Chine: 20 ans de persécutions contre le Falun Gong

Les adeptes du Falun Gong, un mouvement spirituel né en Chine, sont gravement persécutés depuis 20 ans par le gouvernement communiste de Pékin. Selon des accusations de plus en plus fondées, les autorités chinoises prélèveraient, à des fins lucratives, des organes sur des membres emprisonnés du groupe religieux.

«Mon mari a prélevé les cornées de 2000 pratiquants de Falun Gong vivants, entre 2001 et 2003», a affirmé en 2006 une femme vivant en Chine dont l’identité est restée secrète. Son époux était un chirurgien de l’hôpital de Shenyang, dans le nord-est du pays. Il lui aurait révélé qu’en tout, 4000 pratiquants du mouvement spirituel emprisonnés avaient été tués pour leurs organes dans l’établissement. Ce témoignage, avec deux autres du même type, a été publié dans le journal américain Epoch Times, soutenu par le Falun Gong.

«Crime contre l’humanité»

Ces allégations ont été le point de départ d’une vague d’indignations et d’inquiétude dans le monde face aux présumées pratiques du régime chinois. Depuis, diverses enquêtes dirigées par des organes indépendants ou étatiques sont venues étayer la plausibilité des accusations. La dernière en date est celle du China Tribunal, basé à Londres. Elle a conclu, le 18 juin 2019, que la Chine prélevait effectivement des organes de façon forcée sur des prisonniers de conscience. Le Tribunal indépendant dirigé par Sir Geoffrey Nice, ancien procureur au Tribunal pour l’ex-Yougoslavie, a aussi indiqué que les adeptes du Falun Gong ont été l’une des principales sources d’approvisionnement en organes. Une pratique qui, selon le China Tribunal, relève du «crime contre l’humanité». La cour indépendante a également estimé qu’il était «probable ou très probable» qu’il soit effectivement question de «génocide».

Le malheur d’être en bonne santé

Si les affaires de prélèvements forcés d’organes n’ont été révélées qu’en 2006, il est possible que le présumé trafic issu des prisons chinoises ait débuté bien avant. Les membres du Falun Gong ont en tout cas commencé à être emprisonnés dès le 20 juillet 1999. Le mouvement s’apprête donc à commémorer les 20 ans d’une «persécution particulièrement féroce», affirme à cath.ch Joelle Regat, qui milite depuis des années au sein du Falun Gong contre les actions du gouvernement chinois.

Amnesty International à Berne, contacté par cath.ch, assure n’avoir aucun chiffre sur l’ampleur de la persécution des adeptes de Falun Gong, face à la difficulté d’enquêter sur le sujet. Joelle Regat, qui vit et travaille en France voisine, confirme que l’on ne connaît pas réellement le nombre d’adhérents envoyés dans les établissements pénitenciers. Mais ils seraient selon elle plusieurs millions. Une résolution du Parlement européen de décembre 2013 sur le prélèvement d’organes en Chine a en tout cas dénoncé  »l’arrestation et la détention de centaines de milliers d’adeptes» du mouvement depuis 1999. En avril 2019, la «United States Commission on International Religious Freedom» (USCIRF), un organisme gouvernemental fédéral bipartisan, a certifié que plus de 900 pratiquants du Falun Gong ont été arrêtés durant l’année 2018, «pour le simple fait d’avoir fait état de leurs croyances ou distribué de la littérature» sur le mouvement.

Un rapport de mars 2006 de la Commission des Nations Unies sur les droits de l’homme stipulait que 66% des victimes de la torture et des mauvais traitements dans les prisons chinoises étaient des pratiquants de Falun Gong. La même année, les Canadiens David Matas, avocat spécialiste des droits humains et David Kilgour, ancien Secrétaire d’Etat du Canada pour l’Asie-Pacifique, ont mené une enquête indépendante sur ces allégations. Ils ont conclu que «les prisonniers issus du Falun Gong étaient la seule source plausible de 41’500 transplantations d’organes réalisées entre 2000 et 2005».

Joelle Regat explique que les adeptes du Falun Gong seraient spécialement touchés par les prélèvements d’organes. Au-delà du fait qu’ils constitueraient la plus grande population carcérale en Chine, ils seraient ciblés à cause de leur réputation d’être en bonne santé. Outre les pratiquants de cette forme de spiritualité, des Ouïgours, une ethnie musulmane de l’ouest de la Chine, et des chrétiens figurent très probablement parmi les victimes du présumé trafic d’organes.

La crainte d’un mouvement d’opposition

Mais pourquoi un tel déferlement de violence de la part de Pékin contre des pratiques religieuses qui s’apparentent à un «yoga chinois»? La méthode, popularisée par le guide spirituel chinois Li Hongzi, «cherche uniquement le bien être physique et psychique de la personne», affirme Joelle Regat. Pour la militante française, c’est le succès exceptionnel du Falun Gong (ou Falun Dafa) en Chine qui a effrayé le pouvoir autoritaire. Sept ans seulement après sa création, en 1992, près de 100 millions de personnes à travers le pays intégraient ses pratiques dans leur vie quotidienne. Le Falun Dafa avait même été à ses débuts favorisé par le pouvoir chinois qui y voyait une façon de soulager un système de santé saturé. Mais le parti communiste a retourné sa veste en constatant que le phénomène lui échappait, le nombre des adeptes du Falun Gong étant en train de dépasser celui de ses membres.

L’ancien président chinois Jian Zemin a été le principal instigateur de cette politique de persécution. En 1999, il a ordonné «l’éradication» du Falun Gong. Depuis, une sévère répression s’est abattue sur les membres du groupe. Un office spécial, le «Bureau 610», a même été créé par Pékin pour étouffer le mouvement. L’appareil de propagande du parti a utilisé de gros moyens pour discréditer et diaboliser le groupe religieux, prétendant notamment qu’il poussait ses adeptes au suicide et le qualifiant de «secte néfaste».

Fondateur du mouvement, Li Hongzhi a quitté la Chine en 1996 et vit actuellement aux Etats-Unis. Si le Falun Gong a été considérablement affaibli, il n’a cependant pas disparu. En Chine, quelques millions de personnes le pratiquent encore clandestinement. Il s’est en outre répandu dans quelque 70 pays.

Sensibilisation internationale

Joelle Regat se réjouit que la sensibilisation augmente dans la population et la communauté internationale face aux pratiques de l’Etat chinois. Le Parlement européen, le Congrès des Etats-Unis, Amnesty International et beaucoup d’autres entités ont condamné, ces dernières années, la persécution contre le Falun Dafa. Des pays ont également déconseillé à leurs citoyens de traiter avec la Chine concernant le commerce d’organes.

En Suisse, suite aux révélations du China Tribunal, huit députés de l’Assemblée fédérale, dont les conseillers nationaux Carlo Sommaruga (PS/GE) et Dominique de Buman (PDC/FR), ont déposé le 20 juin 2019 une interpellation intitulée «Chine: prélèvements d’organes sur des prisonniers de conscience. Que fait le Conseil fédéral». Le texte suggère notamment une interdiction d’entrée en Suisse des responsables des trafics d’organes et le blocage de leurs avoirs.

Des milieux chrétiens se sont également mobilisés. L’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) Suisse a notamment condamné, en 2018, «les persécutions systématiques exercées par le gouvernement chinois à l’encontre des Falun Gong».

Malgré ces avancées significatives, Joelle Regat juge que la pression diplomatique devrait être encore beaucoup plus forte pour contraindre Pékin à stopper ces pratiques inhumaines.

L’Ambassade de la République populaire de Chine à Berne n’a pas répondu aux sollicitations de cath.ch sur ces questions. (cath.ch/rz)


Qu’est-ce que le Falun Gong?

Falun Gong signifie en chinois «pratique de la roue de la loi». Egalement appelé Falun Dafa, il s’agit d’une discipline spirituelle qui réunit la pratique des exercices et de la méditation avec la philosophie morale présentée par son fondateur, Li Hongzhi.

Le Falun Gong a été présenté au public en 1992 dans la ville de Changchun, au nord de la Chine. Il a été classifié comme une méthode de qi gong (discipline traditionnelle chinoise fondée sur la libération de l’énergie vitale) basée sur des principes taoïstes et bouddhistes. La pratique préconise une série d’exercices de méditations et de mouvements physiques. Il prône l’établissement d’un équilibre du corps et de l’esprit par l’application de trois vertus: la bienveillance, l’authenticité et la patience.

A part la Chine, aucun pays n’applique au Falun Gong le qualificatif de secte. «En Chine, pendant des années, des millions de personnes l’ont adoptée de manière totalement non-violente, sans aucune revendication politique ou sociale et en ont recueilli les bienfaits physiques et spirituels. Le Falun Gong a également permis de réduire les coûts de la santé et même de faire baisser le taux de criminalité», écrit l’ACAT dans son communiqué de 2018.

Visions prophétiques

Mais contrairement à d’autres disciplines s’inspirant du qi gong qui ont émergé dans les années 1990, et qui ne vont pas au-delà du bénéfice sanitaire des personnes, le Falun Gong présente à ses adeptes un «chemin vers le salut», explique le magazine britannique The Economist. Les adhérents du mouvement sont appelés à atteindre une forme d’illumination à travers les pratiques conseillées par Li Hongzhi. Ce dernier affirme qu’une personne ayant atteint ce stade de développement bénéficie de pouvoirs surnaturels, pouvant notamment traverser les murs ou léviter.

Le guide spirituel chinois présente également une cosmologie particulière et une vision eschatologique. Il s’oppose notamment à certains aspects de la technologie moderne. Dans une interview au magazine américain Time en 1999, il explique que des êtres d’autres dimensions ou d’autres planètes tentent de coloniser la terre en incitant les humains à développer des techniques telles que le clonage. Les clones étant censés naître sans âme, ces créatures d’un autre monde pourraient alors occuper ces enveloppes matérielles et progressivement remplacer les humains sur terre.

Sur le plan social, Li Hongzhi déplore un affaiblissement moral global et préconise une morale de type conservatrice, déconseillant notamment l’homosexualité et les relations sexuelles hors mariage. RZ

Raphaël Zbinden

Portail catholique suisse

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