François Margot: «Il y a une dimension transcendante dans la Fête des Vignerons» (2/8)

François Margot, l’abbé-président de la Confrérie des vignerons de Vevey, ne célèbre pas la messe. La célébration totalement profane dont il dirige les préparatifs, la Fête des vignerons, possède néanmoins selon lui une dimension transcendante.

Dans les élégants bureaux de la Confrérie des vignerons de la rue du Château, à Vevey, on ressent que le vin est tout sauf une boisson de bas étage. L’abbé-président du lieu, François Margot, n’a rien non plus d’un tenancier de bistrot. La distinction de son apparence et de son élocution le rapprochent plus d’un magistrat…ou d’un ecclésiastique, au vu de la ferveur avec laquelle le protestant s’exprime sur son engagement.

D’où vient l’appellation insolite «d’abbé-président»?
François Margot: Il renvoie à une ancienne dénomination de la Société de la Confrérie des vignerons, qui a longtemps porté le nom «d’Abbaye de St-Urbain». Ce dernier étant un des saints du calendrier catholique que les vignerons aiment à invoquer. En rapport à cette «abbaye», la Société a naturellement considéré que son dirigeant devait avoir le titre «d’abbé». Au milieu du XIXe siècle, on lui a accolé le qualificatif de «président», pour lui donner un peu plus de lustre. Mais la fonction est complètement profane.

On peut sans doute voir également dans cette appellation la transmission d’une forme de savoir-faire viticole ancestral, très présent dans le monde religieux au Moyen Age. Notamment dans les techniques d’essartage pour la plantation des vignes.

L’Eglise a toujours entretenu un rapport étroit avec le monde viticole…
Au Moyen Age, la vigne était liée à de grands propriétaires fonciers, dont l’Eglise. Ces derniers sont devenus conscients que la propriété viticole avait un meilleur rendement que la propriété agricole. Au-delà des aspects spirituels, l’Eglise est également entrée dans cette activité pour des raisons économiques. Dans le Lavaux, elle a joué un grand rôle en contribuant, à travers les diverses congrégations présentes, au défrichage des coteaux.

«Je trouve intéressant dans le catholicisme le concept de transsubstantiation»

Ce titre «d’abbé» renvoie-t-il à une dimension supplémentaire de votre fonction?
Au-delà de mon activité de président, je ressens assez fortement, à titre personnel, un rôle de «gardien du temple», si l’on peut dire. Qui consiste à veiller à ce que l’histoire de la Confrérie, l’histoire de ses fêtes, les racines de cette forme de célébration profane soient respectés. Au-delà de l’aspect administratif de la fonction, je perçois cette mission de préservation d’un héritage historique, patrimonial.

Il y a aussi certainement au sein de la Confrérie une forme de solennité qui, sans être proprement religieuse, renvoie a quelque chose de «sacré», qui nous dépasse. Dans la Fête des Vignerons, on célèbre la nature, le travail dans le sens noble du terme, les bienfaits de l’existence sur terre. Il y a dans cette fête une dimension transcendante. Y sont invoqués des thématiques, des mythes décidément peu communs avec le monde du spectacle traditionnel.

Le vin et la vigne sont également très présents dans la symbolique biblique…
La culture de la vigne fait partie de la culture chrétienne. Je trouve intéressant dans le catholicisme le concept de transsubstantiation: la transformation d’un élément physique en un élément spirituel. C’est le symbolisme le plus fort que l’on trouve dans le travail de la vigne: par le soin patient et constant de la matière, de la terre, du raisin, l’on finit par obtenir le produit «sublimé» du vin. La Fête des vignerons se réfère aussi à ce processus de transformation.

Le vin est donc bon à l’homme?
S’il est consommé avec respect et modération, le vin est certainement un facteur de fraternité entre les hommes. Ce n’est pas une boisson que l’on consomme seul, le verre de vin se partage. Une fraternité que l’on retrouve pleinement dans le concept de la Fête des Vignerons. Car les hommes et les femmes qui préparent la Fête partagent un projet qui les dépasse, une expérience probablement unique dans leur vie, qui les transcende dans un objectif commun.

«Le vigneron a conscience de travailler avec une nature vivante»

On sait que le pape François se préoccupe beaucoup de l’environnement. En cette période de menace climatique, ce thème est-il présent dans la Fête des Vignerons?
Lorsque vous célébrez la nature, comme le font les vignerons et la Fête qui leur est dédiée, ce type de préoccupation intervient forcément. Face aux menaces contre les cultures, des viticulteurs choisissent pragmatiquement d’utiliser des remèdes chimiques quand la situation l’exige. D’autres, par conviction, n’en utilisent jamais, mais en paient souvent le coût par une diminution de leur récolte. Il y a donc des sensibilités différentes, mais je peux vous dire que les vignerons sont tous attentifs à la préservation de l’environnement. Quoiqu’il en soit, même si la Fête fait référence à ces thématiques, elle n’est pas un lieu où faire du catéchisme ou donner des leçons.

La dignité du travail est également un des thèmes de la Fête des Vignerons. On a l’impression que dans le monde agricole, cette notion revêt une importance particulière.
Il faut se souvenir que le travail du vigneron est un vrai labeur, pas toujours reconnu. Beaucoup de travailleurs restent dans l’ombre. Leurs noms ne se retrouvent en tout cas pas forcément sur les étiquettes des bouteilles. Mais la Confrérie a un immense respect pour eux, et c’est principalement à eux que la Fête des vignerons rend hommage.

Il existe aussi dans le monde viticole une solidarité terrienne extrêmement puissante.

Peut-on ainsi rapprocher le travail de la vigne d’une vocation, un sacerdoce?
Il est sûr que le vigneron, comme tout travailleur de la terre, entretient un rapport particulier avec son instrument de production. Cette relation est bien plus étroite, plus affective que dans d’autres métiers. Un même genre de lien peut certainement exister entre un prêtre et ses ouailles. Le vigneron a conscience de travailler avec une nature vivante, la terre nourricière, qui est le patrimoine commun de l’humanité. (cath.ch/rz)

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

https://www.cath.ch/newsf/francois-margot-il-y-a-une-dimension-transcendante-dans-la-fete-des-vignerons/