Le chapitre cathédral de Sion: histoire de vignes (3/8)

L’Eglise valaisanne tire encore des revenus de ses vignes dont elle a confié l’entière exploitation à une coopérative en 2006. Un retour aux sources historiques, notamment pour le vignoble du Chapitre de la cathédrale de Sion, dont la longue histoire est étroitement liée a celle de la vigne.

Il n’est pas 9h et la canicule de cette fin juin envoie déjà le mercure au-delà des 25°. Les vignes ne semblent pas en souffrir. Stéphane Vergère, chancelier de l’évêché de Sion, évoque avec gourmandise les crus que produisent les vignobles encore en possession de l’Eglise.

Petite Arvine, Diolinoir, Heida, Pinot noir, entre autres, se dégustent dans les flacons issus de la production ecclésiastique. «Sur les cinq crus classés en «Domaine», le haut de gamme commercialisés par Provins, quatre appartiennent à l’Eglise», lance avec fierté le chancelier de l’évêché.

«L’Eglise possède encore 32 Ha de vignes. La vigne du Chapitre représente 15 Ha, la vigne de l’évêque occupe sept Ha répartis entre Savièse et le vignoble niché entre les châteaux de Valère et Tourbillon. La Fondation du Grand séminaire possède 10 Ha, situés près du Lac de Géronde», détaille le diacre. Suite à la fermeture de la cave du Séminaire, tous ces vignobles sont exploités par Provins au terme d’un contrat signé fin 2005.

Des vignes qui rapportent

Les différentes entités ecclésiastiques reçoivent annuellement un revenu fixé avec Provins. «S’il n’y a pas de renouvellement de vigne, précise le chancelier. Mais ces renouvellements ayant lieu à peu près chaque année, une déduction correspondante est alors appliquée».

A combien s’élève ce revenu ? «Les gens du milieu viticole imaginent facilement le revenu que l’on peut tirer d’un vignoble de 32 ha. Ils ne devraient pas être surpris du chiffre de 300’000.– francs par an environ, ce qui équivaut à près de un franc du m2 en moyenne».

«L’exploitation des vignes ecclésiastiques par la coopérative est un retour aux sources pour l’Eglise du Valais, notamment pour les vignes du Chapitre de la cathédrale de Sion», explique Chantal Ammann-Doubliez. Elle est archiviste-paléographe et archiviste du Chapitre.

Parmi ces vignes idéalement situées pour l’ensoleillement, se trouve en effet le coteau de Lentine, au-dessus de Sion. Cette «magna vinea» (grande vigne), propriété historique des chanoines de Sion, attestée dès le XIIIe siècle, a sans doute été constituée au fil des ans par des legs de chanoines, de particuliers et elle a pu être complétée par des achats du Chapitre.

A-t-elle été plus vaste que le coteau qu’elle occupe actuellement ? «C’est difficile à dire, malgré l’abondance des archives du Chapitre parvenues jusqu’à nous», explique l’archiviste. Ce fonds précieux lui a permis de retracer l’histoire des vignes des chanoines et celle du Chapitre cathédral à l’époque médiévale, à travers plusieurs publications.

La prébende, moyen de subsistance

Les conclusions qu’elle a tirées des documents, des contrats, des livres de compte, tous rédigés en latin, situent la vigne au cœur de la vie du Chapitre, notamment parce qu’elle constitue une partie des prébendes (rentes) pour les chanoines, moyen de subsistance pour eux-mêmes et l’Eglise de Sion. A l’origine, c’est même leur rôle premier.

Chaque chanoine reçoit à son entrée au Chapitre et annuellement, de manière très codifiée, selon son assiduité et son ancienneté, une prébende sous forme de biens immobiliers (en particulier des vignes), de rentes et de revenus en nature (dont du vin). S’y ajoutent parfois des distributions d’argent, de pain et de vin. Une partie des prébendes revient au Chapitre.

D’après un rôle des revenus du sacristain, établi vers 1300, toutes les prébendes sont distribuées à parts égales. Chacune reçoit quotidiennement deux pains, deux quarterons de vin et six deniers, ajoute l’archiviste du chapitre. Au XIVe siècle, chaque prébende est censée recevoir deux muids de vin (environ 1280 l). Les prébendes trop pauvres en vigne sont compensées par du vin, considéré à cette époque comme un aliment indispensable.

Un rôle économique important

De nombreuses reconnaissances de dette et actes de vente attestent la vente de vin au détail à l’évêque, à des tavernes ou à des particuliers. Le droit de vendre du vin au détail en ville de Sion appartient aux bourgeois et au clergé, selon les franchises de la ville de 1338. Cependant l’évêque de Sion interdit formellement aux chanoines et aux membres du clergé de fréquenter les tavernes et de boire sur les places publiques.

Les chanoines ne cultivent pas eux-mêmes leurs vignes. Elles n’auraient d’ailleurs pas prospéré sans l’apport de force et de savoir-faire d’une viticulture domestique et paysanne. En cela le Chapitre joue un véritable rôle économique dans Sion et sa région, dès le Haut Moyen-Age.

Les chanoines louent leurs vignes à des exploitants. A charge pour eux de les faire fructifier et d’en assurer l’entretien. Le métral (chanoine nommé responsable de l’administration des vignes capitulaires) établit de véritables contrats avec les viticulteurs qui travaillent les vignes.

Pourvoyeur d’emplois

Le Chapitre pourvoit au paiement des ouvriers, souvent pour partie en vin. En 1363 le cahier des charges de l’entretien des vignes comptabilise jusqu’à 1700 jours de travail. En 1379, les dépenses pour la vigne: taille, labour, attache et arrosage représentent 988 jours de travail. Auxquels s’ajoutent les frais de vendange et de transport du raisin au pressoir.

Outre la culture, les contrats démontrent globalement la préoccupation qu’ont les chanoines de leurs murs de vigne. Non pas qu’ils sont passionnés de maçonnerie mais dès le XVIIe siècle, le Chapitre impose à ses tenanciers d’entretenir les murs et de reconstruire à leurs frais ceux qui s’écrouleraient pendant la durée du contrat. Ces murs sont d’une grande importance à l’époque, puisqu’ils délimitent les vignobles, soutiennent les terrasses dans les terrains en pente et empêchent les passages intempestifs à pied ou à cheval dans les vignes.

Des vignes au centre de Sion

Le chapitre emploie également des maçons. Il y a eu des vignes au centre de Sion: certaines prébendes font en effet état, dès 1443, de jardins, situés derrière la cathédrale, où pousse de la vigne. Les murs d’enceinte de ces propriétés viticoles urbaines font l’objet d’un entretien constant. Au milieu du XVIe siècle on compte jusqu’à 21 jardins au centre de Sion où l’on cultive la vigne. Ces vignes capitulaires, réparties en huit lots de 168 m2, sont attestées jusqu’en 1920. Il en reste encore quelques unes en 1935, le reste ayant été transformé en jardin.

Difficile de reconstituer de manière précise l’évolution des surfaces du vignoble du Chapitre. Par des actes, des documents, on a pu retrouver la trace d’acquisitions de vignes, de donations à but caritatif et de legs.

A Savièse, à la fin du XIe siècle, le Chapitre de Sion possède deux vignes «aux Novelles». Durant le premier tiers du XIIIe siècle, les chanoines agrandissent leur vignoble en achetant pour 200 livres de vigne dans les proches environs de Loèche.

En 1378-1379, un compte énumère les vignes de Lentine, de Molignon, de Batassé, de Conthey, l’Agasse, Nanz, Comera, Corbassière, Signèse, Dorbin et Pagane. Ces noms de vignobles, tous situés aux alentours de Sion, sur la rive droite, reviendront régulièrement dans les états de possession du Chapitre jusqu’à l’époque contemporaine. (cath.ch/bh)

Bernard Hallet

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