Estavayer-le-Lac dit adieu à son «prêtre chanteur»

L’abbé Antoine Kankoé, curé de la paroisse St-Laurent d’Estavayer-le-Lac (FR), regagnera son Togo natal en août 2019. Portrait de cette forte personnalité, qui en trois ans a su se faire apprécier des paroissiens par sa joie de vivre, sa ferveur et ses talents de chanteur.

«Quoi, vous n’allez pas nous faire ça!», crie une paroissienne pendant la messe, à l’annonce du départ de l’abbé Kankoé. Une réaction représentative de la «tempête de tristesse» soulevée dans la communauté par la perte de ce curé qui lui a tant apporté, assure l’Unité pastorale St-Laurent sur son site internet.

Outre sa générosité et sa bonne humeur, le prêtre togolais a également marqué la région broyarde par son originalité et sa créativité. Un trait de caractère qui se constate dès le premier contact. Le grand homme athlétique, souriant et jovial, avec ses jeans et ses lunettes de soleil, a plutôt l’air de sortir d’une salle de sport que d’une église. Seule la croix de bois sur sa poitrine donne un indice de sa situation de prêtre. Une vocation à laquelle sa naissance ne l’avait pas forcément destiné.

Né dans le vaudou

Antoine Kankoé est en effet né en 1974 dans la ville d’Aného, au sud du Togo, dans une famille fortement ancrée dans l’animisme, la religion traditionnelle. Lorsque son papa décède, alors qu’il est encore petit, sa maman assume avec courage l’éducation des enfants. Au collège, au contact des élèves catholiques, il commence à s’intéresser à cette religion. L’un d’eux l’amène un jour au catéchisme et ce qu’il y entend entre profondément en lui. Sa maman refuse cependant qu’il devienne chrétien, surtout par peur des réactions de sa famille. «Mais depuis tout petit, j’ai su ce que je voulais», confie-t-il à cath.ch. En 1991, il se fait donc baptiser.

Une décision qui scelle son exclusion de la famille. Lorsque sa mère épouse en seconde noce un prêtre vaudou, ce dernier n’accepte pas qu’un chrétien vive sous son toit. Antoine se retrouve donc dans la rue. Avec une bande d’amis, il dort où il peut et se débrouille en aidant aux travaux de maçonnerie. Il vivra ainsi pendant 16 ans, principalement au Nigeria, avant qu’une grève générale ne le force à repartir. Il passera également par un camp de réfugiés au Ghana. Une expérience de la rue et de la misère qu’il raconte sans amertume ni regret. «La rue m’a en fait beaucoup apporté. Elle a forgé en moi une personnalité qui affronte les problèmes». Il est finalement invité par un ami à vivre dans sa famille et retourne au Togo. Le grand frère est d’accord de lui payer des études. Il passe son bac puis entre en sociologie à l’Université de Lomé, la capitale togolaise. A cette époque, il n’envisage pas de devenir prêtre. Il veut intégrer l’armée pour combattre l’injustice, un fléau qui l’a profondément marqué lorsqu’il vivait dans la rue.

«L’homme en jeans»

Mais une profonde expérience de foi en décide autrement. Le 1er janvier 1997, alors qu’il prie seul dans une église, il entend distinctement la voix de Dieu qui l’appelle au sacerdoce. «Quelque chose s’est passé entre moi et Dieu. J’ai été bouleversé par cette rencontre». Il décide donc d’entrer au séminaire, où il fait sensation en portant des jeans, un type de vêtement hérité de sa vie dans la rue. «Au début, les professeurs n’aimaient pas ça. Mais ensuite, quand ils ont remarqué que j’étais un bon gars et que je travaillais dur, ils l’ont accepté». Depuis lors, d’autres séminaristes et même des professeurs se sont mis à porter des jeans, s’amuse le Togolais.

La force de l’Esprit-Saint l’amène à aller trouver sa mère et à se réconcilier avec elle. Celle-ci n’admet cependant pas qu’il devienne prêtre, donc sans progéniture, étant le seul garçon de son défunt mari. Antoine ne cède pas à la pression et continue son parcours vers le sacerdoce. Sa maman est devenue par la suite également chrétienne, «c’est magnifique», note-t-il avec un grand sourire.

Face au diable et aux sorciers

Ordonné en 2006, il se voit confier la paroisse d’Anfoin, au sud-est du Togo. Un lieu où l’animisme domine et où la grande église paroissiale est loin d’être pleine. Son arrivée change cependant la donne et la communauté chrétienne trouve rapidement un dynamisme exceptionnel. L’église se remplit tous les dimanches et beaucoup de personnes se convertissent. Un mouvement qui suscite l’ire des féticheurs locaux. «Ils auraient pu nous tuer, nous les prêtres catholiques, parce que beaucoup quittaient le vaudou pour rejoindre l’Eglise, mais nous étions protégés par l’amour de Dieu», commente le prêtre. Pendant cette période, Antoine Kankoé est également nommé exorciste du diocèse. Une tâche «difficile», confesse-t-il, qui l’oblige à être ferme dans sa foi face à des personnes qui vomissent, l’insultent ou lui crachent dessus.

Tout de suite adopté

Après des années dans cette paroisse, le désir lui vient de partir en «mission» à l’étranger, d’aller annoncer ailleurs la Bonne Nouvelle. Il connaît déjà bien la France, où il est allé quelques fois visiter un de ces amis prêtres. Mais c’est en Suisse que l’évêque lui indique un jour qu’une place s’est libérée. Il arrive ainsi en août 2016 sur les rives du lac de Neuchâtel. Une installation qui ne s’est pas faite sans appréhension. «Je craignais qu’un prêtre africain ne soit pas accepté, que je ne puisse pas travailler comme je le veux. Mais en fait, j’ai tout de suite été adopté par les paroissiens». Il assure n’avoir jamais ressenti une once de racisme parmi la population staviacoise. «Les trois années que j’ai passées ici ont été des cadeaux. Si je devais emporter tous les ‘merci’ que j’ai reçus à Estavayer, il me faudrait deux gros bateaux», plaisante-t-il.

La joie de célébrer Dieu

Antoine Kankoé affirme avoir tenté d’apporter de son Afrique natale la joie de vivre et de célébrer Dieu. Ses homélies sont ainsi d’habitude agrémentées par un chant religieux ou profane sur le thème de l’évangile du jour. «La messe ne devrait pas être quelque chose de morose, c’est un banquet auquel notre papa nous invite. Tout en gardant le respect dû, j’essaye d’y mettre toute la joie que m’inspire l’amour de Dieu». Le prêtre togolais a également exercé son talent à l’événement du Gospel air d’Avenches, en mai 2019.

Ayant appris depuis peu que sa mère était gravement malade. L’abbé Antoine s’est résolu à rejoindre son pays natal pour être auprès d’elle. Une décision qu’il assure «difficile»," tant il s’est attaché à la communauté de St-Laurent. «Ces gens m’ont aimé d’un amour sincère, qui se ressent tout de suite. Quand tu viens de l’étranger et que tu as peur de ne pas être accepté, c’est une bénédiction qui te reste toute la vie». Le prêtre espère que son successeur va s’inscrire dans cette même ligne «pour que le peuple de Dieu soit un peu plus joyeux et fervent». Antoine Kankoé promet cependant de revenir chaque année à Estavayer-le-Lac, pour retrouver sa «seconde famille». (cath.ch/rz)

Une messe d’adieu à l’abbé Antoine est agendée le dimanche 25 août à la collégiale d’Estavayer-le-Lac.

 

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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