexion sur une théologie indienne s’inspirant de la cosmovision des peuples natifs… Parler de théologie indienne n’est plus un ‘vilain mot’ comme par le passé», confiait récemment Alfert à cath.ch. Chaque peuple autochtone et chaque Eglise doivent avoir leur propre visage, leurs propres expressions, organisations, symboles, liturgies, ainsi que leurs  propres ministres, affirme-t-il.

Le Père Fritz souhaiterait lui aussi que les Nivaclés aient des prêtres de leur propre culture, qui partagent leur cosmovision. «Il y a certes un problème de formation, mais aussi un ‘blocage culturel’ au sein de l’Eglise: des prêtres qui vivent avec eux, je suis le seul à parler leur langue. Former des prêtres autochtones est un vrai défi. Il faut surtout éviter de les déloger de leur propre culture. On attend beaucoup du synode sur l’Amazonie d’octobre 2019″. On pourrait trouver des solutions avec les ‘viri probati’, à savoir l’ordination d’hommes mariés d’âge mûr «ayant fait leurs preuves», même si pour lui le célibat n’est pas le premier problème des Nivaclés.

Pour des ministères «différenciés»

Le missionnaire allemand envisage des ministères «différenciés», notamment pour les Nivaclés – dont la société est de type matriarcal – afin de s’adapter aux réalités locales. Le catholicisme des indigènes n’est pas académique, avec des formulations doctrinales précises. Leur théologie est plus symbolique, basée sur les mythes, les rites, les rêves, les traditions, les coutumes et la relation même avec la création. Elle est narrative, cosmique et festive.

Le synode sur l’Amazonie doit trouver de «nouveaux chemins»

Le Père Miguel Fritz envisage des prêtres autochtones qui ne seraient pas calqués sur les prêtres européens, tout en relevant qu’il faut également trouver une solution pour les ‘Paraguayos’, qui ont leur propre culture. Il attend aussi beaucoup de la vision «écologique» du synode sur l’Amazonie, qui devrait permettre de trouver de «nouveaux chemins».

Car, comme dans beaucoup de peuples premiers à travers le monde, l’homme est vu par les indigènes du Chaco comme un être en symbiose avec la «Terre-Mère». Les Indios se considèrent dans une relation d’interdépendance avec les autres occupants de la terre. Cela implique pour l’être humain de respecter la terre et de lui accorder un statut, notamment juridique, égal au sien. La Terre-Mère est sacrée, car elle est la grande force dispensatrice de vie. JB


10 ethnies différentes dans le Pilcomayo

Dans le vicariat du Pilcomayo, les Indiens appartiennent à 10 ethnies différentes: Nivaclé, Guarani, Guarani Ñandeva, Lengua (les plus nombreux), Sanapaná, Enlhet, Angaité, Ayoreo, Manjui et Maka. 16 à 17% des habitants sont des ›Paraguayos’ qui parlent l’espagnol, le castillano, ainsi que des étrangers (Argentins, Uruguayens, Allemands, Brésiliens, etc.) Il faut ajouter à ces populations 25% d’habitants de confession mennonite, des émigrants originaires de Westphalie et des Pays-Bas, qui s’étaient installés en Russie et ont ensuite fui le régime communiste d’Union soviétique. Ces derniers parlent un mélange de ›plattdeustch’ et de néerlandais, avec des éléments de russe et d’anglais. JB


Relations délicates avec les Mennonites

Les Mennonites sont arrivés dans le Chaco dès 1927 et sont actuellement environ 15’000. Ils ont développé, dans le Chaco, sur près de 10’000 km2, trois grandes colonies: Fernheim, avec pour centre Filadelfia, Menno, dont le centre est Loma Plata, et Neuland, avec pour centre Neu-Halbstadt. Ces centres sont entourés de villages, et de nombreux indigènes ont adopté leur religion. Les colons se consacrent principalement à l’élevage, dans une région au climat sec, au sol sablonneux où l’eau salée est impropre à la consommation humaine et où la terre est peu favorable aux cultures. Mais cette population industrieuse a mis sur pied en ville, dans un environnement très moderne, diverses fabriques, entreprises et grands magasins. «Ils ont un grand pouvoir économique, ils sont les plus riches de la région. A Loma Plata, pour une ville de 11’000 habitants, on trouve cinq banques!

«Pour eux, les catholiques ne sont pas de vrais chrétiens»

L’œcuménisme, pour de nombreux Mennonites, est ›una mala palabra’, un ›vilain mot’. Pour eux, les catholiques ne sont pas de vrais chrétiens. Nous avons eu deux mariages œcuméniques en 30 ans, et cela a été à chaque fois un drame! Il y a certes de plus en plus de mariages mixtes, mais les Mennonites exigent la plupart du temps que la personne d’une autre communauté soit rebaptisée… Mais ils ne sont pas unis entre eux: selon les colonies, il y a des Eglises mennonites qui se font de la concurrence. Ainsi à Filadelfia, il y a 3 communautés différentes». Beaucoup d’Indios apprennent la langue des Mennonites et travaillent avec eux. Une partie d’entre eux appartiennent désormais à leur communauté religieuse. JB


Changements climatiques dévastateurs

Le missionnaire allemand vit dans une région qui alterne durant l’année sécheresses et inondations. Mais cette année, les pluies de l’hiver ne se sont pas arrêtées en mars, et les terres sont encore complètement inondées. Une catastrophe pour les petits paysans de la région qui ne peuvent se déplacer et vendre leur production, faute de routes asphaltées.

«L’impact du changement climatique est très visible. Dans la région du Chaco où je vis, les paysans déversent le lait de leurs vaches dans les champs, car ils ne peuvent le transporter. Des centaines de milliers de litres de lait perdus… Les routes de terre sont submergées: il n’y a pas de possibilités de se déplacer avec un tracteur ou un camion, qui s’enfoncent dans une boue épaisse. Les eaux stagnent sur ces terres plates et ne s’évacuent pas. Les petits paysans n’ont plus de revenus…»

S’il veut se rendre à Asuncion, la capitale paraguayenne, distante par la route de quelque 500 km, le missionnaire doit faire le détour par l’Argentine pour bénéficier de routes praticables.

Des prêtres bloquent la route

Dans la région, des tronçons de route asphaltée sont entretenus par les communautés mennonites, des colons installés au Paraguay depuis les années 1927. La Coopérative mennonite avait érigé deux postes de péage sur ces routes, contre la volonté de la population et même sans l’autorisation des autorités compétentes. Le paiement de 25’000 guaranis (4,50 $ US) par véhicule aurait représenté jusqu’à la moitié du salaire minimum mensuel. Les populations paraguayennes et indigènes se sont organisées et, après avoir épuisé toutes les possibilités de dialogue, ont décidé de fermer la Route du Transchaco, la seule route asphaltée qui traverse tout le Chaco.

A ses côtés, avec le Père Cristóbal Acosta et avec l’appui de l’évêque du vicariat, Mgr Lucio Alfert, également un religieux allemand des Oblats de Marie Immaculée (OMI), le Père Miguel Fritz a participé durant près de 15 jours aux manifestations pour la suppression des péages. Ces rassemblements ont donné lieu à des affrontements avec les forces spéciales de police et l’envoi de mandats d’arrêt. «Mais finalement, cette solidarité a été couronnée de succès: un ordre du gouvernement national a été donné de supprimer les postes de péage».

Corruption à tous les niveaux

«Il est vrai que dans cette région, un kilomètre de route asphaltée coûte environ un million de dollars. Le pays ne manque pas d’argent, mais c’est la corruption qui règne à tous les étages, depuis si longtemps ! A part la brève période de la présidence Lugo durant quatre ans (**), c’est toujours le Parti Colorado qui est au pouvoir. Les libéraux ne sont pas meilleurs…» (cath.ch/be)

(*) Le Père Miguel Fritz était de passage en Suisse du 23 au 26 mai 2019 à l’invitation d’Aide à l’Eglise en Détresse (AED/ACN)

(**) L’ancien évêque catholique Fernando Lugo Méndez a été président du Paraguay entre août 2008 et juin 2012 à la tête d’une coalition de centre-gauche. Il a été destitué lors d’une manoeuvre de l’opposition parlementaire de droite.

Jacques Berset

Portail catholique suisse

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